Lot n° 87

Malcolm de CHAZAL (190-1981). — Manuscrit autographe signé, Lettre à W.H. Auden, Curepipe (île Maurice) 8 décembre 1964 ; 24pages in-4 sur papier bleuté.

Estimation : 600 - 800
Adjudication : 650 €
Description
Longue et remarquable lettre ouverte sur la poésie, en hommage au poète anglais Wystan Hugh Auden (1907-1973). [Auden avait préfacé la traduction américaine de Sens-Plastique de Chazal en 1948.]

Chazal réagit aux remarques du critique Gross, qui n’a rien compris. … «Le drame du poète a toujours été son incapacité de se déplacer dans l’autre, chose que fait naturellement l’enfant, qui “devient” fleur pour connaître la fleur, qui “devient” chrysalide pour connaître la chrysalide. Et celui qui ne sort pas de lui, même par l’acte gratuit, ne connaîtra rien. Tout le reste est prométhéisme et littérature. Je voudrais ici expliquer le drame du poète. Tous les poètes – je parle de ceux dignes de ce nom, et pour qui la poésie est moyen de connaissance, – ont compris que pour arriver à la réalité essentielle il fallait se mettre au-delà des antinomies, abolir les contraires. Car on ne saurait retrouver Dieu dans un jeu d’oppositions. Ainsi le poète a toujours voulu se porter au-delà des antinomies du bien et du mal. [...] Nous avons Baudelaire, Edgar Poë, Rimbaud, les surréalistes qui pèsent sur le plateau “mal” de la balance morale, afin de faire échec au Dieu.

William Blake, lui, dans sa démarche au-delà de la morale, a prôné le Mariage du Ciel et de l’Enfer, ce qui était renforcer l’équivoque, car le bien et le mal, au sein de leurs oppositions magiques, se rejoignent dans l’équivoque. C’est Frédéric Nietzsche enfin qui, cherchant à se porter au-delà du bien et du mal, se porte au mythe du surhomme et à la volonté de puissance et exalte aussi la contrainte. Le drame de Nietzsche c’est que, après avoir dit que “Dieu est mort” c’est de n’avoir pu désigner le lieu où Dieu est enterré. Car Dieu a pour tombe toutes les églises de la terre. Le poète, comme l’enfant, voit Dieu au-delà des églises : l’univers est son temple. Le drame de Nietzsche c’est qu’il n’était pas assez poète. S’il était comme un petit enfant, il aurait connu Dieu au-delà du bien et du mal, car le Dieu de l’enfant n’est pas le Dieu moral, mais le Dieu de l’innocence. [...] Le drame d’Arthur Rimbaud a été les mots. Rimbaud n’a pu se porter au-delà des mots. Et lorsque les mots l’ont enfermé, Rimbaud aurait dû prendre le pinceau. […] Les prophètes juifs n’étaient que des inspirés donc des poètes, des justes. La Bible elle-même est le Livre du Juste. On en a fait ce livre moral et s’en est dégagée la religion chrétienne, traînant son fétichisme. [...] L’unité de la Bible est dans la Poésie. […]

L’éternité n’est qu’une vie poétique sans fin, inséparée du couple. La connaissance de Dieu par le couple est tout le royaume de Dieu. La chute a commencé avec la chute du couple et l’humanité est rachetée par le couple telle que présenté par l’Époux et l’Épouse de l’Apocalypse. [...] Qu’est-ce qui se passe aujourd’hui? […] À la place de l’harmonie du couple par la vraie hiérarchie il y a le faux équilibre par l’égalité des sexes qui engendre le sexe neutre [...] Ce “sexe neutre”, vice de la forme et lié aux complexes, c’est le même que nous retrouvons dans le cas des machines, l’auto qui ne peut copuler avec l’auto, mais donne une nouvelle auto, l’auto qui par le fait est œuvre d’impuissance dans un geste aphasif, répétitif»... Etc.

En tête, Chazal a ajouté quelques mots d’envoi à Marie-France Armstrong-Rose.
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