Description
MARAT (Jean-Paul). Manuscrit autographe intitulé « Lettre de l'ami du peuple à l'auteur des Révolutions de France et de Brabant ». [Juin 1790]. 7 ff. in-4 montés sur onglets sur feuillets de papier fort in-folio ; incomplet de la fin, quelques traces de brûlure aux angles. IMPORTANT PAMPHLET POLITIQUE ADRESSE A CAMILLE DESMOULINS. Désireux de lancer une grande « démonstration patriotique » contre ce qu'il estimait être les manquements de l'Assemblée nationale, Jean-Paul Marat écrivit deux textes qu'il aurait voulu diffuser concurremment : l'un, intitulé « Supplique de dix-huit millions d'infortunés, aux députés de l'Assemblée nationale », qu'il publia le 30 juin 1790 dans le n° 149 de son propre organe de presse, L'Ami du peuple, et l'autre, la présente « Lettre de l'ami du peuple » qu'il souhaitait voir paraître dans l'hebdomadaire très lu de Camille Desmoulins Les Révolutions de France et de Brabant. Cependant, cette initiative venait à un moment peu propice aux récriminations, dans l'euphorie générale des jours qui précédaient la fête de la Fédération commémorant la prise de la Bastille, et Camille Desmoulins ne donna pas suite à sa demande – le présent manuscrit demeura donc inédit jusqu'en 1836, date à laquelle il fut présenté dans la Correspondance inédite de Camille Desmoulins (Paris, Ébrard, pp. 76-86, avec erreur sur la date du document). Il serait réédité dans La Correspondance de Marat (Paris, Eugène Fasquelle, 1908, pp. 151-158). « L'ASSEMBLEE NATIONALE... CET ENFANT POSTUME DU DESPOTISME ». Avec l'éloquence cinglante qui lui était propre, et dans le rôle qu'il s'était donné de journaliste redresseur et formateur de l'opinion, Jean-Paul Marat attaque ici le régime issu de la Révolution : en s'adressant d'abord à Camille Desmoulins, il exprime son rejet de la représentation politique (hostilité puisée chez Jean-Jacques Rousseau) puis se lance dans une « Supplique aux Pères conscrits, ou Très sérieuses réclamations de ceux n'ont rien, contre ceux qui ont tout ». Dans cette seconde partie, violente philippique adressée aux députés qu'il nomme « Pères conscrits » (en reprenant le terme dont on désignait les sénateurs dans la Rome antique), il critique le dévoiement d'une démocratie qui n'est pas l'instrument de la justice sociale : « L'importance de ce texte ne saurait être méconnue [...]. Avec une réelle hardiesse, Marat prend en mains la cause des pauvres pour réclamer en leur faveur l'égalité des droits dont les avait privés l'Assemblée nationale. Il est le premier (le fait mérite d'être signalé) à transporter le débat sur un terrain nouveau [...] Personne parmi les révolutionnaires n'avait jusqu'ici donné autant d'ampleur aux revendications du prolétariat, n'avait fait raisonner l'appel de classe avec autant d'insistance » (Gérard Walter, Marat, Paris, Albin Michel, 1933). À cet égard, Jean Jaurès défendrait la thèse selon laquelle c'est « grâce à Marat que le prolétariat prend conscience jusqu'à un certain point de former une classe ». Par là, Jean-Paul Marat annonce la critique de tout un courant historiographique à l'encontre de la Révolution considérée comme essentiellement bourgeoise, et constitue comme la matrice des courants révolutionnaires rejetant le légalisme et la démocratie formelle. « CAMILLE DESMOULINS ETAIT L'ENFANT CRUEL DE LA REVOLUTION, MARAT EN ETAIT LA RAGE » (Alphonse de Lamartine, Histoire des Girondins). Tous deux redoutables publicistes et libellistes, voix particulièrement écoutées de la Révolution, ils se considéraient comme des « frères d'armes », quoiqu'exprimant leur radicalité dans des champs parfois différents, et bien que Camille Desmoulins ait ensuite infléchi sa pensée devant les excès de la Terreur. Dans la révolution, l'irrécupérable Jean-Paul Marat fut exemplaire comme « figure emblématique du journaliste au service du peuple, incarnation de ce nouveau et décisif pouvoir, l'opinion publique ; porte-voix aussi des peurs les plus profondes de l'imagination populaire : la famine, l'empoisonnement du pain, le complot ; expression enfin, comme l'a bien vu Thiers, de cette pensée affreuse, "une pensée que les révolutions se disent chaque jour à mesure que les dangers s'accroissent, mais qu'elles ne s'avouent jamais, la destruction de tous leurs adversaires". Avoir inlassablement crié cette vérité cachée, telle a été en effet l'exceptionnalité de Marat » (Mona Ozouf, dans Dictionnaire critique de la Révolution française, Paris, Flammarion, 1988). LES MANUSCRITS POLITIQUES DE MARAT SONT DE LA PLUS GRANDE RARETE. À sa mort, la plupart de ses papiers échurent à sa sœur Charlotte-Albertine et furent dispersés après la mort de celle-ci. Le plus important ensemble, quoique modeste au regard de la production complète de Jean-Paul Marat, réunissait une centaine de feuillets autographes (dont un feuillet complétant le présent manuscrit) : il fut acquis par le comte Noël-François-Henri Huchet de La Bédoyère et est actuellement conservé à la BnF, sous la cote NAF 310. «