Lot n° 78

[ROUSSELET, Jean-Pierre] [LULLY, Jean-Baptiste] — Recueil par extraits Des plus beaux endroits Des Opéra de M. de Lully suivant l'ordre — [Paris], [après 1687]. —SUPERBE MANUSCRIT DE LULLY, DÛ À LA PLUME ET AU PINCEAU DE JEAN-PIERRE ROUSSELET.

Estimation : 200 000 - 300 000 €
Adjudication : Invendu
Description

ON Y LIT LES GRANDS AIRS. ON Y VOIT LES DÉCORS DES OPÉRAS JOUÉS DANS LES JARDINS DE VERSAILLES.
HOMMAGE ENLUMINÉ AU CRÉATEUR DE L'OPÉRA FRANÇAIS ET À UNE ŒUVRE QUI EUT UN RETENTISSEMENT CONSIDÉRABLE DANS L'EUROPE ENTIÈRE.

CE MANUSCRIT DE COUR APPARTINT AUX COLLECTIONS PERSONNELLES DES LIBRAIRES ÉDOUARD RAHIR PUIS MAURICE CHAMONAL, ET AU LIBRAIRE H.P. KRAUS. IL rejoignit PENDANT UN TEMPS LA TRÈS FAMEUSE COLLECTION DE MANUSCRITS DE PETER ET IRÈNE LUDWIG.
IL EST AUSSI LE TÉMOIGNAGE BRILLANT DU LIEN QUI UNIT LOUIS XIV, SA COUR, LA MUSIQUE ET CET ARTISTE GÉNIAL QUE FUT JEAN-BAPTISTE LULLY.

MANUSCRIT SUR PAPIER, ILLUSTRÉ ET ENLUMINÉ, sans aucun doute œuvre du calligraphe et enlumineur Jean-Pierre ROUSSELET, à l'encre brune, noire, rouge et bleue. Aucun filigrane n'est visible dans le papier du manuscrit
In-8 (172 x 112 mm).

COLLATION : 68 pages sur 35 feuillets.

CONTENU : f. 1r : titre, 2r : (1) La Grotte de Versailles 1670 [LWV 39], 2v : (2) Les Festes de l'amour & de Bachus 1671 [LWV 47], 3v : (3) Cadmus 1672 (sic) [LWV 49], 5r : (4) Alceste 1673 [LWV 50], 7r : (5) Thésée 1674 [LWV 51], 9v : (6) Atys 1675 [LWV 53], 12r : (7) Isis 1676 [LWV 54], 14r: (8) Psyché 1678 [LWV 56], 16r : (9) Bellérophon 1679 [LWV 57], 17v : (10) Proserpine 1680 [LWV 58], 20r : (11) Le Triomphe de l'amour [et de Bacchus] 1681 [LWV 59], 22r : (12) Persée 1682 [LWV 60], 24r : (13) Phaéton 1683 [LWV 61], 25v : (14) Amadis 168 (sic) [LWV 63], 27v : (15) Roland 1685 [LWV 65], 29v : (16) Le Temple de la Paix 1685 [LWV 69], 30v : (17) Armide 1686 [LWV 71], 32v : (18) Acis et Galatée 1686 [LWV 73], 34r : (19) Achille 1687 [LWV 74], 35r : fin du manuscrit. On remarque quelques erreurs de datation dans les dates de quelques représentations

ORNEMENTATION ENLUMINÉE : titre calligraphié en lettres enluminées bleues et rouges, placé dans le triple encadrement enluminé d'une large bordure, d'une bordure extérieure à décor de croisillons peint typique du style de Jean-Pierre Rousselet et d'un trait de bordure extérieur, double encadrement courbe de filets bleus. Chaque page et chaque titre d'opéra sont encadrées d'un filet enluminé. Cartouches et culs-de-lampe bordés de filets parme ou bleus et d'encadrement enluminés.

DESSINS ORIGINAUX : 19 SUPERBES CARTOUCHES ET 16 CULS-DE-LAMPE à la plume d'encre noire, grise ou brune avec rehauts de lavis noir et gris. Le cartouche du Triomphe de l'amour (f° 20 r) est à l'aquarelle de multiples couleurs et, plus abouti, il semble d'une autre main.

RELIURE STRICTEMENT DE L'ÉPOQUE. Maroquin rouge, décor doré, large encadrement aux petits fers bordé de filets et d'un second encadrement, dos à nerfs très orné, doublures de maroquin bleu nuit avec encadrement à motif de fleurs-de-lys, gardes de papier avec un filigrane inassignable [CB et un cœur, cf. Gaudriault, pl. 126], tranches dorées sur marbrures. Boîte de maroquin noir.

