Lot n° 11
Sélection Bibliorare

LIVRE D’HEURES (usage de Rome). — Heures dites de Richard de Vesvrotte. — En latin et en français, manuscrit enluminé sur parchemin. — France, vallée de la Loire (?), vers 1490-1500. — Avec 11 grandes miniatures et 18 petites miniatures...

Estimation : 80 000 - 100 000 €
Adjudication : Invendu
Description
attribuables à un artiste ligérien proche de Jean Poyer ou du moins sous son influence (avec l’Annonciation attribuable au Maître des Heures Morgan M. 388?). — 94 ff., précédés de 3 feuillets de gardes de parchemin et suivis de 5 gardes de parchemin, numérotation ancienne saute de 55 à 60, sans manque au niveau de la collation (cahiers réguliers de 8 feuillets) et donc il ne devait pas y avoir de miniature pour les Heures du Saint Esprit ni pour les Heures de la Conception (collation : i6, ii8, iii8, iv8, v8, vi8, vii8, viii8, ix8, x8, xi8, xii8), quelques réclames, parchemin réglé à l’encre rouge pâle, écriture en lettres bâtardes (deux modules d’écriture), texte copié sur 22 lignes, rubriques à l’encre bleue ou rouge foncé, bout-de-lignes avec ornementation à l’or liquide sur fonds rouge et/ou bleu, initiales KL avec ornementation à l’or liquide sur fonds rouge foncé ou bleu au calendrier, nombreuses initiales avec ornementation à l’or liquide (1- à 2-lignes de hauteur) sur fonds bleu ou rouge foncé, quelques initiales plus grande en bleu avec décor à l’or liquide sur fonds rouge foncé (3 à 4 lignes de hauteur, marquant les grandes divisions textuelles), une grande miniature à pleine page inscrite dans un cadre marbré lui-même inscrit dans un encadrement doré architecturé surmonté de deux putti avec phylactère dans la marge inférieure comportant une portion de texte brochant en écriteau (fol. 15), autres grandes miniatures de format cintré inscrites dans des bordures enluminées variées (fonds réservés ou dorés, motifs géométriques, feuilles d’acanthe colorées, fleurs et fruits, bestiaire et grotesques; autres fonds rouge foncé ou bleu avec décor de camaïeu d’or (motifs végétaux, rinceaux, grotesques) parfois associés à des motifs géométriques sur fonds dorés parfois avec des pierres précieuses stylisées), en tout 11 grandes miniatures et 18 petites miniatures (inscrites dans le texte), avec des bordures de trois-quarts dans les marges. Un feuillet rogné un peu court, mais sans gravité (f. 15), quelques débordements de peinture dans les bordures ; quelques écaillures de peintures, notamment aux habits de l’ange Gabriel dans l’Annonciation (fol. 15) et petite trainée de peinture au niveau du tabouret dans l’Annonciation.
Reliure de plein maroquin rouge du XVIIIe siècle, dos lisse orné de filets dorés et d’une dentelle dorée, avec pièce de maroquin citron rapportée et collée sur la longueur (voir ci-dessous), double filet doré et dentelle dorée en encadrement sur les plats, tranches dorées. Coins un peu émoussés, sans gravité; quelques petites épidermures; mors un peu frottés; quatre petits trous de vers en queue de dos, sans gravité. Beau manuscrit en bel état de conservation.
Au dos fut rajouté en long une pièce de maroquin citron avec les initiales suivantes: «M C D C R C L». Ce chiffre (ou série d’initiales) est encadré par le chiffre «double phi» serti de fermesses. Une note corrective à la notice descriptive (catalogue de la vente de la bibliothèque de Richard de Vesvrotte, Dijon, 1886) attribue ce double phi à la famille Fouquet. La présence d’un ex-libris au nom de Gourgue sur le contreplat supérieur et le mariage d’un membre de la famille de Gourgue avec un membre de la famille de Fouquet explique peut-être ce chiffre et initiales rapportés (voir Provenance ci-dessous).
