Lot n° 20

Sulpice-Guillaume Chevalier, dit Paul GAVARNI (1804-1866) — 15 L.A., [vers 1833-1834], à Joséphine Junot d’Abrantès

Estimation : 1000 - 1500 €
Adjudication : 1 875 €
Description
42 pages in-8, 2 adresses « à Madame Junot ». Belle correspondance amoureuse. Gavarni fut introduit dans le salon de la duchesse d’Abrantès vers 1830 par son ami Honoré de Balzac. Il devint rapidement un familier de la famille, et lorsque Joséphine Junot, fille aînée de la duchesse, revint à Paris, après quelques années dans un couvent, pour recevoir les insignes de chanoinesse (ce qui la faisait appeler « Madame Junot »), Gavarni succomba à son charme. Entre eux naquirent bientôt les sentiments les plus vifs dont les lettres que nous avons sous les yeux révèlent les progrès et les entraves. Afin de justifier à leurs propres yeux leur intimité croissante, tous deux décidèrent de se considérer comme frère et sœur… Nous ne pouvons en citer ici que de brefs extraits.
30 novembre 1833. « Vous, pour moi, vous êtes un mystère de bonté. Ce nom de frère que vous me donnez, cette amitié si candide qui vient à la mienne, cette confiance si entière en moi, le croiriez-vous, tout cela me trouble et m’inquiète. Car vous m’avez fait douter de moi. Ce doute c’est peut-être tout ce qu’il me reste de bon. Si j’acceptais sans crainte ce sentiment fraternel entre nous, je le mériterais moins encore ». Il trace de lui-même un bien curieux portrait moral : « Il faut me montrer à vous tout entier. Ma sœur, j’ai fatigué ma raison aux choses de ce monde. Depuis longtemps je ne juge plus, je regarde et laisse tout faire, à moi comme aux autres. Dans toutes les subtilités du raisonnement, le bien et le mal me sont échappés. Si je ne suis pas méchant, cela vient de mon cœur et non de ma pensée, car je vais sans devoir et sans loi. Il n’y a qu’une chose au monde dont je sois vraiment incapable : c’est une lâcheté. Ceci me vient d’une fierté de cœur que rien ne m’a ôté. Je pourrai tout penser, je pourrai tout vouloir ; je ne voudrai jamais abuser d’une bonté, me prévaloir d’un abandon. Voici toute mon âme. C’est de l’orgueil tout pur sans doute. Qu’importe ? C’est une clef que je vous donne de moi »...
Mme Junot lui répond et dès lors les lettres se succèdent, bien que tous les lundis Gavarni retrouve sa « sœur » dans le salon de la duchesse d’Abrantès… « Ô vous me faites rougir de votre louange ! Je ne la mérite pas. Pour trouver si beau ce que je fais, vous ne pensez pas assez à ce qu’aurait été le contraire […] Votre âme a une fleur d’un parfum si suave ! Est-il donc si louable de n’avoir pas eu la brutale fantaisie de l’arracher à sa tige ? Et je m’en serais paré, moi, moi tout enfumé des orgies de ce monde »… – Vendredi matin : « votre lettre est une ravissante chose. Il n’y a que vous au monde pour l’avoir écrite. Pauvre ange ! à peine êtes-vous venue vous mêler d’amour parmi nous, que déjà vous avez du cœur comme une femme naturelle. L’humanité vous va aussi bien que le ciel. C’est qu’il y a dans votre être une grâce, un charme que vous apporterez partout. Un parfum exquis que j’avais pris, moi, pour de la foi chrétienne »…
Par son frère Napoléon d’Abrantès, compagnon de plaisir de Gavarni, Mme Junot savait que l’artiste continuait à sortir dans les bals et les cabarets, et lui en a fait le reproche : « Vous êtes un ange de bonté, et pourtant vous me faites bien du mal avec votre lettre. Pardon, pardon à genoux »… Gavarni apprend avec déplaisir que le monde commence à jaser sur leurs rapports épistolaires. Minuit : « Ô, je vous en
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