Lot n° 136

Pierre LOUŸS. — 25 L.A.S. «Pierre», janvier-décembre 1899, à son frère Georges Louis ; 22 pages in-4, in-8 ou in-12, la plupart avec enveloppe ou adresse.

Estimation : 2500 - 3000
Adjudication : Invendu
Description
Importante et passionnante correspondance inédite à son frère, notamment pendant son voyage de noces en Italie, au temps de l’affaire Dreyfus.

– 13 janvier (en-tête Hôtel Foyot). «J’ai un article tout prêt ; dont je suis à l’avance assez content où, pour prévenir la seule réponse dangereuse je ferai un préambule sur ma souscription Henry et sur ma lettre à Reinach en 1896 ; où je ne parlerai ni du Duc d’Orléans qui est un imbécile, ni du Prince Victor, que personne ne connaît, mais où je demanderais tout de même autre chose» ; mais il ne voudrait pas que cet article nuise à la carrière de Georges. Quant à la critique : «Les seules “critiques littéraires” qui aient une influence sont celles qui ne viennent pas de critiques de profession. Mirbeau, Theuriet, Coppée, ont lancé des gens (je le sais). Philippe Gille et même Lemaître : personne»... Il ajoute : «Je pense q.q. fois à ce que serait ma vie, si tu n’étais pas là. C’est une chose que je n’imagine pas du tout. – Il est presque certain que je me serais déjà tué, dans un des jours de détresse que j’ai eus. – En tous cas je n’aurais de goût à rien et je perdrais certainement ma vie»…
– Samedi soir [21 janvier]. Au sujet du bail de son appartement du boulevard Malesherbes ; un mauvais repas au restaurant ; les bijoutiers de la rue de la Paix …
– [22 janvier]. Déjeuner avec Georges chez Larue ; ses rendez-vous de la semaine…
– Mercredi [25 janvier]. Il hésite à suivre Georges au Caire (avec lettre jointe de sa sœur Lucie).
– 24 juillet (en-tête et vignette du Grand Eden Hôtel de Pallanza). Vacances sur le Lac Majeur, avec croquis : «Pallanza n’est pas comme Bellaggio, à la pointe centrale de son lac. Cette pointe appartient tout-entière à notre hôtel ; nous avons là deux chambres dont une de coin avec trois fenêtres à l’Est et au Sud et toutes trois si pleines du lac qu’on se croirait en bateau ; nous le voyons dans les deux sens avec des horizons différents, des lumières jamais semblables. C’est un lieu unique»… Il énumère les tableaux vus à Gênes et à Milan. Ila reçu «une lettre de sept pages signée “Pierre, dit Tigre”»...
– Pallanza 25 juillet. Sur sa femme (Louise dite Toque) : «T. est invariable et charmante. Elle qui a le caractère si vif je ne lui ai pas vu un mouvement de colère depuis deux mois. Elle continue à n’avoir ni volonté ni désirs ni préférences ; tout lui paraît bien ; elle est contente partout. […] Je crois qu’elle est décidée à tout pour que notre ménage soit bon»…
– 5 août. Séjour à Pallanza ; les orages sur le lac… «Mon roman s’appelle SABA – Voyage vers le passé». Son fils Tigre, lui écrit Marie, est «gai comme tout et gentil comme un cœur. Il commence à vraiment parler. Il comprend tout. Il embellit de jour en jour». La lettre est accompagnée d’une lettre de son épouse Louise (Loulouse).
– 20 août. La vie à Pallanza se passe «dans une monotonie absolue ; pas une visite, pas un événement, pas un visage connu parmi les voyageurs, et peu de lettres». Son emploi du temps… Sa femme «est aussi gentille qu’on peut être. Jamais une critique ni une mauvaise humeur. Contente de tout. Non seulement elle ne discute pas, mais elle refuse de prendre aucune décision sur quelque sujet que ce soit. Cela changera un jour, je le sais, mais jusqu’ici je n’avais rencontré personne d’aussi facile à vivre». Allusions codées à des dames. Nouvelles de Tigre… «L’affaire Dreyfus entre dans la féerie. Voici Mercier qui prouve la mauvaise foi des gouvernements étrangers en avouant la nôtre, et qui traite de mensongère la parole des chefs d’état “au cas où elle serait donnée”. […] Tout de même, si notre état-major n’a pas été aussi fin qu’une assemblée de vie diplomates, que faut-il penser de ces attachés militaires qui, faisant métier d’espions ne se donnent même pas la peine de brûler leur corbeille?!»…
– 22-24 août. Il supplie Georges (en langage codé) de ne pas donner sa démission : «Mais tige, tige, tige tapisserie cénobite». Résumé de l’affaire Dreyfus en quatre points (avec coupures de presse), pour conclure : «Dans ces conditions, toi juré, condamnerais-tu? moi je voterais sans doute coupable. Mais, l’accusé mis à part, je ne sais pas s’il faut souhaiter la condamnation, dans l’intérêt même de l’armée»… Sur son mariage : «Il y a aujourd’hui deux mois que je suis marié. Quand je pense qu’il y a 120 jours à peine je croyais n’épouser personne avant longtemps. Mais depuis le début de mon voyage je n’ai pas douté une fois que je n’aie bien fait de changer ma vie ainsi»…
– 28 août. Il annonce son prochain retour à Paris, en passant par Bade et Épernay… «notre voyage au Caire est absolument décidé. Nous faisons déjà notre itinéraire de retour par la Corne d’or»… L’affaire Dreyfus prend de l’ampleur…
– 29 août (en-tête et vignette du Grand Hôtel en-Fels Pension, Vierwaldstättersee). Souvenir nostalgique de son séjour en Suisse avec Georges : «Il y a dix ans. C’était mon premier voyage hors de France. Il m’a frappé plus que beaucoup d’autres»…
– 31 août (en-tête et vignette du Holland Hotel à Baden-Baden). Description désenchantée de Bade… «En regardant les devantures des libraires j’ai vu que de volumes de moi avaient paru à mon insu. Les éditeurs sont étonnants. C’est d’abord l’édition illustrée de La Femme et le Pantin, et ensuite la traduction allemande du même»…