Dimensionsde la reliure: 167x118 mm; dimensions des feuillets: 162x108 mm

Provenance:
1 - Manuscrit copié et enluminé en France, sans doute à Tours ou dans la Vallée de la Loire sur des bases stylistiques. L’usage liturgique des Heures de la Vierge est celui de Rome, un usage commun à l’ensemble de la chrétienté. Une origine tourangelle supposée des enluminures a été suggérée par des catalogues anciens (1886, 1991). Une première analyse stylistique suggère plus des artistes ligériens puisant au répertoire de Jean Poyer.
La présence de saints liés à la Bourgogne suggère un premier commanditaire, peut-être bourguignon ou franc-comtois, avec un suffrage consacré à saint Didier (ff. 86-87v) et un autre à saint Claude (ff. 80v-81v). Saint Didier fut évêque de Langres et donc est particulièrement honoré dans le Langrois. On soulignera aussi que saint Didier est inscrit au calendrier deux fois (deux saints distincts toutefois: saint Didier de Langres et saint Didier de Vienne) et que plusieurs églises en Bourgogne et en Franche-Comté sont placées sous le vocable de Saint-Didier. Une partie de la Bourgogne relevait de l’évêché de Langres. Il est intéressant de noter que le manuscrit a appartenu à une famille bourguignonne, bien que ce soit une possession plus tardive (voir
infra).
2 - Inscription au recto de la première garde : « Richard de Vesvrotte ». En fin de manuscrit, on trouve un ex-libris armorié fin XVIIIe s. ou début XIXe s., D’azur au chef cousu de gueules, chargé de trois besants d’or (ex-libris gravé signé JB Scotin) contrecollé sur le contreplat inférieur, avec la devise et le nom suivants : « Quo justior eo ditior » et « Bibliothèque de M. le Comte Richard de Vesvrotte ». Il s’agit d’un membre de la famille Richard de Vesvrotte (issue des Richard de Ruffey), propriétaires
entre autres du Château de Vesvrotte (Beire-le-Châtel) en Bourgogne : Charles-Marc-Rodolphe Richard de Vesvrotte (1757-1840), seigneur de Ruffey-lès-Beaune, de Trouhans et de Vesvrotte, président à la Chambre des comptes de Bourgogne, aventurier et voyageur, grand amateur d’art (on lui doit le sauvetage du tombeau de Philippe Pot). Un ex-libris très semblable (XVIIIe s.) est également gravé par « JB Scotin » pour son père Gilles Germain Richard de Ruffey (1706-1794), président de la
chambre des comptes de Bourgogne, homme de lettres et de culture, ami de Voltaire, Charles de Brosses et Buffon. Le fonds d’archives de la famille Richard de Vesvrotte et Richard de Ruffey fut acquis par les AD de la Côte d’or en 2016 (cote : 145 J).
Le manuscrit est décrit sous le no. 1187 de la vente de Dijon 1886 : Catalogue de la bibliothèque de M. le Comte de Vesvrotte…, Dijon, 1886, no. 1187 : « Les peintures appartiennent à l’École de Tours, elles sont aussi remarquables par la beauté du travail que par leur conservation ». La notice de la vente Vesvrotte indique aussi : « Reliure en maroquin rouge, dentelle, doré sur tranches au chiffre de Peiresc ». Il est intéressant de noter que l’identification de la reliure est corrigée dans l’extrait du
catalogue découpé et contrecollé dans le manuscrit. Un propriétaire successif a barré l’identification « Peiresc » pour proposer « Fouquet » à la place. Ainsi le « Fouquet » ne se réfère pas au peintre tourangeau, évidemment, mais à Nicolas Fouquet, surintendant des finances, qui avait aussi comme chiffre un double phi.
Le manuscrit a pu passer par descendance à Alphonse Richard de Vesvrotte (1802-1873), fils de Charles Richard de Vesvrotte, puis vendu dans le cadre de la vente organisée à Dijon en 1886.
