Lot n° 193

Gustave FLAUBERT (1821-1880). L.A.S. « G. », [Croisset] Dimanche soir [15 janvier 1854], à Louise Colet ; 5 pages et demie in-8.{CR}Belle lettre sur le style, et sur la littérature, où Flaubert raille Musset.{CR}Il est « très peiné »,...

Estimation : 3000 - 4000
Adjudication : 6 500 €
Description
et fait des excuses pour son jugement sur le poème de Louise, La Servante, quelle a trouvé « acerbe et injurieux. Mon intention a été tout autre. Il est vrai (comme tu me l’écris) que j’étais, dans ce travail, irrité. Il m’avait considérablement agacé les nerfs », en travaillant « au microscope. – Ce qui m’y a révolté, c’est de voir gaspiller tant de dons du ciel, par un tel parti pris de morale ». Il n’est pas « insensible aux malheurs des classes pauvres etc. Mais il n’y a pas en littérature de bonnes intentions : le style est tout. Et je me plains de ce que dans La Servante tu n’as pas exprimé tes idées par des faits ou des tableaux. Il faut avant tout, dans une narration, être dramatique, toujours peindre ou émouvoir, et jamais déclamer. Or le poète dans ce poème déclame trop souvent. Voilà ma plus grande critique. J’y joins la non-gradation des caractères »… Il revient ensuite sur quelques « critiques de détails »…{CR}Puis il parle d’Alfred de Musset [un des amants de Louise Colet] : « Je n’ai point du tout oublié la conduite du sieur Musset, et les sentimens que je lui porte sont loin d’être bienveillants. J’ai voulu seulement dire que le châtiment dépassait l’outrage. Il est certain qu’à sa place j’aimerais mieux recevoir un soufflet dans la rue que de tels vers à mon adresse ».{CR}Louise, « pauvre chère Muse », a mal pris ce que Flaubert lui disait d’Alphonse Karr [que Louise avait poignardé] : « Me supposes-tu donc assez goujat pour te rappeler ces choses dans une intention blessante ? Non ! Si tu avais toujours eu pour conseillers des gens d’un sens pratique aussi bourgeois que moi, et que tu les eusses écoutés, il y a bien des choses qui t’arrivent et qui ne t’arriveraient pas ? […] On est toujours ridicule quand les rieurs sont contre vous. Voilà ce que j’entendais, et les rieurs sont toujours du côté des forts, de la mode, des idées reçues etc. – Pour vivre en paix, il ne faut se mettre ni du côté de ceux dont on rit, ni du côté de ceux qui rient. Restons à côté, – en dehors– mais pour cela il faut renoncer à l’action ». Et il cite Épictète et La Rochefoucauld… « En suivant ces idées-là, on est ferme dans la Vie et dans l’art. Ne sens-tu pas que tout se dissout, maintenant, par le relâchement, par l’élément humide, par les larmes, par le bavardage, par le laitage. La littérature contemporaine est noyée dans les règles de femme. Il nous faut à tous prendre du fer pour nous faire passer les chloroses gothiques que Rousseau, Chateaubriand & Lamartine nous ont transmises. Le succès de Badinguet [Napoléon III] s’explique par là. Il s’est résumé celui-là. Il n’a pas perdu ses forces en petites actions divergentes de son but. Il a été comme un boulet de canon, pesant et roulé en boule. Puis il a éclaté tout d’un coup & l’on a tremblé. – Si le père H. [Hugo] l’eût imité il eût pu faire en poésie, ce que l’autre avait fait en politique, une chose des plus originales. Mais non, il s’est emporté en criailleries. La Passion nous perd tous »…{CR}Il lui rapportera les lettres de Hugo et celles de Musset, et renvoie le billet de Béranger et les vers de Vigny…{CR}« Tu m’as envoyé ce matin une très belle pensée : “ô humanité, que tu me dégoûtes !” Je vois que tu fais des progrès en philosophie. Je ne saurais que t’en applaudir »…{CR}Correspondance (Pléiade), t. II, p. 507.
Partager