[Paris] 14-16 septembre. Longue lettre (11 pages) évoquant successivement la mort de sa chatte Mouche, les nouvelles de la famille Heredia (dont Marie, «très maigrie et changée»), des projets de voyages ; puis, en partie en langage codé, les nouveaux développements de l’affaire Dreyfus… Il résume avec humour le nouveau roman d’Henri de Régnier, La Double Maîtresse, avant de parler de son fils Tigre et du mariage de Maurice Maindron avec Hélène de Heredia… Il corrige les épreuves de l’édition illustrée des Chansons de Bilitis…
– 22 septembre. Sur le dénouement de l’affaire Dreyfus et la préparation de l’ exposition Universelle. Aménagement de son appartement et rangement de ses papiers… «Il y aura après-demain trois mois que je suis marié. On continue à faire tout ce qu’on peut vraiment pour que je m’en félicite, et on réussit»….
– 24 septembre. Virulente critique des professeurs de la Sorbonne ; l’affaire Dreyfus ; la politique coloniale (coupures de presse jointes).
– 8 octobre. L’affaire Dreyfus et son influence dans les sphères universitaires, avec l’opposition entre Brunetière (anti-dreyfusard) et le philologue Louis Havet (dreyfusard) ; ses proches, notamment la famille Heredia, les Maindron, Lebey et quelques-unes de ses anciennes conquêtes surgissant sans crier gare ; ses difficultés d’écriture : « Je ne te parle pas de mon roman [Pausole] parce qu’il n’avance guère»…
– 17 octobre. Ses recherches sur un bronze grec polychrome et opinion de Maspero. Mariage de Debussy avec Lily Texier : «Jeudi je marie Debussy. Je suis son témoin. Mariage bête. Un mannequin de maison de couture. Ce pauvre garçon aura fait tout ce qu’il pouvait depuis vingt ans pour rater sa vie. Et quel admirable artiste il es!»Aménagement de son appartement. Nouvelles politiques (en partie codées)...
– Mercredi [début décembre]. Inventaire de sa garde-robe et de livres. Réédition de son «petit Lucien» [Mimes des courtisanes], dont il a refait «entièrement la traduction»… – 6 décembre. Envoi d’articles (joints). Il est «toujours souffrant mais pas de façon à me coucher et cela m’ennuie seulement pour mon bouquin»...
– 8 décembre (12 pages). Commentaire d’événements politiques à Berlin et Moscou… «On représente demain soir à Vienne une pièce tirée d’Aphrodite» ; il va intenter un procès pour vol de propriété intellectuelle. Achat d’éditions de Renan et Leconte de Lisle dédicacées à Michelet…
– 12 décembre. Son roman traîne. La situation internationale (avec coupures de presse collées).
– 14 décembre. Mise au point après une brouille entre les frères (Georges soupçonnant une liaison entre sa future femme Paz de Ortega et Pierre) : «c’est déplorable que tu puisses avoir des soupçons pareils et les garder quinze jours»…
– 24 décembre. «La question de mon roman… Ça c’est bien compliqué. […] Z. [Zorha]n’était pas le sujet de l’Orientale. Non. Mais c’était ma principale, presque ma seule informatrice. Je ne pouvais écrire ce roman qu’en pensant à elle jour et nuit. Et pour plusieurs raisons […] cela m’était difficile, désagréable, pénible, etc. Le résultat, c’est que j’ai accumulé des notes, que j’ai paressé honteusement sur le texte – et que j’ai fini (au bout de cinq mois) par renoncer. […] J’écris maintenant le Roi Pausole, avec un entrain qui serait beaucoup plus grand si je n’avais encore à secouer l’habitude prise pendant 150 soirées de “faire semblant de travailler”»…
– [28 décembre]. Entrevue entre Agend. [Heredia] et Véhicule [Marcel Prévost]…
– [29 décembre]. «L. est triste d’attendre encore quarante-huit heures la permission de te voir ; elle me l’a dit gentiment et sans reproches». Réception à l’Institut.

On joint un télégramme (14 septembre) en langage codé.
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