Lot n° 177

Marguerite YOURCENAR (1903-1987). — 4 L.A.S., juin-décembre 1939, à Maurice Sachs ; 17pages in-8.

Estimation : 2000 - 2500
Adjudication : 3 640 €
Description
Belle correspondance sur la naissance d’une amitié.

Hôtel Wagram [Paris] 25 juin. Sa lettre chaleureuse la touche : «Sans vous connaître, j’ai souvent entendu parler de vous par un ami commun – André Fraigneau – et c’est avec plaisir que j’ai retrouvé au bas de votre lettre un nom déjà si familier. Je vous remercie d’aimer comme moi cette belle et pathétique histoire vraie [Le Coup de grâce], dont je suis moi-même encore émue»…

– 9 juillet. «Votre lettre me ravit, et surtout peut-être la façon si humaine et si charmante dont vous associez la jeune femme qui la première vous a parlé de moi à ce début d’amitié. […] Je serais heureuse de vous rencontrer encore avant mon départ»…

Ouchy-Lausanne 11 août. Elle a tardé à lui répondre : «il a fallu le hasard d’une journée de soleil ou le bruit des oiseaux m’a réveillé au point du jour, pour que je me trouve momentanément libre de tout travail, et en état de causer un peu longuement avec vous. Et les cris des oiseaux étaient sans doute des cris d’étonnement, car la Suisse, au moins depuis mon arrivée, semble bien déshabituée du soleil. Je vous envie la Corse, et le fantôme du jeune Bonaparte. […] Tableaux du Prado à Genève : les Goyas et les Grecos inquiétants, les Flamands exquis, et la Maja nue, savoureuse et un peu répugnante comme une de ces pâtisseries orientales qui salissent les doigts : un vrai baclava». Elle part pour le Valais…

New York 17 décembre. Elle a reçu sa «sage lettre – demeurons nous-mêmes – c’est la meilleure réponse aux événements»… Elle avait essayé de le retrouver à Paris en septembre-octobre : «Quel mois étrange, passé dans une ville où de nouvelles amitiés se formaient, mais où les amis vrais étaient soudain comme perdus. Vous voilà donc à Caen, interprète comme André Maurois lui-même! Mais qu’importe puisque vous travaillez. Bercée – un peu durement – par le tangage du Manhattan sur une mer semée d’embûches, je lisais ce journal d’un jeune Bourgeois [Au temps du Bœuf sur le Toit] dont vous avez tort de dire tant de mal évidemment, ce n’est pas vous, mais cela se lit bien agréablement. Ici, je travaille et je fais quelques conférences en français – clubs, collèges – qui me rapportent beaucoup d’ennuis, et un peu d’argent dont j’ai besoin. Et puis, je suis persuadée que tout sert, et que ces expériences pas toujours drôles feront de moi un meilleur écrivain quand j’aurai de nouveau le temps de travailler à mes livres à moi». Elle parle de son Introduction à Kavafy, publiée par Church et Paulhan dans Mesures, «ce qui d’ailleurs m’a fait plaisir, réconfortée que je suis à l’idée que la guerre n’étouffe pas tout à fait ces grands airs pensifs de violoncelle». Ses conférences traitent «de l’Europe à la veille de la guerre» ; elle songe à en tirer «un volume d’impressions, de prises de vues : Vienne, Prague, Athènes, Constantinople, Paris, Rome, durant ces dernières années, et les réactions des gens de la rue aux événements : le vieux prêtre de Tirana, le chauffeur grec, la prostituée de Vienne, tout cela très “historique” déjà, et très “discours” (un peu du Coup de grâce où il n’y aurait que l’atmosphère et pas le roman – ou un peu le journal du jeune bourgeois, tendre et tragique)»… Après un «Paris tout noir […] pareil à je ne sais quelle ville déserte de Chirico, les mille lumières de New York font l’effet d’une débauche splendide»…

On joint 2 cartes postales a.s à M. Sachs, [New York 24 octobre et 19 décembre 1939].
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