PROVENANCE : non répertorié avant : Édouard Rahir (1862-1924 ; ex-libris ; Paris, 1937, n° 1460, 20.000 FF, reproduit en couleurs), acquis à cette vente par Maurice Chamonal contre l'expert de la vente Le François -- collection Chamonal -- acquis par H. P. Kraus (1907-1988) chez Maurice Chamonal au milieu des années 1950, puis Catalogue H. P. Kraus, n° 100, 1962, item 34, avec la mention “price on request”
— Dr. Peter et Irène Ludwig (1925-1996), l'un des plus grands collectionneurs du XXe siècle d'art moderne et contemporain, et de manuscrits enluminés acquis en bloc par le Getty Museum en 1983.
Ce manuscrit de Lully est acheté par Ludwig en 1963 chez H.P. Kraus, puis revendu à H.P. Kraus en 1969 -- Catalogue H. P. Kraus, n° 159, 1981, item 21, $ 65.000.

Deux petits manques dans la bordure enluminée du titre.

La totalité des très célèbres quinze tragédies lyriques de Jean-Baptiste Lully sont bien présentes dans le manuscrit. Elles suivent la liste donnée par Jérôme de La Gorce (op. cit., p. 853) qui ajoute Les Festes de l'amour & de Bachus 1671 à la liste donnée par Wikipédia. Il ne manque pas un des grands opéras de Lully - à l'exception de la toute première tragédie lyrique qui n'est pas encore un opéra, Les Folies d'Espagne de 1672. À ces quinze opéras s'ajoutent ici : La Grotte de Versailles, première collaboration de Quinault et Lully placée en tête du recueil, qui a “l'apparence d'un petit opéra” (http://sitelully.free.fr/grotte.htm), donnée pour la première fois en 1668. La onzième pièce du recueil, Le Triomphe de l'amour [et de Bacchus] 1681, et la seizième pièce (Le Temple de la Paix 1685) ne sont pas des opéras mais des ballets de Cour. La dix-huitième Acis et Galatée 1686 est une pastorale héroïque.
Deux ou trois pages sont consacrées à chaque œuvre. Elles résument d'une phrase les grands airs de chaque pièce en sorte que le grand seigneur pour lequel ce manuscrit fut composé pouvait le garder dans sa poche et posséder ainsi un Recueil par - extraits des plus beaux endroits des Opéra de M. de Lully - suivant l’ordre, ordre chronologique et mnémotechnique des spectacles tels que donnés devant la cour de Louis XIV. L’un des grands talents de Lully consista en effet à composer des airs que le public ravi s’appropriait comme des refrains. Chaque œuvre musicale s’ouvre sur un cartouche et se ferme souvent par un cul-de-lampe, dessinés à l’encre, lavis et/ou aquarelle, représentant le décor de l’acte principal. Ces décors, traités avec beaucoup de fraîcheur, d’imagination et de verve annoncent ou évoquent l’œuvre de Claude Gillot (1673-1722) dont on sait qu’il dessina des costumes d’opéra. Au témoignage de Dezallier d’Argenville, Gillot “avait beaucoup de génie pour les figures grotesques, les faunes, les satyres
et les scènes d’opéra” (Abrégé de la vie des plus fameux peintres, Paris, De Bure, 1745-1752, vol. 2, p. 421). À ce titre, ce manuscrit appartient aussi au genre bibliophilique que surent créer Lully et Quinault consistant à illustrer la musique
et qui a été étudié par Anthony Saudrais (cf. infra).
On retrouve dans ces dessins les effets de mise en scène propres à l’opéra français sous Louis XIV : animaux fantastiques, palais tombant en ruine, guerriers sortant du sol dans Thésée. Les chanteurs sont représentés dans des chars de nuage ou
dans des décors de verdure évoquant avec précision les bosquets de Versailles dans lesquels certaines œuvres de Lully furent données.