3 - Inscription dans la marge supérieure du premier feuillet (calendrier, mois de janvier) : « Sarcelles ».
4- Ex-libris armorié d’un membre de la famille de Gourgue contrecollé sur le contreplat supérieur : « De la bibliothèque de M. de Gourgue ». On connait Alexis de Gourgue (né à Bordeaux en 1801-mort au château de Lanquais en 1885), vicomte de Lanquais (Dordogne), qui eut six enfants de Augusta-Philippine de Prunelé. Alexis de Gourgue fut aussi numismate et passionné d’histoire et de sciences. Une autre branche de la famille de Gourgue descendait de Guillaume François de Gourgue, époux d’Elisabeth de Lamoignon puis Agnès Claire Pinon. Ils eurent Auguste François de Gourgue (mort en 1839) qui épousa Aimardine Henriette Emilie de Fouquet (1800-1859), descendante de la branche cadette de la famille de Nicolas Fouquet, surintendant des finances sous Louis XIV, dont les enfants ont pu acheter ce manuscrit en 1886 : citons tout particulièrement Dominique Armand de Gourgue (1824-1893), marquis de Gourgue, maire d’Aulnay-sous-Bois. Le nom « Fouquet », qui est le nom de la mère de Dominique Armand de Gourgue, est peut-être lié à cette acquisition.
5- France, vente Paris, Drouot, 20 mars 1991 (Couturier et Nicolaÿ), lot 94 : « Superbe livre d’heures de la fin du XVe siècle, sans doute originaire de la région de Tours… ».
6- France, collection particulière.

Texte :
ff. 1-6v, Calendrier, en français, à l’encre bleue, rouge et brun foncée, un mois par feuillet, suivant généralement le calendrier « universel » de Paris mais on notera que le 3 janvier où l’on trouve généralement sainte Geneviève, on trouve ici l’Octave saint Jehan, que E. Drigsdhal indique comme « for use out of Paris ») ; signalons les saints suivants : Vincent (en bleu, 22 janv.) ; Amand (6 fév.) ; Desier (pour Didier de Langres, 11 fév.) ; Georges (en bleu, 23 avril) ; Nicolas (en bleu, 8 mai) ; Desier (pour Didier, évêque de Vienne, 23 mai) ; Eloi (en bleu, 25 juin) ; Thomas (en bleu, 4 juillet), Etienne (deux fois, 2 août ; en bleu, 3 août) ; Amand (26 oct.) ; Eloi (1 décembre) ; Claude (2 décembre) ; Nicolas (en bleu, 6 décembre) ; Nicaise (en bleu, 14 décembre) ; Claude (16 décembre) ; Thomas (en bleu, 21 décembre) ; Etienne (en rouge, 26 décembre) ; Thomas (de Cantorbéry, en bleu, 29 décembre).
ff. 7-10, Péricopes évangéliques.
ff. 10- 12v, Obsecro te, avec désinence masculine (fol. 11v), « … Et michi famulo tuo…. ».
ff. 12v-14, Prières, en latin : O intemerata ; Ave gaude Maria.
f. 14v, feuillet blanc.
ff. 15- 46, Heures à l’usage de la Vierge, à l’usage de Rome, avec matines (ff. 15-21v), laudes (ff. 22-28v), prime (ff. 29-31v), avec antienne, « Assumpta es » et capitule, « Que est ista », tierce (ff. 32-34), sexte (ff. 34v-36v), none (ff. 37-39), avec antienne, « Pulcra es » et capitule, « In plateis », vêpres (ff. 39v-43v), complies (ff. 44-46).
f. 46v, feuillet blanc.
ff. 47-50, Messe de la Vierge Marie.
ff. 50v-52v, Heures de la Croix.
ff. 53-54v, Heures du Saint-Esprit (pas de miniature mais il n’y a pas de manque à signaler au niveau de la collation et de ce cahier).
