La Bibliothèque Jouve est le fruit de la passion de Daniel Jouve, récemment décédé, et de son épouse franco-américaine, Alice. Daniel avait un intérêt profond pour l'histoire des relations franco-américaines, passion qui s’est enracinée dès son enfance lors de la libération de Paris en août 1944 par les forces américaines, un événement qui l’a marqué au point de souvent répéter : « On n’oublie jamais ça ». La collection de la Bibliothèque Jouve, composée principalement d’ouvrages en français (80 % de la collection), reflète son intérêt pour la Constitution américaine et l’influence des Lumières et de figures telles que La Fayette sur la jeune république américaine. Daniel Jouve a consciencieusement rassemblé des œuvres sur la guerre d'Indépendance, les Constitutions des treize États fondateurs, la Constitution fédérale de 1787, ainsi que le manuel du droit parlementaire de Jefferson. La collection inclut également des textes théoriques et polémiques qui ont influencé le discours politique des deux côtés de l'Atlantique, avec des auteurs tels qu'Adams, Franklin, Jefferson, et bien d’autres.
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LIEU et date de la vente : Salle 15 - Drouot-Richelieu, 9, rue Drouot 75009 Paris. Mercredi 6 novembre 2024 à 14h15 - Téléphone pendant l'exposition et la vente : +33 (0) 1 48 00 20 07
Expositions publique : Drouot salle 7. Mardi 05 novembre de 11h à 18h - Mercredi 06 novembre de 11h à 12h - Téléphone pendant l'exposition et la vente : +33 (0) 1 48 00 20 07
Experts : Alain NiCOLAS - Expert près la Cour d'Appel de Paris - Pierre GHENO - Expert près la Cour d'Appel de Paris. Librairie Les Neuf Muses. 41, quai des Grands-Augustins, 75006 Paris. Tel : 33 (0) 1 43 26 38 71- E-mail : neufmuses@orange.fr
SEGALEN (Victor). Stèles. « Pei-King », « des presses du Pei-T'ang », 1912. — Volume de format 28,7 x 14,1 cm : feuilles de différentes tailles imprimées sur une seule face, jointes et pliées à la chinoise en portefeuille régulier formant...
Estimation :18 000 - 20 000 €
Description
106 pp. dont plusieurs blanches, papier gris appliqué sur les première et dernière pages en guise de couverture, pièce de titre imprimée collée verticalement sur la première page de couverture ; le tout placé entre deux ais de bois dont le premier avec titre chinois gravé et rehaussé de vert (« 古今碑録 » soit, selon la traduction de Victor Segalen, « Recueil de stèles anciennes et quotidiennes »), liettes de toile grège ; infimes rayures sur les plats dont un avec discrète restauration ; quelques mouillures (reliure de l'éditeur). Le tout placé dans un boîtier cartonné brun à mors de percaline noire (Julie Nadot).
ÉDITION ORIGINALE, HORS COMMERCE, UN DES 81 EXEMPLAIRES NUMEROTES SUR PAPIER IMPERIAL DE COREE (n° 28). Composée sur les presses lazaristes de Pékin en mai et juin 1912, et sortie le 13 août 1912, cette édition comprend à peine 286 exemplaires « non commis à la vente » : 81 sur papier de Corée (nombre symbolique correspondant au nombre des dalles de la terrasse du temple du Ciel) dont les 21 premiers sur papier fort ; 1 exemplaire de passe non numéroté sur ce même papier, 2 exemplaires sur chine (l'un personnel, l'autre pour son épouse Yvonne) et 2 exemplaires sur japon (un personnel, un en réserve). Ces 86 exemplaires furent destinés à l'auteur, à ses parents et ses amis, ainsi qu'à des personnalités comme Paul Claudel (dédicataire de l'oeuvre), Claude Debussy, André Gide, Pierre Loti, le philosophe Jules de Gaultier ou le sinologue Édouard Chavannes. Les 200 autres furent tirés sur vélin. L'édition de 1912 de Stèles fut la seule corrigée de la main de Victor Segalen.
Envoi autographe signé enrichi de la fin d'une « stèle » alors inédite, avec son épigraphe chinoise extraite d'un classique
« À JEAN LARTIGUE, d'une nouvelle & vivace affection. Pei-King, août 1912... »
INTITULEE « DEUX PINCEAUX, UN COEUR » DANS LES MANUSCRITS DE VICTOR SEGALEN, LA « STELE » DONT LE PRESENT ENVOI CITE LES DERNIERES STROPHES, fut publiée pour la première fois dans « Stèles inédites », par Marie-Jeanne Dury dans la revue Création (t. IV, octobre 1973,). Victor Segalen en omet toutefois ici le nom « Mi Yuan », « jardin secret », expression littéraire désignant l'amitié parfaite, qu'il laisse en blanc (« C'est , là-bas, qui écrit »).
