Description
quelques lettres).
Importante correspondance avec un ami médecin, sous l’Occupation et pendant l’exil danois.
Alexandre GENTIL (1878-1949), ancien médecin militaire, que Céline avait rencontré à l’hôpital du Val-de-Grâce en 1914, devint sous l’Occupation un proche du couple Destouches. Ils eurent de nombreux amis communs : Gen Paul, Le Vigan, Jo Varenne, leurs confrères Clément Camus, Charles Bonabel, Auguste Bécard, etc. Sous l’Occupation, Gentil accompagna Céline à quelques réunions ou dîners du Cercle européen. Il fut un correspondant fidèle aux premiers temps de l’exil de l’écrivain, qui lui écrivait en signant de ses initiales, du prénom de sa femme ou sous le pseudonyme de Courtial (personnage de Mort à crédit). Nous ne pouvons donner qu’un aperçu de cette passionnant correspondance. Paris [septembre ? 1940]. « Je suis pourri d’ambition – on me dit qu’il n’y a plus de médecin à l’Opéra est-ce exact ? Qu’ils sont tous partis plus ou moins en Zone libre… pour raisons juives…Ces bruits m’affriolent »… [Automne]. Il s’est mal expliqué pour l’Opéra-Comique. « Je serai bien entendu infiniment flatté d’être de l’O.C. surtout avec toi mais tu sais le chant moi… Je ne suis pas initié. Tandis que je suis féru, ravagé par la danse. Alors puisqu’il s’agit de mirages ! je préférerais l’Opéra. C’est dans ce sens que je t’écrivais – et pour que simplement tu tâches de savoir par “ceux” de l’Opéra s’ils ont des disponibilités éventuelles – lointaines… vaguement possibles… à moins que la chose soit simplement comme je le soupçonnais tout crûment réservée aux Juifs et aux internes. Dans ce cas il faudrait que je me dispose encore à provoquer l’émeute »… [1941 ?]. Commande de vêtements d’homme et de femme ; invitation : « Tu coucheras dans le lit de la fille – et pour une fois je coucherai avec elle »… [Février 1942 ?]. «Avec ce verglas je n’ai pu traîner ma moto jusque chez Quillet ! Vous me pardonnerez peut-être ! Je voudrais avoir trois peaux de mouton à poils plus longs, bruts, comme ceux du manteau de ma femme »… [1942 ?]. Recommandation du Dr Gentil, « un grand patriote et un grand chirurgien et un grand cœur, et praticien plein de science et d’esprit »…
▬ Saint-Malo 20 [février 1944]. « Dans cet univers de fou St Malo n’est pas épargné tu t’en doutes ! – Ils ne savent plus s’ils nous chassent nous rasent nous brûlent nous assassinent nous font crever de feu, d’enculage, ou de faim ! Enfin on rentrera au début de mars attendre les alliés annoncés »… [Paris début mars]. « On a été éreinté à St Malo par mille soucis et ennuis ! d’époque ! On te racontera ! »… [1944 ?]. Présentation d’Éliane Bonnabel, « une très gentille demoiselle […] une très ancienne malade et petite amie à moi de Clichy »… [15 juin]. « Il a fallu d’une façon pressante partir à la campagne ! Bien chagrinés tous les deux de ne t’avoir pas vu ! avant le départ ! mais je n’osais pas téléphoner! J’espère que ce ne sera pas long ! On pense bien à toi. Je te ferai parvenir des nouvelles. – Tu recevras peut-être à l’improviste la visite de GEN PAUL et LE VIGAN. Je leur ai dit que tu voudrais peut-être bien les recevoir qq jours – bien entendu sans alimentation ! Mais ils sont ici sur la ligne de feu ! »… [Céline quitte Montmartre deux jours plus tard, avec Lucette et le chat Bébert.]
