Description
président de la Chambre des Comptes de Montpellier. La marquise y parle du marquis de Vardes, le confident des amours de Louise de La Vallière, de son ami Corbinelli, du père Bourdaloue, qui était allé prêcher à Montpellier à la demande de Madame de Maintenon pour ramener les protestants égarés, et pour lequel elle dit toute son admiration ; elle fait aussi une véritable gazette des nouvelles du jour : nominations d’évêques et de magistrats, brillant carrousel à Versailles, mariages…« Il y a dix jours Monsieur que ma belle et triomphante santé est attaquée, un peu de colique composée de bille, de nefretique, de miseres humaines, enfin des attaques, quoy que legeres, qui font penser que lon est mortelle, cest ce qui ma ocupée asses serieusement, pour me faire une violente distraction, et mempescher de songer à vous repondre. Cest tout ce que je puis dire pour vous donner une grande opinion de cette incomodité, car la pensée de vous repondre estoit asses forte pour ne pouvoir estre surmontée que par quelque chose de considerable. Par bonheur Mr de Vardes ma rendu nostre amy [Corbinelli] dans ce mesme temps, desorte que sa philosophie desja toute preparée pour les douleurs de Mr de Vardes, na pas fait le moindre effort, pour me persuader que les miennes nestoient pas dignes docuper mon ame, et en effet en peu de jours je me trouve en estat de prescher les autres, et je reprens doucement le fil de mon Caresme interompu seulement par quelques bouillons. Je nay point douté Monsieur que vostre presence, et vostre conversation, ne vous rendisse de bien meilleurs offices aupres de Mr de la Trousse [commandant les troupes en Languedoc] que tout ce que je pouvois écrire. Pour le pere Bourdalou, ce seroit mauvais signe pour Monpellier sil ny estoit pas admiré apres lavoir esté à la Cour, et à Paris, dune maniere sy sincere et sy vraye. Je comprens que ces endroits cousus par le sujet des nouveaux freres, à la beauté ordinaire de ses sermons y fait une augmantation considerable, cest par ces sortes dendroits tout plains de zele, et deloquence quil enleve et quil transporte, il ma souvent osté la respiration par lextreme attention avec laquelle on est pandue, à la force, et à la justesse de ses discours, et je ne respirois que quand il luy plaisoit de les finir, pour en recomancer un autre de la mesme beauté. Enfin Monsieur je suis assurée que vous saves ce que je veux dire, et que vous estes aussy charmé de lesprit, de la bonté, de lagreement, et de la facilité du pere Bourdalou dans la vie civile et commune, que charmé et enchanté de ses sermons. Je croy que vous scaures bien vous demesler de lembaras de cette grande feste [Pâques], qui pouroit causer tant de sacrileges, sy par une adresse, et une habileté cretienne, et politique, vous ne prenies dautres chemins que ceux de la violence. Mr labé de Quincé nomé à levesché de Poitiers na pas cru sa poitrine asses bonne pour saquitter de ses devoirs, de la maniere quil le voudroit, et a remis cet evesché au Roy. Cette action est belle, et rare, elle a esté fort louée. S. M. a mis à sa place Mr de Treguier [François-Ignace de Baglion de Saillant, évêque de Tréguier] de nostre basse Bretagne deputé icy de la province, tres st prelat, autrefois le père de Saillant de l’Oratoire, qui tres canoniquement sest consacré au depens de sa poitrine fort large, à toutes les fatigues pastorales.Mr de Harlay et Mr de Beson [Bezons] ont remply les deux places vides du Conseil, et Mr de Larenie [La Reynie] et Mr Bignon sont devenus ordinaires, ceux qui pouroient en avoir du chagrin seront consolés, alors quon y pensera le moins, par la mort de quelque vieux doyen. Vous saves quil y a un Carousel, où trente dames et trente seigneurs, auront le plaisir de divertir la Cour à leurs depens. Le pauvre Polignac prest à epouser Mlle de Rambures a trouvé sur la proposition destre menin, que S. M. n’avoit pas encore pardonné à Me sa mere [la vicomtesse de Polignac avait été compromise dans l’affaire des Poisons], et le mariage a esté rompu dune maniere desagreable. Mlle de Rambures en a paru affligée, il faut esperer quil sera plus heureux à la troisiesme. Mr Danjo [Dangeau] jouit à longs trais du plesir davoir epousé la plus belle, la plus jolie, la plus jeune, la plus délicate, et la plus nimphe, de la Cour [Sophie-Marie de Loewenstein], O trop heureux, davoir une sy belle femme,il en faut croire Moliere. Lendroit sensible estoit de jouir, du nom de Baviere, destre cousin de Me la Dauphine, de porter tous les deuils de l’Europe par parenté, enfin rien ne manquoit à la supresme beauté de cette circonstance, mais come on ne peut pas estre entierement heureux en ce monde, Dieu a permis que Me la Dauphine ayant sceu que cette jolie personne avoit signé partout Sophie de Baviere, sest transportée dune telle colere que le roy fut trois fois chez elle pour lapaiser, craignant pour sa grocesse, enfin tout a esté effacé, rayé, biffé, Mr de Strasbourg [Guillaume-Egon, prince de Furstenberg, oncle de la mariée] ayant demandé pardon, et avoué que sa niece est dune branche égarée et separée depuis longtemps, et rabaissée par de mauvaises aliances, qui na jamais esté apellée que Levestin. Cest à ce prix qu’on a finy cette brillante et ridicule scene, et en promettant quelle ne seroist point Baviere, ou quautrement ils ne seroient pas cousins, or vous mavoueres qua un home gonflé de cette vision, cest une chose plaisante que dès le premier pas, retourner en arière. Vous pouves penser come les courtisans charitables sont touchés de cette aventure. Pour moy javoue que tous ses maux qui viennent par la vanité, me font un malin plaisir. Ne me cites point, et croyes que je suis toujours une des personnes du monde qui vous estime, et vous connoist le plus, (cest la mesme chose). Dittes nous quelquefois de vos nouvelles, et sy vous voules assurer le pere Bourdalou de mes sincères respecs, et Mr de la Trousse de ma fidelle amitié, vous ferez plaisir à vostre treshumble servante.Je voulois que nostre Corbinelli mit là un mot, mais il mest glissé des mains, je ne scay où le reprendre ».On joint une copie ancienne (5 pages et demie in-4).Première publication dans les Lettres nouvelles de 1773 ; texte repris dans l’édition des Grands Écrivains de la France (t. VII, 1862, p. 488, n° 988), puis dans la Bibliothèque de la Pléiade (éd. R. Duchêne, t. III, p. 247, n° 934). Nous la transcrivons ici pour la première fois d’après l’autographe.Ancienne collection du marquis de Saint-Blanquat ; Noël Charavay, 1911.