ff. 55-67v, Psaumes de la Pénitence, suivis des litanies (ff. 66-68v) avec Etienne, Laurent, Vincent, Damien, Gervais, Protais, Loup, Amand, Donat, Blaise, Nicolas, Louis, François, Leonard, Antoine, Gilles, Claire, Elisabeth, Ursule.
ff. 68-77, Office des morts, avec seulement trois leçons : (1) Credo quod ; (2) Qui Lazarum ; (3) Libera me.
ff. 77v-78v, feuillets blancs à l’exception d’un début d’inscription : « Le 15 jour de… ».
ff. 79-89, Suffrages aux saints avec : Michel, Sébastien, Nicolas, Claude, Antoine, François, Georges, Catherine, Marguerite, Avia (Avoye), Barbe (Sequitur Officium beate Barbare) (ff. 88v-90), Didier (ff. 90v-92v), Christophe, Apolline.
f. 89v, feuillet blanc, à l’exception d’une rubrique « Les heures de la concepcion Nostre Dame ».
ff. 90-91v, Heures de la Conception de la Vierge (il manque peut-être une miniature introduisant les Heures de la Conception de la Vierge, mais sans certitude ; il n’y a pas de manque au niveau de la collation et de ce cahier).
ff. 92-92v, feuillets réglés blancs.
ff. 93-93v, Suffrage à saint Louis, « Gloriose Ludovice, gloriosa regens… ».
ff. 94-94v, Prières en latin, rajoutées par une autre main (main du XVIe siècle).

Illustration :
Ce manuscrit contient 11 grandes miniatures et 18 petites miniatures.
f. 7, Saint Jean l’Évangéliste (petite miniature).
f. 10, Vierge à l’Enfant (petite miniature).
f. 15, Annonciation (grande miniature à pleine page) [matines des Heures de la Vierge].
f. 22, Visitation (grande miniature) [laudes des Heures de la Vierge].
f. 29, Nativité (grande miniature) [prime des Heures de la Vierge].
f. 32, Annonce aux bergers (grande miniature) [tierce des Heures de la Vierge].
f. 34v, Adoration des rois mages (grande miniature) [sexte des Heures de la Vierge].
f. 37, Présentation au temple (grande miniature) [none des Heures de la Vierge].
f. 39v, Fuite en Égypte (grande miniature) [vêpres des Heures de la Vierge].
f. 44, Vierge couronnée en prière, Dieu au ciel (grande miniature) [complies des Heures de la Vierge].
f. 47, Vierge au voile bleu, en prière (petite miniature). Cette figuration de la Vierge au voile bleu représentée à mi-corps se rencontre souvent dans l’œuvre de Jean Bourdichon, faisant écho aux vierges icônes italobyzantines.
f. 50v, Crucifixion, avec dans la bordure enluminée les instruments de la Passion (grande miniature).
f. 55, David couronné en prière, figuré à mi-corps.
f. 68, Job sur son tas de fumier, raillé par ses fils (grande miniature).
f. 79, Saint Michel l’Archange (petite miniature).
f. 79v, Martyre de saint Sébastien (petite miniature).
f. 80, Saint Nicolas et les trois enfants (petite miniature).
f. 80v, Saint Claude (petite miniature).
f. 81v, Saint Antoine Abbé (petite miniature).
f. 82, Saint François et les stigmates (petite miniature).
f. 82v, Saint Georges et la princesse en prière (petite miniature).
f. 83, Sainte Catherine (petite miniature).
f. 84, Sainte Marguerite (petite miniature).
f. 84, Sainte Avia [Avoye] (petite miniature).
f. 84v, Sainte Barbe (petite miniature).
f. 86v, Saint Didier (petite miniature).
f. 88, Saint Christophe portant l’Enfant Jésus sur ses épaules (petite miniature).
f. 89, Sainte Apolline (petite miniature).
f. 93, Saint Louis couronné et tenant un sceptre fleurdelisé (petite miniature).