La calligraphie, l’enluminure, le décor et le style du manuscrit sont caractéristiques des travaux de Jean-Pierre Rousselet qui travailla pour le Roi et sa famille, pour les plus grandes familles de la Cour comme les Richelieu, les Beauvilliers ou les Pontchartrain. Ce maître écrivain et enlumineur français, originaire de Liège, fut actif à Paris vers 1677-1736. “Les manuscrits de Rousselet sont généralement sur papier. La calligraphie en est bonne. Excellent dessinateur, il les décorait lui-même et ses travaux sont remarquables par la richesse de leur ornementation avec leurs pages entourées d’arabesques peintes, et par la reliure, souvent de Padeloup” (Baron Portalis, op. cit., pp. 423-424). Mais la plupart des manuscrits de Rousselet ont un caractère religieux. Ceux à sujet purement profane et laïque se comptent sur les doigts de la main. Portalis n’en citait que deux, ignorant l’existence de celui-ci. Il peut ainsi être rapproché du splendide Labyrinthe de Versailles réalisé par Rousselet et le peintre Bailly pour Louis XIV, et conservé dans la collection Dutuit au Petit-Palais. Ce manuscrit de Lully évoque aussi celui des Prières de la messe, signé par Rousselet, présenté par Louis XV à Marie Leszczynska le 4 septembre 1725, jour de leur première rencontre (cf. Sotheby’s, 2 décembre 2004, lot 178 ; des anciennes collections
Bancel -- La Roche Lacarelle -- Henri Bordes -- Robert Hoe et André Langlois).
Ce merveilleux manuscrit de Lully demeure aussi une double énigme. Première énigme, les numéros placés au bout de chaque air, qui vont de 1 à 18, semblent renvoyer à un autre manuscrit constitué de 18 volumes, sans doute logiquement
dû à Rousselet, et aujourd’hui considéré comme disparu par les musicologues que nous avons pu interroger. Ces volumes devaient contenir les partitions et les paroles de ces mêmes airs. Le manuscrit présenté ici en constituait à la fois une sorte de résumé et surtout la table illustrée et enluminée. M. Laurent Guillo, du Centre de Musique baroque de Versailles, a bien voulu nous adresser le propos suivant.
« Les opéras de Lully ont souvent fait l'objet de "Recueil des plus beaux endroits". Notamment l'éditeur-copiste Henri Foucault a diffusé de nombreux exemplaires de son "Recueil des plus beaux endroits des opéras de Mr de Lully", copié en deux volumes in-folio, avec un classement par opéra, dont il existe encore une quinzaine d'exemplaires. Je suppose donc qu'il a existé une collection calligraphiée de ce "Recueil", faite par un maître écrivain non identifié, et divisée en environ 18 volumes.

Plusieurs choses peuvent expliquer que ce "Recueil" passe de deux volumes (chez Foucault) à environ 18 volumes ici : un tracé de la musique en calligraphie (qui nécessite plus de place), la présence probable d'illustrations et d'ornementations, l'usage d'un meilleur papier et le plus faible nombre de pages dans chaque volume. De fait, les chiffres semblent renvoyer aux numéros des volumes dans
cette collection perdue... La logique de cette volumaison n'est pas intuitive pour autant. Elle ne correspond pas à la succession des opéras, ni à l'ordre alphabétique des incipits, ni à la tessiture des voix. Je suppose donc que les airs ont été copiés en désordre et que chaque volume portait sa table des airs propre.
C'est peut-être ce désordre qui explique la mention inhabituelle "par extrait" sur le titre de la table générale. On peut imaginer que cette collection (au prix exorbitant) ait pu être copiée à l'usage d'un royal rejeton... On aimerait bien la retrouver, du reste... [le présent manuscrit] ne serait que la partie émergée de l'iceberg... »
Seconde énigme, le très élégant monogramme en canivets contrecollés sur la doublure inférieure, d’apparence germanique et surmonté d’une couronne de marquis, n’a pas pu être identifié. La clé serait sans doute à chercher de ce côté.

Nous remercions MM. Nicolas Bucher et Laurent Guillo, du Centre de Musique baroque de Versailles, et notre ami Roland Folter pour les informations
concernant la provenance Kraus.

BIBLIOGRAPHIE :
— J. de La Gorce, Jean-Baptiste Lully, Paris, 2002
— P. Beaussant, Lully ou le musicien du soleil, Paris, 1992
— H. Schneider, Chronologisch-thematisches Verzeichnis sämtlicher Werke von Jean-Baptiste Lully (LWV), Tutzing, H. Schneider, 1981 -- Œuvres complètes [Musique imprimée]. Jean-Baptiste Lully ; éditées par l'Association Lully ; dir. Jérôme de La Gorce et Herbert Schneider...., Zürich, New York, 2004
— H. Schneider, Die Rezeption der Opern Lullys im Frankreich des Ancien Regime, Tutzing, 1982
— Baron R. Portalis, “Nicolas Jarry et la calligraphie au XVIIe siècle”, Bulletin du Bibliophile, 1897, p. 423 et ssq.

WEBOGRAPHIE : http://sitelully.free.fr/ -- sur Peter Ludwig : https://www.universalis.fr/encyclopedie/peter-ludwig/ -- sur la sensationnelle acquisition de la collection des manuscrits Ludwig par le Getty : https://www.nytimes.com/1983/03/10/arts/getty-museum-acquires-manuscript-collection.html -- sur le calligraphe Jean-Pierre Rousselet, la liste de ses œuvres connues -- Anthony Saudrais, “Illustrer l’opéra lulliste. Les vignettes dans les partitions de Baussen et Ballard” : https://journals.openedition.org/estampe/1817?lang=en#bodyftn32 -- pour le Labryinthe de Versailles :
https://www.parismuseescollections.paris.fr/fr/petit-palais/oeuvres/le-labyrinthe-de-versailles#infos-principales.

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