L'épigraphe en chinois de cette « stèle », « 元白夢魂銜杯花下 » se lit « yuan bai meng hun xian bei hua xia », et signifie « Yuan-Zhen et Bai Ju-yi rêvant, la coupe aux lèvres sous les fleurs ».
Victor Segalen l'a relevée dans le recueil Allusions littéraires que le sinologue Corentin Pétillon avait publié en 1895 (n° 8 de la collection Variétés sinologiques, imprimerie de la mission catholique de Shanghai), et qui était ainsi traduite : « L'esprit de Yuen et Pé rêva qu'ils buvaient ensemble (mordaient la coupe) sous les bosquets fleuris. Ces deux amis, l'un ministre et l'autre président de ministère, allaient parfois se promener dans les jardins de la bonzerie 茲恩寺 [Zi'en si]. Or, un jour Pé Kiu-i [白]居易, saisi subitement de la pensée de Yuen Tchen [元]楨 qui venait de partir pour 梁州 [Liang-zhou] composa des vers sur ces entretiens intimes. À cet instant aussi une inspiration analogue s'emparait de Pé et lui dictait le même souvenir poétique. Ce fait prouve que malgré les distances, LES COEURS DES AMIS SONT TOUJOURS À L'UNISSON. » Corentin Pétillon avait extrait cette belle anecdote d'un ouvrage de Dong Chengzhong (董成重), Demande originelle sur L'Éducation primaire (幼学求源), commentaire sur La Forêt de jade de l'éducation primaire, dit aussi Éducation primaire, traité de Cheng Dengji (鄒聖脈) poursuivi par Zou Shengmai (鄒聖脈).
JEAN LARTIGUE, LE « PRECIEUX COMPAGNON », « L'AMI INCOMPARABLE ». Officier de marine et futur amiral, filleul de Pierre Loti, Jean Lartigue (1886-1940) fit connaissance avec Victor Segalen en Chine en 1909, alors que lui-même servait à bord d'une canonnière sur l'embouchure du Yang-Tseu-Kiang. Les deux hommes se fréquentèrent à Pékin et se découvrirent une complicité intellectuelle fondée sur une admiration mutuelle, encore renforcée par leur goût commun pour la littérature, et pour la culture chinoise - ils décrochèrent tous deux un brevet d'interprète. Ils échangeaient sur leurs travaux sinologiques et littéraires : Victor Segalen le consulta sur l'emplacement des sceaux qu'il souhaitait appliquer dans les volumes de Stèles, lui demanda de chercher pour cela une encre rouge adéquate, et Jean Lartigue fut des premiers à recevoir un exemplaire de l'ouvrage, en Chine même. Victor Segalen lui écrivit ainsi le 11 août 1912 : « On doit m'expédier
mardi 20 exemplaires terminés. J'avais pensé à vous prier de prélever directement le vôtre. Je préfère vous l'apporter m-même avec plus d'amitié ». C'est aussi à Jean Lartigue que revint la conception et la réalisation des sceaux ornant l'édition de Connaissance de l'Est de Paul procurée par Victor Segalen en 1914 dans la « Collection coréenne ».
Les deux amis engagèrent par ailleurs des projets communs, dont surtout l'importante expédition archéologique de 1913-1914, avec Augusto Gilbert de Voisins, consacrée principalement à la statuaire chinoise ancienne. « Admirable esprit, protestant évadé, profond et souple », Jean Lartigue fut alors véritablement l'âme soeur de Victor Segalen qui lui affirmait le 17 novembre 1914 : « tu complètes par un miracle de volonté réalisée ce que je croyais réservé au seul imaginaire ».
La guerre mit cependant un terme à cet état de grâce en les séparant, tous deux reconnaissant dans la « stèle » « Des lointains », l'expression de la nécessité où ils étaient eux-mêmes d'un renouveau de l'amitié. Malgré cela, Jean Lartigue demeura jusqu'à la fin le plus proche ami de Victor Segalen. Après la mort de ce dernier, il préfaça et publia l'atlas du compte-rendu de la Mission archéologique en Chine (1923-1924), codirigea une exposition au musée Guimet à ce sujet (1925), préfaça l'édition originale d'Équipée de Victor Segalen (1929), et publia un volume sur L'Art funéraire à l'époque des Han (1935).
