Description
1887-1917. Importante collection de 154 lettres autographes occupant plus de 500 pp., conservées dans six emboîtages thématiques de percaline noire titrés : Confessions sur sa vie personnelle - Confidences sur sa vie amoureuse - Échanges sur sa vie littéraire - Considérations sur la vie politique française - Wagner et l'Allemagne - Relations fraternelles. – « Confessions sur sa vie personnelle ». 1890-1916. 31 lettres formant 99 pp.
Cet ensemble comprend notamment une longue et très belle lettre de Louÿs à son frère Georges, datée du 16 avril 1890 (11 pp. 1/2), dans laquelle l'aspirant écrivain, âgé de vingt ans, livre une sorte de manifeste littéraire personnel, narré d'abord sous forme de dialogue avec le directeur de La Vérité d’Épernay. Il aspire à l’anonymat, aux pseudonymes et entend limiter son public à un petit nombre d’amis. Il professe : « Le public va à l’ordure, mais il aime la morale aussi : ce n’est pas de moi qu’il en aura ; je serai d’une immoralité tranquille et insouciante afin de n’avoir de succès ni d’un côté ni de l’autre. Il aime la clarté : je serai obscur. Il aime le panache : je serai concentré. Il aime la fausse humilité, à la Hugo : je serai orgueilleux, à la Baudelaire... » Et, plus loin : « Écrire ! Écrire ! Vivre pour écrire. Écarter de la vie tout ce qui ne tend pas éperdument vers l’Idéal… ».
Cette boîte contient la quasi-totalité de la correspondance de Louÿs avec son frère Georges pour l’année 1912, probablement l’une des pires de sa vie, où s’accumulent pour lui les difficultés. Le 21 juin, il lui écrit : « Quand tout se casse autour de moi, cela m’enlève toute énergie. » Le 18 juillet « Tout s’en va autour de moi, les personnes, les espérances et le goût de la vie. » L’état de santé de Louise occupe plusieurs lettres.
Dans une lettre de 1897, il évoque l’Affaire Dreyfus ; une lettre de 1914 concerne la vente de sa bibliothèque et d’une partie celle de Georges ; une autre, en avril 1916, le retour du désir d’écrire : « J’ai rompu avec la bibliophobie ».
– « Confidences sur sa vie amoureuse ». 1897-1911. 11 lettres formant 63 pp.
Ce dossier comprend un très rare et intéressant ensemble de lettres de Pierre Louÿs sur sa relation avec sa maîtresse algérienne Zohra bent Brahim, qu'il rencontra à Alger en mars 1897 et qu’il accueillit chez lui, boulevard Malesherbes, de mai à décembre 1897. On trouve ainsi une lettre inédite du 19 avril 1897 : « Je t’ai envoyé il y a un mois puis trois semaines des photos dont tu ne me parles pas : cinq petits Kodak de Dahlia [i.e. Zohra en code]… » – « J’ai tout fait pour quitter Zohra, je ne peux pas. Je me suis brouillé huit fois avec elle […] je lui ai dit : je ne veux pas t’emmener. Peine perdue… » – « Tu t’inquiètes de Zohra. D’autres aussi. Cinq personnes m’ont dit ici : “Cher ami, je vais vous rendre un grand service. Ne vous liez pas à elle ; c’est la pire des femmes.” Ils n’ont pourtant pas lu L’Andalouse. Je vais faire comme mon héros de roman. Je l’emmène… »
Une longue lettre inédite inachevée et partiellement codée, datée du 22 mars 1897 : « Arriver à Cannes sans prévenir ; déposer Dahlia [Zohra] dans un hôtel écarté et descendre officiellement au Royal Hôtel où est Henri. J’aurais ainsi deux chambres et je crois que je pourrais empêcher qu’on ne connaisse celle où je passe la nuit. » – « Hier je me suis violemment brouillé pendant une heure avec Dahlia […] hélas ! je ne suis déjà plus assez jeune pour ignorer le charme des réconciliations. […] Elle est toujours bien curieuse… » Il reproduit un échange amusant entre la jeune Algérienne, « habillée en mauresque », et un passant qui souhaitait la photographier. « Et puis elle a des yeux ! je te les montrerai. »
Une longue lettre inédite du 21 août 1897, évoquant un séjour à Étretat notamment, et sa relation avec Zohra : « J’ai repris Z. le lendemain même de notre brouille et je l’ai littéralement arrachée à un capitaine de zouaves… » – « Z. me quitte dans deux mois, tu peux être tranquille. Je la regretterai, la pauvre petite, mais je ne la garderai certainement pas. »
Deux lettres de 1911 évoquent Marie de Regnier, dont on a joint trois portraits photographiques célèbres en tirage moderne.
