Description
Ensemble des notes et manuscrits préparatoires et du tapuscrit corrigé de ce septième roman de Queneau, suite de Gueule de pierre. Dès août 1938, Queneau songe à écrire une suite à son roman Gueule de pierre (1934), d’abord sous forme d’un poème en 24 chants, auquel il va travailler jusqu’en octobre 1938 à Coye-la-Forêt (Oise). Il se remet au travail en juin-juillet 1939, mais la guerre va l’interrompre ; il reprendra la rédaction du livre en janvier 1941, pour l’achever le 3 juillet. Les Temps mêlés paraîtra chez Gallimard en novembre 1941, avec le sous-titre (Gueule de pierre, II). Les deux romans seront intégrés avec une suite dans Saint Glinglin en 1948, Les Temps mêlés étant fortement remanié. Pierre Kougard est devenu maire de la Ville Natale ; devant la mairie, se dresse le corps pétrifié de son père. Lors des fêtes de la Saint-Glinglin, des touristes débarquent, dont la vedette de cinéma Cécile Haye, dont Paul (frère de Pierre) va tomber amoureux. Pierre veut introduire des réformes, et il arrête le chasse-nuages de l’inventeur Timothée Worwass, qui maintenait un ciel pur sur la ville. La pluie diluvienne provoque la dissolution et l’effondrement de la statue. La population mécontente chasse Pierre, et son frère Paul lui succède. Le roman est divisé en trois parties : la première est une série de poèmes évoquant divers habitants de la Ville Natale ; la seconde, un monologue de Paul ; la troisième, une pièce en cinq actes ou tableaux.
Le manuscrit se compose de : A. Première partie (en vers) : feuillets détachés (papier ligné ou à grands carreaux) dans 2 cahiers d’écolier (22 x 17 cm) des Comptoirs français ; le 1er à couverture verte, portant la mention « GDP II (pas net) » (28 pages) ; le 2e à couverture rose, portant la mention « GDP II (net) » (23 pages) à l’encre noire, plus 5 feuillets in-4 et un dactylographié. B. Deuxième et troisième parties (prose et théâtre). 14 pages in-4 dactylographiées et corrigées, suivies de 62 pages autographes à l’encre noire. C. Un ensemble de 36 pages in-4 à l’encre noire, version primitive de la troisième partie rédigée en style romanesque. D. « Dialogue de Jean et d’Hélène », 9 pages in-4 sur papier vert accompagnées de 15 feuillets dactylographiés. E. Ensemble de notes, plans, ébauches diverses : 9 pages in-4 à l’encre noire et au crayon sur papier gris, et 16 pages de formats divers (in-8 ou in-12). F. 6 feuillets dactylographiés paginés 1-6 (texte sur les « médians »). G. Tapuscrit complet (133 ff. in-4), ayant servi pour la composition de l’édition. Il semble avoir été rédigé directement à la machine par Queneau lui-même, à partir des diverses ébauches manuscrites. Il présente des ratures et de nombreuses corrections, avec des passages biffés. Il est daté en fin (l’indication a été rayée pour la typographie) : « Neuilly, le 3 juillet 1941; midi 25 (à ma montre, avance un peu) ». H. Tapuscrit des poèmes La Vieille et Le Fantôme (4 ff. in-4), et placard d’épreuve de la revue Mesures (non publiés, la revue ayant disparu après avril 1940).
Le dossier des notes et plans est fort intéressant. On y trouve notamment une chronologie, un tableau des personnages, des indications topographiques, etc. Les notes préparatoires montrent aussi les hésitations du romancier lors de l’élaboration de son livre. Ainsi : « Paul convaincu d’inceste. Démissionnera-t-il ou se démariera-t-il ? Hésitations » ; et Queneau ajoute, non sans ironie : « Cornélien. Racinien. Eschylien (au moins) ». On trouve aussi sur ces feuillets des jeux sur le langage comme cette variation à partir du mot insecte : « In-Secte. Insectualité. In-sexualité. Intellectualité. In-Secte : celui qui n’appartient à aucune secte. In-Sexue : pas de sexualité. In-Texte : ni de texte écrit (intellectualité). Un Tel est que tu as lité ».
Des douze poèmes de la première partie, onze sont présents dans les cahiers, et dans des versions offrant de très nombreuses et importantes variantes. Le premier poème, Le Veilleur, dont on a dans les notes un plan-graphique, figure ici dans une version primitive intitulée Les Douze Quilles de la nuit, très différente : « Le tans a renversé les douz quilles de la nui Plus une mintenan ; que le zéro demeure Dans les orères des chemins de fer Jusqu’à la correspondance avec le nombre pi »…
La seconde partie est intitulée L’étoile du nord. Queneau a commencé à taper son texte directement à la machine (sur les 14 premiers feuillets) ; ce qui deviendra un monologue est alors une « Lettre de Paul Kougard à la belle dame ». Les 14 feuillets dactylographiés sont corrigés à l’encre ; puis Queneau va poursuivre à la main à partir de la page 15.
La troisième partie se présente sous la forme de cinq actes ou tableaux (il manque dans ce manuscrit une partie du 4e et le 5e), dont on a une version primitive en manuscrit sous le titre « Dialogue de Jean et d’Hélène ».
Mais Queneau avait d’abord songé à l’écrire sous forme romanesque. Le manuscrit offre ainsi la version primitive du « VI e livre » sous le titre : « Les Touristes » : « Harmonieuse comme un cigare et luisante comme un sca-
rabée, l’auto s’avançait à travers des régions pierrouteuses et cailleuses, plus desséchées que les feuilles de tabac d’un cigare et sans plus de chair qu’un insecte. Les petites collines se succédaient, petits moutons ; et les routes en serpentin se développaient sur les pentes de leurs contours. Et Madame Decrumel s’endormit, avec distinction. Le chauffeur faisait rouler sa voiture avec grâce »... Un autre fragment décrit une excursion à la Source pétrifiante, un troisième l’arrivée en train dans la Ville Natale d’Édouard Dussouchel.
Au bas d’une des pages de ces feuillets écartés, on lit cette poignante confession : « Au fond je croyais que quand j’aurais une “situation” je serais heureux. Il n’en est rien. Impuissance et difficulté d’écrire » (Queneau avait été embauché aux éditions Gallimard en 1938).
Romans, I, (Œuvres complètes, II), Bibliothèque de la Pléiade, tome II, Gallimard, 2002 (pour Les Temps mêlés, éd. de Jean-Philippe Coen : p. 997-1092, 1409-1429, 1670-1699, 1744-1745)