Ce beau livre d’heures contient des miniatures peintes dans un milieu ligérien, fortement influencé par l’art de Jean Poyer [actif à Tours de circa 1483 (ou plus tôt en 1465 car un certain « Jean Pohier » apparait à cette date dans les comptes de la ville) jusque 1503/1504] et son atelier, appartenant à la génération de peintres qui succèdent à Jean Fouquet. Artiste d’une grande originalité, Jean Poyer fut un artiste de tout premier ordre dont l’œuvre fut étudiée par plusieurs historiens de l’art dont Mara
Hofmann qui en a dressé le catalogue raisonné (Avril et Reynaud, 1993, pp. 306-318 ; Hofmann, 2004 ; Tours 1500 (2012)). En 1504, le grand rhétoriqueur Jean Lemaire de Belges le cite dans un poème consacré aux peintres disparus et le compare à Hugo van des Goes et Roger van der Weyden. Jean Poyer exerça sans nul doute une influence sur les peintres localement et forma des émules et collaborateurs que la recherche s’efforce de mieux cerner.
Sans que les miniatures des présentes Heures soient de la main de Jean Poyer, l’artiste est sans conteste familier du style et des compositions de Poyer et cette familiarité laisse présager qu’il a pu travailler pour Poyer ou dans un proche atelier. On reconnait la main de cet artiste dans le manuscrit dit Recueil des Sibylles, peint vers 1500 (Münich, BSB, ms. Cod. icon. 414) : il peint des figures aux vêtements rehaussés d’hachures d’or étincelant, aux cols de certains habits sertis de lettrages dorés (par exemple la Vierge de l’Annonciation (f. 15), la Vierge couronnée (f. 44) ou David en prière (f. 55)), aux mains de taille un peu démesurée et aux traits de visage pensifs présentant des mines boudeuses (sur le manuscrit de Münich, voir Hofmann, 2004, pp. 125-126 et fig. 182-183). Cet artiste serait aussi responsable de certaines miniatures des “Heures dites de Henri III” (Cracovie, Musée Czartoryski, Ms. 3020, par exemple f. 183) et notre artiste présente des similitudes avec certaines miniatures d’un livre d’Heures à l’usage de Rome (Cambridge (Mass.), Houghton Library, Typ 614 ; certaines miniatures sont données par S. Gras (2017) au Maître des Heures de Morgan 388). On rapprochera le peintre des présentes Heures, et notamment les petites miniatures, de l’artiste de “style Jean Poyer” qui peint une miniature rajoutée (saint Bénigne) dans des Heures peintes pour Thomas Berbisey, secrétaire de Louis XI (Paris, BnF, latin 1374, fol. 144 ; voir E. Andrieu, “Un livre d’heures d’une famille bourguignonne”, in Mémoires de la Commission des antiquités de la Côte d’Or, 1938-1939, 21, pp. 404-405 ; Hofmann (2014), cité pp. 55, 83, 85, 146, 155). La miniature de saint Bénigne rappelle dans les Heures Vesvrotte les portraits en buste des saints Nicolas, Claude et Didier mais aussi le visage de Saint Louis (f. 90). Il est intéressant de noter que ce manuscrit (Paris, BnF, latin 1374) a appartenu à Thomas Berbisey, membre d’une famille bourguignonne et dont les fonctions et déplacements administratifs comme secrétaire de Louis XI ont permis un contact avec des ateliers hors Bourgogne tel celui de Jean Poyer et ses suiveurs. On peut suggérer que les Heures dites de Richard Vesvrotte ont pu être réalisées par un commanditaire en déplacement, faisant appel à un atelier ligérien mais “personnalisant” son manuscrit avec l’inclusion de saint Didier (ff. 90-92), saint Langrois et honoré en Bourgogne tout comme Thomas Berbisey ou son fils fit rajouter la miniature de Saint Bénigne, saint éminemment bourguignon. Les liens entre la Bourgogne et la Touraine sont avérés et citons par exemple Jean III d’Amboise, issu d’une célèbre famille tourangelle, qui fut évêque de Langres dans ces années-là (Jean III d’Amboise, évêque et Duc de Langres (1481-1498) et gouverneur de Bourgogne). Rappelons que son jeune frère Louis d’Amboise (1433-1503), évêque d’Albi, avait également sollicité un artiste tourangeau pour son missel peint par Jean Bourdichon (Naples, Bibliothèque nationale Vittorio Emanuele III, ms. I.B.21 ; Teresa d’Urso, “Un missel illustré par Jean Bourdichon pour Louis d’Amboise”, Art de l’Enluminure, n° 74, 2020, pp. 4-23).

