Lot n° 13

CHAMP-D'ASILE. — [L'HÉRITIER (Louis-François)]. — Le Champ-d'asile, tableau topographique et historique du Texas, contenant des détails sur le sol, le climat et les productions de cette contrée ; des documens authentiques sur l'organisation...

Estimation : 1 500 - 2 000 €
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Description
de la colonie des réfugiés français ; des notices sur ses principaux fondateurs ; des extraits de leurs proclamations et autres actes publics : suivi de lettres écrites par des colons à quelques-uns de leurs compatriotes. — Paris, Ladvocat, 1819. — Petit in-8, viii-247-(une blanche) pp., demi-veau brun orné (Loutrel).
ÉDITION ORIGINALE, RARE, publiée « au profit des réfugiés » du Champ-d'asile.

UN INSTRUMENT DE PROPAGANDE DESTINE A RECUEILLIR DES FONDS ET A RECRUTER COLONS ET SOLDATS. Louis-François L'Héritier rappelle ici une histoire de ces « réfugiés » fixés au Texas, détaille la composition de leur groupe, avec notices biographiques sur le maréchal Grouchy, ainsi que les généraux Charles et Henri Lallemand et le général Antoine Rigau. Il explicite aussi l'organisation du camp en s'appuyant sur ce qui est présenté comme des témoignages d'officiers du Champ-d'asile.

OFFRANT UN TABLEAU IDYLLIQUE DU TEXAS. Affirmant tenir ses informations d'un missionnaire français ayant résidé à San Antonio, Louis-François L'Héritier décrit la région du Champ-d'asile sous ses différents aspects : géographie, histoire naturelle (botanique, zoologie, minéralogie), ethnologie (nombreux détails sur la population indienne), présence limitrophe des Espagnols et des Américains.

DETOURNEMENT MILITAIRE D'UNE ENTREPRISE COLONIALE CIVILE ACCREDITEE PAR LE CONGRES AMERICAIN. À La Nouvelle-Orléans, où se croisaient des français immigrés pour des raisons diverses, naquit l'idée d'établir collectivement une colonie agricole vouée à la culture de la vigne et de l'olivier. Après une campagne de promotion dans un journal francophone, L'Abeille de La Nouvelle-Orléans, une société coloniale fut fondée (The Vine and Olive Colony) dont les actionnaires comprirent en tout une centaine de bonapartistes et révolutionnaires ayant quitté la France après Waterloo, environ deux cents réfugiés de la révolution de Saint-Domingue, et une centaine de personnes modestes ayant émigré pour raisons économiques. Cette société fut d'abord présidée par le général Lefebvre-Desnouettes, ancien commandant de la cavalerie légère de la Garde impériale, appuyé par d'autres exilés de marque dont le maréchal Emmanuel de Grouchy, les généraux Henri et Charles Lallemand (autres officiers de la Garde) ou le conventionnel régicide Joseph Lakanal. Après quelques mois de prospection, des terres furent choisies en Alabama. Le vice-président de la société, le négociant William Lee, ancien consul des États-Unis à Bordeaux et favorable à l'Empire, activa ses relais à Washington et obtint des soutiens politiques auprès de Thomas Jefferson, James Madison, James Monroe et Henry Clay : en février 1817, un décret du Congrès céda les terres en question à la Société coloniale à des conditions très favorables, les acquéreurs avaient 14 ans pour les mettre en valeur avant de les payer, et à un prix extrêmement bas. C'est Charles Lallemand qui, ayant succédé au général Lefebvre-Desnouettes, fut chargé de la répartition des lots.
Dès l'automne 1817, cependant, ce général à l'esprit aventurier commença à organiser une expédition militaire contre le Texas espagnol, recrutant au sein de la société en prétendant avoir le soutien du Gouvernement américain : en décembre 1817, il se trouva à la tête d'un petit groupe d'une centaine d'hommes, vétérans français et européens des armées napoléoniennes, avec pour lieutenants à ses côtés son frère Henri Lallemand et le général Antoine Rigau. Il parvint à réunir des fonds de manière douteuse en obtenant de ses partisans qu'ils vendent leurs terres à un prix inférieur à celui qui avait cours aux plus gros actionnaires de la société coloniale, lesquels participèrent en échange au financement de l'entreprise. Charles Lallemand, dont les motivations étaient en fait peu claires, renversa ses buts militaires et affirma former une troupe d'appoint pour les Espagnols. L'expédition fut lancée par mer, parvint à l'île de Galveston au large des côtes du Texas, dont le corsaire et pirate français Jean Lafitte était le maître, puis, avec l'aide de celui-ci, se fixa à terre au Sud de la bande neutre de terre contestée entre la Louisiane et le Mexique, près de la Trinity River.
Pour attirer de nouveaux fonds et des hommes, il organisa une campagne d'opinion présentant con camp militaire comme un « champ d'asile » de réfugiés ayant fui l'Europe pour des raisons de persécution politique : la presse francophone et anglophone américaine fut sollicitée, de même que les journaux anglais, ou la presse française libérale dont La Minerve de Benjamin Constant - quelques fameux libelles dont celui-ci furent en outre publiés en France. Les principes affichés étaient collectivistes, égalitaires, libéraux, et les hommes du Champ-d'asile étaient présentés comme de vertueux soldats-laboureurs. Charles Lallemand, qui maintenait une discipline de fer et réprimait les tentatives de désertion de plus en plus nombreuses en raison de la détresse économique du camp, présentait au monde un tableau idyllique et idéologique inexact - mentait aussi à ses hommes en leur promettant l'arrivée de fonds et de renforts. En outre, l'esprit d'indépendance qui caractérisait ses déclarations à la presse faisant craindre une entreprise de sécession territoriale, de même que le bonapartisme de ces hommes armés associé aux rumeurs d'expédition de libération de Napoléon Bonaparte à Sainte-Hélène, inquiétèrent aussi bien les Espagnols que les Américains.