– « Échanges sur sa vie littéraire ». 1890-1917. 39 lettres formant 144 pp.
Louÿs fait état dans ces lettres de ses amitiés littéraires, avec Gide et Valéry, de Bilitis, Aphrodite et La Femme et le Pantin, le « mystérieux livre » qu’il évoque le 6 avril 1894. En 1897, il travaille à la seconde édition de Bilitis, dont il note le 27 octobre : « Si j’étais riche, je ne le publierais pas avant dix ans d’ici et j’y travaillerais sans cesse. » Le 5 mars : « J’ai suivi ton conseil touchant Bilitis. J’ai fait six chansons nouvelles et… quatre anciennes recommencées, inédites. » Le 16 novembre : « Je pâlissais sur les épreuves de Bilitis. J’ai chaque fois que je publie le sentiment que cela pourrait être mieux. » Le 22 décembre, une fois l’ouvrage paru : « Jusqu’ici les lesbiennes étaient représentées comme des femmes fatales… C’est la première fois qu’on écrit une idylle sur ce sujet-là… ». Le 11 mai 1898, il évoque ses amitiés littéraires et artistiques : Regnier, Laurens, Heredia, Mallarmé, Debussy, etc. En septembre 1903 : « Un exemplaire de La Femme et le Pantin s’est vendu hier à Drouot pour 2310 fr. » Une lettre importante, datée du 20 juillet 1904, traite de l’échec de son mariage avec Louise ; il y note également : « J’ai horreur de la littérature de ce siècle. Je n’aime ni les livres de mes confrères ni les miens… ». Il écrit sur Hugo, Moreri, Du Bellay, Proust, Montesquieu, Lamartine, Michelet, Oscar Wilde – qu’il reçoit le 16 février 1917 avec Valéry, Debussy, Tristan Bernard et d’autres –, mais cite aussi Platon, Tolstoï, Baudelaire, Banville, etc.
– « Considérations sur la vie politique française ». 1896-1912. 27 lettres pour 81 pp.
Cet ensemble porte, pour l’essentiel, sur la politique internationale de la France, que son demi-frère Georges Louis, qui occupa au cours de sa carrière de hautes fonctions diplomatiques : nommé commissaire de la Dette égyptienne au Caire en 1893, il fut directeur aux Affaires politiques au Quai d’Orsay en 1904, puis ambassadeur à Saint-Pétersbourg ; il fut limogé par Poincaré, du fait de son pacifisme, en 1913, quatre ans avant sa mort.
Les lettres de son frère évoquent les principaux événements politiques du temps : l’alliance russe, le scandale de Panama, l’affaire Dreyfus, Fachoda, la crise marocaine de 1904, l’affaire d’Agadir en 1911, la crise des Balkans, la Première Guerre mondiale, etc.
– « Wagner et l'Allemagne ». 1908-1917. 4 lettres formant 25 pp.