Outre la miniature isolée de saint Bénigne attribuable à un émule ou associé de Poyer (Hofmann parle de “Poyer-Umkreis” pour cette miniature, on trouve dans les Heures de Thomas Berbisey (Paris, BnF, latin 1374) de grandes miniatures peintes par un autre peintre tourangeau (inspiré par Bourdichon ?). Ces grandes miniatures sont inscrites dans des bordures dotées d’un élément décoratif qui mérite d’être relevé, à savoir des petites pierres précieuses stylisées et colorées (noires, bleues, roses foncé ou vertes) inscrites dans de petits « chatons » dorés (voir Paris, BnF, latin 1374, ff. 1, 4, 8v, 16 etc.). Des motifs semblables sont inscrits aussi dans les bordures des présentes Heures dites de Richard Vesvrotte, par exemple aux feuillets 83 (suffrage de Sainte Catherine) et feuillet 90 (suffrage de Saint Louis). De même, une enluminure figurant une Nativité (anciennement Galerie Les Enluminures) attribuée au Maître de Morgan M. 388, un des meilleurs collaborateurs de Jean Poyer (nommé d’après les Heures conservées sous la cote New York, Pierpont Morgan Library, M. 388 ; voir l’état des lieux récent sur cet artiste par S. Gras, 2017), est sertie d’une bordure présentant un semé de ces mêmes pierres précieuses stylisées. Il y a des rapprochements de composition à effectuer entre les Heures Pierpont Morgan 388 et les Heures Vesvrotte mais surtout au niveau des petites miniatures. Les motifs « pierres précieuses » se retrouvent aussi dans les Heures dites de Henri III (Cracovie, Musée Czartoryski, Ms. 3020, par exemple ff. 221, 307, 373v et passim). Dans au moins quatre manuscrits liés à Poyer et/ou à son atelier, il semblerait que l’on trouve cet élément décoratif particulier.
Dans un autre manuscrit attribué à un artiste issu de l’atelier de Jean Poyer, des Heures à l’usage de Paris (New York, Pierpont Morgan Library, M. 9, peint à Tours, c. 1490-1500), on trouve de petites miniatures qui rappellent celles des Heures dites de Richard Vesvrotte avec force détails qu’il serait utile de relever, par exemple le traitement semblable des chairs, des hachures dorées des vêtements, des couronnes dans Morgan M.9 (fol. 83v) et dans les Heures Vesvrotte (Vierge en prière ; Saint Louis). Notre artiste peut aussi être associé à un livre d’heures peint dans le cercle de Poyer (Oxford, Keble College, ms. 23) et on trouve des éléments stylistiques communs avec le manuscrit Secrets des secrets (Paris, BnF, NAF 18145, vers 1490 ?) dont les miniatures sont dites de Poyer et de son atelier (Hofmann, 2014, pp. 163-165 et fig. 44-49 ; Avril et Reynaud, 1993, p. 313, Secrets des secrets (Paris, BnF, NAF 18145) : “A cet égard, le manuscrit est à rapprocher de toute une série d’œuvres témoignant que Poyer dut être à la tête d’un atelier actif et organisé (…)”). On trouve dans le Secrets des secrets, une représentation des quatre saisons, avec des arbres sectionnés au milieu du tronc pour la saison été (Paris, BnF, latin 1374, fol. 50) : un paysage semblable se retrouve en arrière-plan de la miniature de David en prière (f. 55) dans les Heures dites de Richard de Vesvrotte. Autre détail que l’on retrouve dans les manuscrits de Poyer et repris ici par notre enlumineur dans la Nativité, l’enfant Jésus couché dans un haut panier d’osier tressé (voir S. Gras, 2017, pp. 23 et 25).
