Lot n° 9
Sélection Bibliorare

LIVRE D’HEURES (à l’usage de Cambrai). — En latin et en français, manuscrit enluminé sur parchemin. — France du Nord, sans doute Valenciennes, vers 1475-1480. — Avec 1 grande et 14 petites miniatures par l’atelier de Simon Marmion...

Estimation : 30 000 - 35 000 €
Adjudication : 38 400 €
Description
(1425-1489, actif de 1449-1489 à Amiens, Valenciennes et Tournai). — 84 ff., précédés et suivis de 3 feuillets de garde de papier, manuscrit lacunaire, collation impraticable, écriture bâtarde bourguignonne à l’encre brune, texte copié sur 24 lignes par page, réglure à l’encre rouge pâle (justification 105x70 mm), rubriques en rouge, certaines capitales rehaussées de jaune, nombreuses initiales à l’or bruni sur fonds rose et bleu avec rehauts blancs (1 à 2 lignes de hauteur), bout-de-ligne aussi à l’or bruni sur fonds rose et bleu rehaussés de blanc, grande initiale peinte en bleu avec rehauts blancs sur fonds rose avec décor de vignes colorées (5 lignes de hauteur), 14 petites miniatures serties de bordures latérales marginales et 1 grande miniature inscrite dans une bordure enluminée, bordures sur fonds réservés délimités par un filet doré, ornées de feuilles d’acanthe de couleur brun-doré et bleu laissant paraitre parfois les racines, de feuillages, de fleurs et d’oiseaux, quelques mots ajoutés à une période postérieure pour pallier les textes incomplets.
Reliure du XIXe siècle de maroquin rouge, dos à 4 nerfs cloisonné et fleuronné, plat avec décor doré à la cathédrale, contregardes de papier marbré, roulette dorée sur les contreplats, coupes guillochées, tranches dorées (coins un peu émoussés, mors supérieur un peu fragile, quelques épidermures mais néanmoins bon état général de la reliure).
Quelques frottements ou décharges d’encre; quelques taches éparses au parchemin. Malgré les lacunes, le texte et les enluminures sont en bel état de conservation.
Dimensions des feuillets: 158x110mm; dimensions de la reliure: 164x122mm

Provenance:
1- Ce manuscrit est copié pour l’usage liturgique bien précis de Cambrai et il contient des litanies qui font la part belle aux saints honorés très localement dans le diocèse de Cambrai (voir Texte ci-dessous, ff. 76v-79v). Les nombreuses rubriques en français font état de particularismes liés à la langue du Nord de la France et plus particulièrement dans le Hainaut et Cambrésis. Toutefois, il apparait que ce livre d’heures fut peint à Valenciennes: on rappellera que Valenciennes relevait du diocèse de Cambrai. La présence de saint Jean-Baptiste au tout début des litanies, juste après les archanges et anges, avant saints Pierre et Paul, dénote une dévotion particulière à saint Jean-Baptiste, peut-être liée à l’abbaye Saint-Jean-Baptiste de Valenciennes. La litanie dans les présentes heures est particulièrement longue. On trouve dans un manuscrit plus tardif une litanie semblable, également fort longue (voir Heures de Guillaume Braque (vers 1520), réalisé pour un abbé de l’abbaye Saint-Jean-Baptiste de Valenciennes; Londres, Sam Fogg (1998) no. 32: recensé dans G. Clark, Beyond Use, LndnFoggInv04406/11685).
Sur des bases stylistiques, les enluminures et décors sont à rattacher à Simon Marmion et son atelier (actif à Valenciennes de c. 1449-1489). On soulignera le style très particulier de bordures sur fonds réservés délimités par un filet doré, ornées de feuilles d’acanthe de couleur brun-doré et bleu laissant paraitre parfois les racines, de feuillages, de fleurs et d’oiseaux. Ce type de bordure caractéristique se retrouve dans d’autres manuscrits liés à Simon Marmion et son atelier, par exemple dans les feuillets provenant des Heures Berlaymont (San Marino, Huntington Library, HM 1173, Valenciennes, datable circa 1470-1475; voir Kren et McKendrick, 2003, cat. 12, pp. 108-110), dans les feuillets des Visions du chevalier Tondal (Los Angeles, Getty Museum, MS 30, Valenciennes et Gand, datable 1475; voir Kren et McKendrick, 2003, cat. 14, pp. 112-116), dans la Vision de l’âme de Guy Thurno (Los Angeles, Getty Museum, MS 31, Valenciennes et Gand, datable 1475; voir Kren et McKendrick, 2003, cat. 13, pp. 111-112) et dans la Vie de sainte Catherine (traduction de Jean Miélot), manuscrit acquis par la BnF en 2008 (Paris, BnF, NAF 28650, Valenciennes et Gand, datable vers 1475, voir Bousmanne et Delcourt, 2011, cat. 111, pp. 397-398). Il est intéressant de noter que Marmion et son atelier ont adopté ce type de bordure avant de s’aligner sur le modèle des bordures ganto-brugeoises. Sur le type de bordures dans les présentes heures, on consultera Hindman, 1992 et Hindman, 2023.
