Lot n° 135

Donatien-Alphonse-François, marquis de SADE. L.A., [donjon de Vincennes 22 mars 1779, à Marie-Dorothée de Rousset] ; 4 pages in-4 remplies d’une petite écriture serrée.{CR}Très belle et longue lettre de prison à son amie, protestant contre...

Estimation : 2500 - 3000
Adjudication : 3 250 €
Description
la privation de liberté.{CR}[Née en 1744, Mademoiselle de Rousset était une amie de jeunesse de Sade. Lors de la réincarcération du marquis en 1778, elle vint à Paris près de la marquise pour la soutenir et l’aider dans ses démarches pour faire libérer son mari.]{CR}« Eh bien ! ma chere Sainte, voila le jour de l’an passé et vous n’etes point venue me voir. Je vous ai attendu inutilement toute la journée, je m’étois fait joli garçon, j’avois mis de la poudre, de la pommade, j’étois rasé de près, je n’avois point les bottes fourrées, mais une belle paire de bas de soiye verte, une culotte rouge, une veste jaune et un habit noir avec un beau chapeau brodé d’argent. Enfin, j’étois un tres elégant seigneur, les pots de confiture étoient en bataille ; j’avois aussi préparé un petit concert : trois tambours, quatre timbales, dix huit trompêtes et quarante deux cors de chasse et tout cela devoient executer une jolie petite romance que j’avois fait pour vous, vous auries eu les oreilles, les yeux et le cœur vraiment delectés de la petite fête que je vous préparois, et point du tout j’en ai été pour mon étalage. Ce sera pour l’année prochaine, mais une autre fois ne me faites pas venir comme cela l’eau à la bouche, pour me planter là après, parce que ça me ruine en frais »...{CR}Il la raille pour ses lettres « en colonnes », car elle doit bien sentire « que quand on me parle d’affaires ici, ce n’est qu’une pure boufonerie, cest Sancho Pança dans son isle, à qui on fait croire que tout le monde attend ses ordres. C’est un petit persiflage auquel soit dit (sans la moindre rancune) vous vous pretes comme au reste vous avez trouvé le ton de me mentir et de me persifler etabli, on vous a persuadé qu’il fallait vous y soumettre aussi, qu’il n’y avoit rien de si joli, et surtout rien qui dût travailler à ma radicale restauration comme cela. [...] Oui Sainte Rousset vous l’aves fait et quand nous serons tous deux tete a tete je vous fairai convenir que vous m’aves ecrit des choses tres deplacées pour ma situation ». Il ne demande pas qu’on le flatte, mais qu’on lui « dise la vérité » ; et si on ne peut la lui dire, « il ne faut pas au moins tournailler pour me faire entendre que ça doit être long, parce qu’alors, le faire entendre sans le designer, cest faire aller ma tete beaucoup plus loin peutetre qu’il ne le faudroit, et me desespérer »… Il vaut mieux ne rien dire.{CR}Il faut aussi (Mme de Sade a fini par renoncer à cette folie) arrêter de « vouloir me faire croire que l’on travaille, que l’on écrit, que l’on sollicite, que l’on ne répond point que les oncles les tantes le diable... Eh ! non Sainte et tres Sainte Rousset pas un mot de tout cela, chantes sur un autre air je vous en prie si vous voulez que je vous ecoute. Tout cela est bon pour les prisoniers ordinaires cest ce qu’on appelle les amuser. Mais moi on ne m’amuse point, mon temps est fixé […] je demande à scavoir quel il est voila mon seul desir »… {CR}Après avoir cité quelques vers de Voltaire, il déclare que le langage de la raison « n’est pas fait pour les femmes, ce sexe charmant qui la fait perdre ne doit savoir l’entendre ni la parler. Eh ! puis quelle raison voules vous attendre d’un homme qu’on traite comme s’il n’en avait point ». On a épointé les mouchettes que lui a envoyées sa femme, « de peur que je ne me tue avec, vous voyies bien que je suis bien eloigné de la fin de mes malheurs et qu’on prévoit que j’aurai sans doute encor beaucoup d’occasion de desespoir puisqu’on prend tant de soin à eloigner de moi tout ce qui pourroit en rendre les effets funestes »… On employait ce procédé pour Damiens et d’autres illustres scélérats… Il s’emporte contre les hommes bornés qui le privent de sa liberté, et il se croit « au milieu de la république des ânes », et il s’exclame : « O homme que tu es petit et vain ! à peine as tu le temps de voir le soleil, à peine effleures tu l’univers que tu ne t’occupes que du soin cruel d’y tracasser tes semblables […] Malheureux ver de terre qui n’a que quelques heures à ramper comme moi, jouis, et ne me troubles pas, rabaisse ton orgueil qui ne te vient que de ta sottise et si le hazard t’a placé reellement ou accidentellement au dessus de moi, c’est à dire si tu broutes l’herbe dans un coin un peu meillieur, n’en profite que pour me rendre heureux. Sainte Rousset si dans toutes les races d’animaux que nous connaissons sur la terre, il y en eut une qui se fut faire des prisons, et puis qui se condamnassent mutuellement à ce joli petit supplice ne la détruirions nous pas comme une espece trop cruelle à laisser subsister ici bas ?... Je ne crois pas qu’il y ait jamais eu un vertige pareil à celui de ces prisons. Premierement c’est un abus réel et des loix et de l’humanité si tellement reconnu que les lettres de cachet sont contre les constitutions de l’état. […] Si j’ai mérité la mort qu’on me la fasse souffrir je suis tout prêt, sinon qu’on ne me fasse pas inutilement tourner l’esprit ici entre quatre murs, et le tout pour satisfaire à la vengeance de deux ou trois drôles d’Aix qui mériteraient cent coups de barres... […] La prison... la prison... toujours la prison on ne scait que ça en France, un homme est doux honete, il a fait une malheureuse faute que ses ennemis ont agravée pour le perdre… la prison »… Avant, il était un homme libre, « et apresent je suis un animal de la ménagerie de Vincennes ». {CR}La lettre glisse vers l’érotisme : « Ce lit de camp me dira donc bien des choses un jour ! Je ne scai pas trop ce quil me dira, mais je scai bien que quand ji recoucherai, j’aurai surement de très mauvaises pensées, si un beau soir vous allies m’y trouver en allant vous y fourer… Aint dites Sainte Rousset... vous series bien ettonnée !... Vous sauveries vous ?... oui nest ce pas.. Eh bien voyies la difference quil y a entre nous deux, je vous proteste que si je vous rencontrais dans le mien, je m’y coucherois tout comme si de rien n’était. Vous n’êtes point philosophe vous autres femmes, vous vous effrayes toujours de la nature. Vous voules venir dans notre menagerie. – Non Sainte Rousset non vous êtes trop vieille pour ça, il faut avoir de dix à quinze ans pour être ici. Moi tel que vous me voyies je n’ai qu’onze ans, aussi je m’y trouve fort bien ». C’est bien Rousset qui vient tous les soirs dans la chambre de Sade sous forme de « souris sorcière [...] ce sera mon lit que je vous ouvrirai, au lieu de la souricière »...{CR}Et il termine : « Adieu je vous aime et vous embrasse comme la seconde meilleure et plus chère amie que j’aiye au monde. »{CR}Correspondance (Lély), XCVII.
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