Important dossier sur la relation de Pierre Louÿs à la musique de Wagner, dont il fut un ardent défenseur et l'un des premiers écrivains français à comprendre l'ambition. Il comprend trois longues et intéressantes lettres à son frère Georges datées des 2, 3 et 4 mars 1917. Dans celle du 2 mars on peut lire : « Wagner, profondément germanophile, a fait, sans le vouloir, dans la Tétralogie tout le procès de sa patrie allemande » – « procès d'une clairvoyance rare puisqu'on y trouve à la fois (1) la puissance formidable qu'on ne prophétisait pas en 1851, (2) la fourberie à chaque source de cette puissance, (3) le même alliage hétéroclite de ruse et de bravoure, de vaillance et de bassesse ». Le 3 mars, il donne une interprétation psychologique nouvelle de ce drame : « Tout le sujet de la Valkyrie est dans les actes II et III ; le drame se passe dans le cerveau de Wotan : – Dieu juste, il doit punir Siegm[und]et Siegl[inde]. – Dieu humain, il a envie de leur pardonner... » Il trace un parallèle intéressant entre le cycle wagnérien et la guerre mondiale en cours : « tout dans la Tétralogie rappelle l'histoire de cette guerre ! – On ne peut même pas écrire Nothung sans penser à 1914. » Dans la lettre du 4 mars, il estime que « la campagne antiwagnérienne de 1915 s'est rendue ridicule par la faute de ceux qui l'ont engagée. – Saint-Saëns écrivait dans un tel esprit de concurrence théâtrale... » Il évoque Carmen de Bizet, « drame musical français » dont il cite les deux derniers vers, « à la hauteur de n'importe quoi » selon lui, que « Nietzsche citait... pour accabler Wagner et disait que Wagner n'avait rien trouvé de pareil. – Si. – Et plus d'une fois. [...] Mais de qui est Carmen ? Quelles parts reviennent à Mérimée ? à Meilhac ? Halévy ? Bizet ? » Plus loin, sur Wagner et l'Allemagne : de même que « non, avec tous les Corses, on ne ferait pas Napoléon », « W[agner] n'est pas la résultante de sa race. » Enfin, dans une lettre antérieure à Georges Louis, de décembre 1908, il évoque Homère, Heine, Goethe, Wagner, Hugo, etc., et écrit notamment : « À l'instant où leur imagination évidemment prodigieuse (Heine, Wagner, Hugo) [...], ce qui les inspire au-delà de toutes les émotions humaines, c'est l'image d'une femme pleurant sur leurs corps... » (Il évoque aussi son Marot incomplet de 1537 « passé à la vente Lignerolles en 1894 »).
– « Relations fraternelles ». 1887-1916. 42 lettres (dont 3 pneumatiques) formant 101 pp.
Pierre et Georges Louis ne cessèrent de correspondre, s’échangeant parfois plusieurs lettres par jour, où qu’ils fussent l’un et l’autre, jusqu’à la mort de Georges en 1917. Demi-frères à l’état-civil, ils avaient vingt-trois d’écart lorsqu’en 1879, la mère de Pierre mourut brusquement et que Georges se considéra comme le tuteur du jeune Pierre, âgé de neuf ans. Si cet ensemble s’ouvre sur un pneumatique daté du 31 décembre 1887 et s’achève avec un autre pneumatique de 1916, il contient 25 lettres datées de la seule année 1912. Cinq lettres de cet ensemble – datées respectivement du 22 août 1890, s.d. [1894 ?] et des 31 mai, 24 septembre et 11 octobre 1912 – n’ont pas été publiées par Jean-Paul Goujon dans Mille lettres inédites de Pierre Louÿs à Georges Louis (Fayard, 2002).