2- Sam Fogg, Londres (2013) et avant Galerie Les Enluminures, Paris et Chicago, Picturing Piety : The Book of Hours (2008), cat. 13, no. 22). Ce manuscrit est recensé dans la base de données G. Clark, Beyond Use (Sewanee), EnluminuresCat13#22.
Ce manuscrit est recensé dans la base de données G. Clark, Beyond Use (Sewanee), EnluminuresCat13#22.
Ce manuscrit est certes fragmentaire mais il renferme des enluminures d’une grande délicatesse qui sont associées à Simon Marmion et son atelier. Il est réalisé selon la technique très prisée par Simon Marmion de “semi-grisaille.” Apparue au cours du XIVe siècle, la grisaille est une peinture en camaïeu utilisant toutes les tonalités allant du noir au blanc. Elle connait toutefois de nombreuses variantes, dont celle appelé aussi « semi-grisaille » ou « demi-grisaille », où le gris neutre se réchauffe subtilement aux teintes plus chaudes des visages et à différentes nuances présentes dans les fonds ou autres éléments (voir les travaux sur la grisaille d’Elliot Adam (Thèse « De blanc et de noir ». La grisaille dans les arts de la couleur en France à la fin du Moyen Âge (1430-1515)) et Hindman, 2023, p. 227).
Surnommé le “prince de l’enluminure” par le poète Jean Molinet dans sa Couronne margaritique (1505), né à Amiens en 1425 (son père Jean Marmion est peintre à Amiens), Simon Marmion s’établit à Valenciennes en 1458 pour se rapprocher des mécènes et commanditaires influents que furent les ducs de Bourgogne. Il a été suggéré que ce manuscrit a pu être peint dans un milieu proche de l'abbaye Saint Jean-Baptiste de Valenciennes. De plus amples recherches sont nécessaires et il contient en tout cas une série de litanies atypiques que l'on trouve dans au moins deux autres manuscrits liés à valenciennes/Cambrai à savoir : Valenciennes, BM, MS 111 (mais qui est un Collectaire à l'usage bénédictin) et les Heures de Guillaume Braque, anciennement Sam Fogg, 1998, no. 32.
L’abbaye Saint-Jean-Baptiste (diocèse de Cambrai) est fondée à Valenciennes en 662 : c’était une abbaye bénédictine située à proximité de l’actuelle place d’Armes. Jusqu’à la fin du XIIe siècle, c’est l’abbaye Saint-Jean-Baptiste qui détient le monopole scolaire à Valenciennes. Elle possède tous les pouvoirs d’ordre spirituel sur les écoliers et sur les clercs résidant à Valenciennes. Elle connut la réforme d’Arrouaise au XIIe siècle et donc l’abbaye abritera des Chanoines réguliers d’Arrrouaise. Nous savons que cette abbaye Saint-Jean-Baptiste commissionna des tableaux attribués à Simon Marmion (maintenant disparus, brûlés dans l’incendie qui ravagea l’abbaye en 1520 ; voir M. Hénault, « Les Marmion (Jehan, Simon, Mille et Colinet). Peintres amiénois du XVe siècle », in Revue archéologique, 4e série, t. IX : « Tableaux de l’abbaye de Saint-Jean. - Comme dernier travail exécuté par Simon Marmion à Valenciennes, nous citerons, sans pouvoir du reste en donner les titres, plusieurs tableaux qui ornaient l’abbaye de Saint-Jean. Les historiens contemporains ou quelque peu postérieurs sont unanimes à déclarer que ces peintures étaient « fort exquises » - ce qui tendrait à faire croire que Simon Marmion, habile enlumineur, traita le plus souvent ses sujets de tableaux comme les miniatures, c’est-à-dire sur des toiles de dimensions restreintes. Ces œuvres d’art remarquables furent détruites lors de l’incendie qui se déclara le 11 juin 1520 » (p. 138)). Sur cette abbaye, on consultera Louis Le Merchier, Abbregé de la naissance et progrez de la maison et Abbaye de S. Jan en Vallencienne, Douai (1635).
