Lot n° 158

PROUST Marcel (1871 - 1922) 2 L.A.S. «Marcel Proust», [vers le 3 juillet 1920], à Jacques …

Estimation : 4 000 - 6 000 EUR
Adjudication : 10 010 €
Description
PROUST Marcel (1871 - 1922) 2 L.A.S. «Marcel Proust», [vers le 3 juillet 1920], à Jacques RIVIÈRE ; 12 et 8 pages in-8. Belle réunion sur son oeuvre et sur la critique. Proust s'inquiète de la santé de son ami, puis il confirme que «Jacques Porel a demandé à Gallimard que je fisse un article RÉJANE. Mais cet article pour beaucoup de raisons trop longues à écrire et dont nous causerons vous et moi, mais dont la principale est mon terrible état de santé, je ne pourrai pas l'écrire. Même court, cela me serait impossible. Or Porel m'écrit qu'il compte sur 26 ou 27 pages. Copeau (c'est une simple suggestion) ferait cela beaucoup mieux que moi, qui ne peux pas le faire du tout». Il voudrait lui «parler en toute liberté de la N.R.F.», dont le dernier numéro est «superbe, varié, plein, harmonieux» ; mais il a été choqué par certaines notes qui «ont q.q. chose de vraiment scandaleux», et il s'en prend à Jean de PIERREFEU, à qui il a écrit que ses «articles étaient par trop bêtes, cette critique tellement superficielle qu'elle allait forcément de contradictions en contradictions etc. [...] Naturellement le superficiel et brillant critique ne m'avait pas demandé mon opinion. Un amour stupide de la vérité me fit la lui donner de moimême. Je n'ai pas besoin de vous dire qu'il ne m'a pas répondu et que sa critique du Côté de Guermantes se ressentira, je n'en doute pas, de mes appréciations spontanées. Je comprends très bien que tout le monde n'en fasse pas autant et en somme c'est un de ces auteurs sur lesquels on peut, plus convenablement, garder le silence». Et il s'étonne d'avoir lu dans le dernier numéro de la revue, sous la plume de Roger Allard, «un éloge de M. de Pierrefeu où celui-ci était comparé à Velasquez (?) à Tallemant des Réaux, à Bussy-Rabutin». Il comprend qu'on puisse être amené à écrire des articles de complaisance. «Pour ma part, si j'avais été moins souffrant, sachant que des membres de l'Académie Goncourt que je ne connais pas, comme M. Élémir Bourges, se sont donné une peine touchante et folle pour me faire avoir le prix Goncourt, y ont pris des grippes etc., je ne me serais pas cru déshonoré pour leur octroyer du génie. Mais si j'avais fait cela, je l'aurais fait au Figaro, ou à Comoedia, ou au Gaulois, et non dans les colonnes de la scrupuleuse N.R.F. où on ne doit parler que de ce qui le mérite absolument [...] Des gens intelligents comme Léon Blum et bien d'autres, quand j'ai publié Swann ont dit : “Ce n'est pas cela qui peut donner une idée véritable de Proust. Qu'il publie ses pastiches, ils auront quarante éditions”. J'ai insinué qu'on pourrait les “lancer”. La N.R.F. fut d'un autre avis. Ils tombèrent à plat. Je donne les bonnes feuilles du Côté de Guermantes à une revue belge et à une revue américaine, puisque la N.R.F. ne me les a pas demandées. - C'est vous dire la haute idée, quasi religieuse que je me fais de votre Revue. Votre admirable n° du 1er Juillet n'est pas certes fait pour ébranler ma foi mais pour l'exalter au contraire, et cela dès la 1re page, dès cet admirable Antoine et Cléopâtre [traduit par Gide] que la presse quotidienne a fait tomber dans des conditions si abjectes qu'elles font pour moi de M. Régis Gignoux sans que je le connaisse un véritable ennemi personnel, un démolisseur de beauté. Mais trouver dans ce n° , Vélasquez, St Simon, Tallemant, Bussy pour le gentil et absurde Pierrefeu (dont les chroniques théâtrales à l'Opinion sont je le reconnais très supérieures à ce qu'il fait d'habitude) cela m'a semblé peu encourageant»... La deuxième lettre est comme un post-scriptum à la précédente, Proust voulant rassurer Rivière «au sujet du côté “psychologique de mon oeuvre“. Comme elle est une construction, forcément, il y a des pleins, des piliers, et dans l'intervalle des 2 piliers je peux me livrer aux minutieuses peintures. Tout le volume sur la séparation d'avec Albertine, sa mort, l'oubli, laisse loin derrière lui la brouille avec Gilberte. De sorte qu'il y aura trois esquisses très différentes du même sujet (séparation de Swann avec Odette dans Un amour de Swann - brouille avec Gilberte dans les J. en fleurs - séparation avec Albertine dans Sodome et Gomorrhe, la meilleure partie)». Les revues «françaises et étrangères n'ont cessé de parler des Jeunes Filles en fleurs», mais pas la N.R.F. ; et si dans le prochain numéro, à la rubrique “Revue des Revues”, on doit parler du «stupide article de Pierre Lasserre “Marcel Proust humoriste et moraliste” dans la Revue universelle, il voudrait «que les quelques lignes de réfutation me fussent confiées (anonymement bien entendu ou plutôt sous le nom (si cette Revue des Revues est signée) de celui qui la fera»... Correspondance, t. XIX, nos 160 et 161.
Partager