Dans l’Annonciation (fol. 15), enluminure soignée et élégante, la plus grande des Heures dites de Richard Vesvrotte, il semble bien que l’artiste ait adopté des compositions spatiales qui rappellent celles de Poyer et on notera le souci de perspective et de profondeur, avec une ouverture au fond au moyen de la fenêtre ouverte. Un encadrement au décor de marbre vient se superposer sur une construction architecturée dorée composée de pilastres qui soutiennent une coupe flanquée de part et
d’autre de deux putti. Les visages de la Vierge et de l’ange Gabriel rappellent le style de Poyer avec des yeux (ici soulignés d’une touche de bleu) presque révulsés aux lourdes paupières et des bouches rouge carmin, évoquant par exemple les figures des anges peints par Poyer dans des Heures dites de Marie d’Angleterre peintes par Fouquet vers 1498 (Lyon, BM, ms. 1558, f. 50v). La figure de la Vierge dans l’Annonciation (fol. 15) des Heures dites de Richard Vesvrotte est à rapprocher de la Vierge peinte dans la scène de l’Adoration des mages (fol. 34v), suggérant que l’on est sans doute en présence d’un même peintre et son atelier pour l’ensemble des miniatures, même si l’on perçoit des différences de traitement, sans doute le résultat du parti pris de peindre les figures à mi-corps plus rapprochées (“dramatic close-ups”). On signalera l'influence aussi de Jean Bourdichon dans les petites miniatures.
Il y aurait fort à dire des bordures, dont celle intéressante qui présente les instruments de la Passion faisant écho à la scène de Crucifixion (fol. 50v). Certaines de ces bordures sont typiques des manuscrits tourangeaux de cette fin du XVe siècle (on relèvera la petite figure hybride zoomorphe au long cou qui revient plusieurs fois dans les marges dans les bordures cloisonnées mais aussi dans les bordures sur fonds rouge foncé au décor en camaïeu d’or, par exemple ff. 22, 32, 44, 47, 55). Les bordures présentant des décors floraux en camaïeu d’or sur fonds rouge foncé et bleu rappellent des bordures de manuscrits tels le Pontifical de Guillaume de Clugny (Vienne, ÖNB, Cod. 1819) peint dans un milieu tourangeau par le Maître de Jean Charpentier et achevé par le Maître du Missel della Rovere à la demande de Pierre III d’Amboise, évêque de Poitiers (voir Avril et Reynaud, 1993, p. 289 et 291).

Bibliographie :
Avril, F. et N. Reynaud, Les manuscrits à peintures en France, 1480-1520, Paris, 1993. – Chancel-Bardelot, B. dir. Tours 1500.
Capitale des arts, ed. Béatrice de Chancel-Bardelot, Pascale Charron, Pierre-Gilles Girault, Jean-Marie Guillouët, Paris, 2012.
– Elsig, F. (dir.). Peindre à Tours et à Angers aux XVe et XVIe siècles, Milan, Silavana Editoriale, 2022. – Gras, S. « L’atelier de Jean
Poyer à Madrid. Un missel au temps des fiançailles de Charles VIII et Marguerite d’Autriche », in Revue française d’histoire du
livre n° 138, 2017, pp. 7-39. – Hofmann, M. Jean Poyer : Das Gesamtwerk, Turnhout, 2004. – Wieck, R., W. Voelkle, K.M. Hearne.
The Hours of Henry VIII, New York, G. Braziller/The Pierpont Morgan Library, 2005.
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