Ce manuscrit fut réalisé par un artiste qui se situe au-dessus du lot et nous parait proche de Simon Marmion, très certainement membre de son atelier. Il est important de souligner que les bordures sont les mêmes qu’un petit groupe de manuscrits tous attribués à Simon Marmion et datables des années 1470-1475. À propos des Heures Berlaymont qui présentent ces mêmes bordures, citons T. Kren : “The book has a rare style of decorative border that appears only in manuscripts illuminated by Marmion, notably Les Visions du chevalier Tondal (cat. no. 14), La Vision de l’âme de Guy de Thurno (cat. no. 13), L’Histoire de Madame Sainte Katherine (France, private collection) [depuis Paris, BnF, NAF 28650], L’instruction d’un jeune prince (Cambridge, Fitzwilliam Museum)” (Kren et McKendrick, 2003, p. 109). Les figures des miniatures sont étonnamment proches de celles peintes par Marmion et la palette retenue (vert malachite, rose saumoné, bleu profond et brun avec des rehauts dorés) est celle adoptée par Marmion dans les années 1470-1480 : il faut voir dans cet artiste un collaborateur proche du grand peintre de Valenciennes. Dans tous les cas, les présentes heures reflètent bien le travail d’atelier autour de Simon Marmion, à une date (vers 1475) où Marmion réalise au moins trois de ses chef-d’oeuvres à savoir les Visions du chevalier Tondal (Los Angeles, Getty Museum, MS 30), la Vision de l’âme de Guy Thurno (Los Angeles, Getty Museum, MS 31) et la Vie de sainte Catherine (traduction de Jean Miélot), manuscrit acquis par la BnF en 2008 (Paris, BnF, NAF 28650). Citons aussi un feuillet provenant d’un livre d’heures et figurant la Vierge à l’Enfant devant un donateur, avec des bordures semblables (Paris, École nationale des Beaux-arts, M. 130 ; voir Avril et Reynaud, 1993, no. 41, p. 89 : “La bordure aux belles acanthes touffues bleu et viel or, entremêlées de fleurs d’un rouge et d’un bleu éteints aux tiges et feuillages dorés, est tout à fait apparentée à celles des Heures de Berlaymont (San Marino, Huntington Library, HM. 1173)…”). Sur l’atelier de Simon Marmion, on consultera les travaux de Marc Gil et son article consacré à un livre d’heures peint au sein de l’atelier (Paris, BnF, NAL 3214 ; Gil, M. « Un livre d’heures inédit de l’atelier de Simon Marmion à Valenciennes », in Revue de l’art (121), 1998, pp. 43-48 ; voir aussi Gil, M. « Picardie-Hainaut : Quelques remarques sur les livres d’heures produits par le Maître de Rambures et Simon Marmion », in Books of Hours Reconsidered ed. S. Hindman and J. H. Marrow, London, 2013, pp. 265-277, avec une liste en appendice : “Livres de devotion pour lesquels Simon Marmion a participé, en partie ou en totalité, à la décoration” – le présent manuscrit est listé p. 276.

Texte :
ff. 1-3v, Heures de la Vierge, avec sexte, antienne, In prole mater ; capitule, Gaude Maria ; répons, Dignare me (manuscrit lacunaire mais cela correspond à sexte des Heures de la Vierge selon l’usage de Cambrai).
ff. 4-24v, Heures abrégées des jours de la semaine, avec pour mardi, Heures de tous les saints (ff. 4-7v), avec rubrique, S’ensieuent les heures de tous les sains lesquelles on doit dire les mardis a matines ; pour mercredi, Heures du Saint-Esprit (ff. 8-11v), avec rubrique, Chy apres s’ensieuent heures du saint esperit lesquelles se dient les merquedis a matines ; pour jeudi, Heures du Saint Sacrement (ff. 11v-15v), avec rubrique, Chi après s’ensievent les heures du sacrament lesquelles se dient les yoedis ; pour vendredi, Messe pour les morts (il manque matines et laudes) (ff. 16-20v) ; pour samedi, Heures de la Vierge (ff. 21-24v), avec rubrique, S’ensieuent les heures de nostre damme pour le sampdy a matines.
ff. 25-28v, Heures de la Vierge, fin de laudes, suivi de Prières pour la Paix et tous les saints.
ff. 29-32, Messe de la Vierge (manque le début).
ff. 32-35, Extraits évangéliques.
ff. 35-35v, O intemerata (manque la fin).
ff. 36-46v, Office des morts (fragmentaire). On relève toutefois les répons suivants : VII, Si facta mea ; VIII, Memento mei ; IX, Libera me.
ff. 47-51, Suffrages aux saints : Marguerite (manque le début), Elisabeth, Apolline, Marie-Madeleine, Barbe, Ursule, Tous les saints et Saint-Esprit.
ff. 51v-52, Sept vers de saint Bernard, rubrique, Chy après s’ensieuent les .viii. [sic] vers saint Bernard”.
ff. 52-53v, Prière pour des indulgences, Ceste orison qui s’ensieult fu trouvée deriere l’autel saint piere a romme et li pape Jehan de ce nom .xii. donna a tous cheulx et celles qui devotement diront ceste orison qui s’ensieult en quelconques eglise ou chimentiere que ce soit avec ung pater noster et ave maria pour autant d’ans de pardons qu’il y a eult de corps ensepveli en le ditte eglise et chimentiere depuis le premier ensepveli jusques que on dira le ditte orison.