« UNE VISION DE LA CHINE » et une oeuvre littéraire Française capitale du xxe siècle : Segalen, qui avait débuté l'étude du chinois en 1908, séjourna trois fois en Chine : comme explorateur et médecin de 1909 à 1913, et dans le cadre de missions archéologiques en 1913-1914 puis en 1917. Il en tira des études scientifiques importantes, figurant notamment dans le Premier exposé des résultats archéologiques obtenus dans la Chine occidentale par la mission Gilbert de Voisins, Jean Lartigue et Victor Segalen (1914), paru en 2 fascicules (1916) et un atlas (1923-1924). Mais cette expérience nourrit aussi largement son activité littéraire, lui inspirant une série d'oeuvres abordant la Chine sous différents angles, comme Stèles (1912), Peintures (1916) et Odes (1926). « Le monde chinois de cette oeuvre est une immense allégorie du monde intérieur de Segalen au service de l'indicible », écrit Henri Bouillier, « ce contact intime avec la Chine réelle se complétait, par la création imaginaire, d'une Chine mythique : "Ce n'est ni l'Europe, ni la Chine que je suis venu chercher ici, mais une vision de la Chine", écrivait-il à Debussy. Dès lors, beaucoup de textes ébauchés au soir des étapes allient se transformer en poèmes. La forme "stèle" adoptée est née d'une analogie fulgurante entre les tables de pierre dont la Chine est parsemée et les "petites proses courtes, denses" qu'il se proposait d'écrire avant même de les avoir vues. Condenser, concentrer le langage était d'autant plus nécessaire qu'il lui fallait fixer ces "instants divinatoires" dont il avait dit à propos de Rimbaud qu'"ils désignent le poète essentiel" » (En Français dans le texte).
« JUXTAPOSER LA BIBLIOPHILIE CHINOISE À LA NÔTRE » (Victor segalen à Henry Manceron, 25 mars 1912). Dans une lettre de la même année à Augusto Gilbert de Voisins, il précisait : « Cette édition, avec ses caractères chinois gravés sur bois constituera je crois une nouveauté bibliophilique, car ce n'est pas une plaquette européenne décorée à la chinoise, mais un essai de tirage et de composition dans lequel la bibliophilie chinoise a une part équivalente aux lois du livre européen : marges, titres, etc. ». Il empruntait ainsi aux traditions de Chine la forme, le pliage en portefeuille entre deux planchettes de bois usité pour les albums d'estampes, et la matière, le papier de tribut des feudataires coréens à la cour impériale.
À l'instar du caractère chinois, symbole du signifié, la mise en page devait figurer le monument lapidaire par le format inspiré des proportions de la stèle de Xi'an, l'encadrement noir et les épigraphes. Les épreuves, corrigées en mai-juin 1912, témoignent du soin accordé par Victor Segalen au visuel, pointant "le vide ésagréable", pesant majuscules et minuscules, s'essayant à l'art calligraphique et s'appliquant dans l'apposition des sceaux qui ouvrent et clôturent le volume. les chatoiements translucides du papier de corée : Yvonne Segalen se souviendrait auprès de sa fille : « Ce papier de Corée venait bien de Corée. Nous avions acheté les premières feuilles à Pékin pour coller l'hiver au treillage de la classique maison chinoise et ton père avait été frappé de la beauté de ce papier. »
l'élégance ésotérique de la calligraphie chinoise : Segalen choisit de faire figurer des caractères chinois dans 3 emplois et 3 styles calligraphiques différents, tous gravés sur bois : sur le premier plat, le titre de l'oeuvre dans le « style des scribes » ou « lishu » ; en frontispice de chaque partie, un titre en « style semi-cursif » ou « xingshu » ; en épigraphe de chaque stèle, dans le « style régulier » ou « kaishu », une citation littéraire empruntée aux Annales ou aux classiques, ou forgée par Segalen, ou encore une simple expression de la langue chinoise, destinée à être développée dans le texte ou à fournir une clef pour sa compréhension. Il recourt par ailleurs au style sigillaire, « zhuanshu », en appliquant à la main trois sceaux « rouge-cinabre » en ouverture et en fin de volume : le premier reprend le titre, « 古今碑録 », soit, selon la traduction de Victor Segalen, « Recueil de stèles anciennes et quotidiennes ». Le second, « 秘園之印 », se traduit par « sceau de Mi Yuan », « Mi Yuan » signifiant « Jardin mystérieux », nom de lettré que Victor Segalen réservait aux intimes. Le troisième, reprenant l'épigraphe de la première stèle du recueil, « 無朝心宣年譔 », se traduit par « Promulgation intime de l'ère Wu-chao », « Wu-chao » signifiant littéralement « sans dynastie », et forme un paradoxe qui s'explique à la fin de cette même première stèle intitulée « Sans marque de règne » : « Que ceci donc ne soit point marqué d'un règne [...] mais de cette ère unique, sans date et sans fin, aux caractères indicibles, que tout homme instaure en
lui-même et salue, à l'aube où il devient Sage et Régent du trône de son coeur ».
Provenance : Bernard Loliée (vignette ex-libris).
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