UNE AVENTURE PICARESQUE AUX CONSEQUENCES GEOPOLITIQUE BIEN REELLES : les États-Unis profitèrent de l'occasion pour chasser de Galveston les frères Laffite et leurs flibustiers, et se décidèrent à régler la question de la frontière entre le Texas espagnol et la Louisiane : le secrétaire d'État John Quincy Adams et l'ambassadeur d'Espagne aux États-Unis Luis de Onís conclurent en 1819 un traité qui en délimitait précisément le tracé.

UN MYTHE LIBERAL DURABLE : la bonne image du Champ-d'asile comme refuge de la liberté fut diffusée largement par La Minerve de Benjamin Constant, véhiculée aussi par des estampes gravées en 1818, sans parler d'une chanson du très populaire poète libéral Pierre-Jean de Béranger. Cette vision positive subsista longtemps, et la France de Louis-Philippe Ier (qui organisa le retour de la dépouille de Napoléon Ier en France) fut la première à reconnaître en 1839 l'indépendance de la République du Texas après sa sécession du Mexique. Cependant, au début des années 1840, Honoré de Balzac fit du personnage de Philippe Brideau dans La Rabouilleuse, un colonel d'Empire ruiné par le général Lallemand dans l'aventure du Champ-d'asile, « une des plus terribles mystifications connues ».

VETERAN DES GUERRES NAPOLEONIENNES, L'ECRIVAIN LOUIS-FRANÇOIS L'HERITIER (1789-1852) publia les Fastes de la gloire (1818-1822) sur l'épopée révolutionnaire et napoléonienne, et collabora au journal libéral de Benjamin Constant, La Minerve, un des soutiens du Champ-d'asile en France. Il donna aussi quelques ouvrages littéraires personnels, des traductions, et fut le « teinturier » des mémoires de Vidocq.
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