ff. 53v-54, Sept paroles du Christ sur la Croix, rubrique, S’ensieuent les .vii. parolles que nostre signeur dist pendant en la croix.
ff. 55-55v, Recommandation des âmes (“Prières des commandasses”), rubrique, S’ensieuent les commendes des ames.
ff. 55v-84v, Psaumes et prières, suivis des litanies (ff. 76v-79v). Relevons les saints et saintes suivants honorés dans le Cambrésis et Hainault : saint Jean-Baptiste (fol. 76v, le premier saint nommé après les archanges et anges, avant saints Pierre et Paul), Lambert, Vaast (évêque d’Arras et de Cambrai), Géry (Gaugericus, évêque de Cambrai), Aubert (évêque de Cambrai), Vindicien (évêque de Cambrai), Amand, Eloi, Ghislain, Landelin (fondateur des abbayes de Lobbes et de Crespin), Wasnulphe, Acarius, Humbert, Ragenfrède ou Renfroie, abbesse de Denain, Maxellende de Caudry, Gertrude, Aldegonde, Waudru.

Illustration :
Ce manuscrit contient une (1) grande miniature illustrant les Heures de la Vierge (sexte)
f. 1, Adoration des rois mages. Suivent quatorze (14) petites miniatures :
f. 4, Tous les saints.
f. 8, Pentecôte.
f. 11v, Procession pour la Fête-Dieu, en tête de procession, un clerc tonsuré portant un ostensoir (Fête du Saint-Sacrement).
f. 21, Annonciation.
f. 47, Sainte Elisabeth.
f. 47v, Sainte Apolline.
f. 48, Marie-Madeleine.
f. 48v, Sainte Barbe.
f. 49v, Sainte Ursule et les Onze Mille Vierges.
f. 50, Tous les saints (Assemblée de saints).
f. 50v, Ascension.
f. 51v, Saint Bernard et le diable.
f. 52v, La Mort (cadavre portant un cercueil et une pelle pour ensevelir).
f. 53v, Crucifixion.

Bibliographie :
Ainsworth, M. W., “New Observations on the Working Technique in Simon Marmion’s Panel Painting”, in Margaret of York, Simon Marmion and the Visions of Tondal, ed. T. Kren (1992), pp. 243-256. – Avril, F. et N. Reynaud, Les manuscrits à peintures en France, 1440-1520, Paris, 1993, “Simon Marmion”, pp. 80-89. – Bousmanne, B. et T. Delcourt (dir.), Miniatures flamandes :
1404-1482, Pari et Bruxelles, 2012. – Clark, G.T. « Toward a history of use : Beyond saints : variant litany readings and the localization of late Medieval manuscript books of hours : the d’Orges Hours », in Books of Hours Reconsidered, ed. S. Hindman
and J. H. Marrow, London, 2013, pp. 213-233. – Clark, G.T. “The Hours of Guillaume Rolin (Madrid, BNE, Res. 149) and Simon Marmion : A Reconsideration” in Lumières du Nord : Les manuscrits enluminés français et flamands de la Bibliothèque
nationale d’Espagne, edited by Anne-Marie Legaré and Samuel Gras, 189-210. Lille, 2022. – Gil, M. « Un livre d’heures inédit de l’atelier de Simon Marmion à Valenciennes », in Revue de l’art (121), 1998, pp. 43-48. – Gil, M. « Picardie-Hainaut : Quelques remarques sur les livres d’heures produits par le Maître de Rambures et Simon Marmion », in Books of Hours Reconsidered ed. S. Hindman and J. H. Marrow, London, 2013, pp. 265-277. – Hindman, S., D’Ancona, M., Palladino, P. and Saffiotti, M. F. The Robert Lehman Collection, IV Illuminations, New York, 1997, pp. 61-72. – Hindman, S. “Chapter 11. The Case for Simon Marmion – Once Again », in Collectors, Commissioners, Curators. Studies in Medieval Art for Stephen N. Fliegel, ed. Elina
Gertsman, 2023, pp. 213-232. – Kren, T., and McKendrick, S. Illuminating the Renaissance : the Triumph of Flemish Manuscript Painting in Europe, Los Angeles, 2003. – Kren, T., and. Wieck, R. S. The Visions of Tondal from the Library of Margaret of York, Malibu, 1990. – Legaré, A.-M. « L’héritage de Simon Marmion en Hainaut (1490-1520) », Valenciennes aux XIVe et XVe siècles. Art et histoire, sous la direction de L. Nys et d’A. Salamagne, Valenciennes, 1996, pp. 201-224.
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