On joint à ce six emboîtages un important ensemble de 40 poèmes, lettres et documents autographes de Pierre Louÿs, composé de :
– 10 poèmes de jeunesse : Tristesse. [1888-1889]. Sonnet autographe. 1 p. in-4, avec un quatrain autographe au verso. Le premier quatrain est différent de la version publiée dans les Œuvres complètes, t. XIII, p. 23, datée d’octobre 1889. – Première Sextine. 12 avril 90, minuit. Poème autographe de 39 vers. 2 pp. in-4. (Œ.C., t. XIII, pp. 42-43). – Je l’ai sculpté dans un tronc d’ivoire… [1889-1890]. Poème autographe de 32 vers. 2 pp. in-4. (Œ.C., t. XIII, pp. 38-39). – La Senteur des bras. Term[iné] le 14 janvier 91. Sonnet autographe. 1 p. in-4. Le premier quatrain de ce blason érotique (« La sueur qui vient sourdre où ton coude se plisse… ») est différent dans la version publiée en 1938 dans La Femme. – La double tunique en mollesse… Bayreuth, 10 août 1891. Sonnet autographe. 1 p. in-12 au crayon. – Elle se baigne avec l’image des forêts… 7 fév. (s.d.). Poème autographe. 1 p. in-4 sur papier bleu, n° II en tête ; repentirs et corrections autographes. C’est une première version du poème La Nuit du cycle La Forêt des Nymphes (Œ. C., t. XIII, p. 149). – Pour la stèle de Leconte de Lisle. [1894]. 1 p. in-4 en largeur. Copie soignée de la main, vraisemblablement, de Charles Moulié, le secrétaire de Louÿs. Une version autographe de ce sonnet figure dans l’Album amicorum de Louise de Heredia (BnF, Ms-14363). Œ. C., t. XIII, p. 157. – À la muse de P. V. [Paul Valéry]. « Muse qui pour toujours mis au monde un poème… » Poème autographe en huit alexandrins et huit hexasyllabes. – Épithalame pour la cousine Aimée. Sonnet autographe. 1 p. in-12. – Voisine de table. Poème autographe. 1 p. in-8.
– Pièces et documents autographes : une chronique publiée à la parution du recueil d’André Lebey Préludes tristes, publié en 1894 sous le pseudonyme d’André Yebel et dédié à Pierre Louÿs ; un aphorisme daté du 12 avril 1911 ; une série de fiches de travail autographes oblongues sur Une loi capitale en histoire littéraire, la Panhypocrisiade de N. Lemercier, Jules Laforgue, etc. ; une reconnaissance de dette.
– Lettres autographes de Pierre Louÿs, adressées à son secrétaire Thierry Sandre (Charles Moulié) en 1914, à Sarah Bernhardt en 1920, à Claude Farrère en 1910, à Judith Gautier en 1893, deux lettres à André Lebey et trois à José Maria de Heredia ; d'autres à divers correspondants, dans lesquelles Louÿs évoque notamment Bilitis, Aphrodite, La Femme et le Pantin...
On trouve aussi dans cette collection une belle et importante lettre de Pierre Louÿs à son ami Claude Debussy relative à leur projet inabouti de conte de Noël, Cendrelune : l.a.s. datée vendredi 2h du matin s.d. [1895], 4 pp. in-12 : « Mon cher Claude, Je n’ai rien fait de la soirée et j’ai passé tout mon temps à ruminer Cendrelune. – Sais-tu que c’est très mauvais ? et que ça n’intéressera personne ? […] Je crois qu’on pourrait en faire un livre. Mais mettre cela au théâtre en 1895, il n’y a pas moyen. Cela paraîtra pédant, inutile et ennuyeux. […] Il me semble que si tu veux faire autre chose que Pelléas, nous devrions prendre un thème connu, que je rajeunirais le mieux possible et qui ne dérouterait pas les gens. (Mon idée de derrière la tête ce serait de faire un Faust, mais tu ne voudras sans doute pas). Veux-tu une Psyché, le conte le plus dramatique et le plus charmant qu’il y ait ? Ariane serait trop grand opéra ; mais il y en a d’autres… »
S’y trouve également une correspondance de six lettres échangées entre l’actrice Musidora et Pierre Louÿs en 1915-1916, dont quatre l.a.s. avec enveloppes et une carte a.s. de Musidora à Louÿs et une l.a.s. de Louÿs à Musidora. Musidora (1889-1957), qui fut l’amie et la maîtresse de Louÿs, demeure célèbre pour les rôles qu’elle interpréta dans deux séries de Louis Feuillade : celui d’Irma Vep dans Les Vampires en 1915 et celui de Diana Monti dans Judex en 1916, .
On joint également 13 lettres et pièces autographes adressées à Pierre Louÿs par P.-A. Laurens, J.-É. Blanche, Willy, Henry Bataille, Stuart Merill et d'autres, un poème autographes d’Hugues Delorme intitulé Ballade du verger de Pierre Louÿs, etc.