▬ Copenhague 30 août [1945]. La lettre, d’une écriture appliquée, est écrite et signée comme si elle était de « L. Almanzor » : « Nous avons été tous bien malades pendant toute l’année dernière. Louis surtout avec ces affreux événements, de plus il a été… légèrement blessé. Il va maintenant légèrement mieux et moi aussi. […] Enfin tout de même le cauchemar de la guerre s’éloigne mais il nous a laissé un souvenir abominable »… 15 septembre. Nouvelle lettre comme « Lucie Almanzor », parlant de sa fille « Georgette » (Lucette). Il annonce la mort de sa mère, « morte je crois au fond de chagrin », et évoque le sort du « pauvre Berthier » [le Dr Auguste Bécart, arrêté]. « Nous vivons très seuls avec ma petite Georgette, qui va « donner peut-être bientôt des leçons de castagnettes […] Mr Bartholin notre hôte est maître de ballet […] il est à demi-israélite c’est un homme charmant. Vous savez que j’ai toujours vécu entouré d’israélites. On me l’a assez reproché ! Cette race est appelée à diriger le monde, son intelligence lui en donne les droits et je dis toujours à ma petite Georgette que rien ne vaut une amitié israélite »… Il voudrait des nouvelles de Jo Varenne, qui « sentait la corde et le pendu». Métaphore médicale sur sa situation : « Je traîne encore bien péniblement mon état. Il me faudrait sans doute m’affirme-t-on ici une opération ? (l’“amnystite” l’appellent-ils à peu près…) […] une opération grave et rarement tentée »… « Georgette » (Lucette). Il annonce la mort de sa mère, « morte je crois au fond de chagrin », et évoque le sort du « pauvre Berthier »
[le Dr Auguste Bécart, arrêté]. « Nous vivons très seuls avec ma petite Georgette, qui va « donner peut-être bientôt des leçons de castagnettes [...] Mr Bartholin notre hôte est maître de ballet [...] il est à demi-israélite c’est
un homme charmant. Vous savez que j’ai toujours vécu entouré d’israélites. On me l’a assez reproché ! Cette race est appelée à diriger le monde, son intelligence lui en donne les droits et je dis toujours à ma petite Georgette que rien ne vaut une amitié israélite »... Il voudrait des nouvelles de Jo Varenne, qui « sentait la corde et le pendu ». Métaphore médicale sur sa situation : « Je traîne encore bien péniblement mon état. Il me faudrait sans doute m’affirme-t-on ici une opération ? (l’“amnystite” l’appellent-ils à peu près...) [...] une opération grave et rarement tentée »... « Georgette » (Lucette) prend alors la plume à la suite de « Maman ».
▬ 2-8 [2 octobre]. Lettre écrite et signée comme « Henri Courtial » : « Ici l’isolement intellectuel est total. Hélas je suis encore trop malade pour pouvoir remuer – et surtout voyager. Je dévore la Revue des 2 mondes des années à partir de 1892 ! Quelle mine ! Quelles plumes quels caractères à l’époque ! Quelle décadence ! à celui qui rabibocherait affriolerait au goût jazz du jour cette matière si riche je promets une de ces carrières littéraires qui mettra la Mazarine à ses pieds ! »... Il apprécie particulièrement des reportages d’Élisée Reclus... Lucette a écrit à « Mr et Mme Lepic » [les Daragnès] ; il recommande de suivre Jo Varenne, « subtil, infiniment bien relationné et très serviable – et très discret », et demande à combien a été condamné « Pereire » [Auguste Bécart]...
▬ 4 sept.[ octobre]. « Je vis ici dans un état d’isolement moral quasi total ! Et pourtant que de questions se posent !... Les jours passent lourds comme du plomb »...
▬ [7-8 octobre]. Gentil fait bien ressentir le climat de la France, gouvernée par des voyous ou des brutes étrangers, et Céline lui confie son anxiété à la suite de la rencontre fortuite d’une Danoise, veuve d’un résistant français. « Bien sûr elle a écrit à Paris qu’elle m’avait rencontré ! Et hier Radio Brazzaville annonçait [...] “L’écrivain français pro-allemand X qui s’était réfugié à Lisbonne est à présent à Copenhague”. C’est tout, mais cela suffit »... Craignant une demande d’extradition, il a prévenu son « médecin » [l’avocat Mikkelsen] et ils essayeront de parer au pire... Il évoque sa « pauvre mère [...] J’ai été dur avec elle et je l’aimais bien eu fond. Mais j’ai eu moi-même une vie si brutale et si pourchassé que je me suis durci fatalement à un degré désastreux. [...] Comment n’ai-je pas fini à Buchenwald ! Je me suis montré plus gaulliste en Allemagne plus défaitiste avec bien plus de risques qu’à Paris – que les plus acharnés juifs »... Il évoque sa vie dure avec le Dr Jacquot, « chez les Nibelung » (Sigmaringen)... Il voudrait savoir ce qu’est devenu Jacquot (de Remiremont), patriote et « martyr de cette effroyable histoire » ; il parle avec mépris de Le Vigan, « fumier » et « malheureux bilboquet d’acteur inconsistant pitre », puis du « répugnant » procès Laval... Détails sur la vie au Danemark, et espoir d’une réconciliation et d’une « amnistie générale »... Nouvelles du chat Bébert, « morceau de Montmartre sauvé du déluge »... Sur Elsa Triolet : « encore une mièvre petite conne ! Quel salsifis sans jus pas plus que son mari Aragon ! Cette Elsa Triolet qui est russe avait traduit pour les Soviets mon Voyage qu’elle avait d’ailleurs amplement truqué, falsifié »...
▬ Mercredi [10 octobre]. Récit de la fin cruelle de Georges Montandon : « Le pauvre diable était certainement moins vénal que Duhamel sur la rapacité duquel je connais de bien savoureuses anecdotes ! En voilà un
Jésuite renforcé ! Laval est passé à la casserole. C’est la raison d’état – mais de toute justice il méritait pas ce sort. Sans lui avec un gauleiter comme en Belgique les conditions eussent été dix fois pire. Il s’est sacrifié.
[...] Les sanctions que tu me décris contre Soupault et Claouet ne sont pas bien graves si je les compare au sort qui m’accable moi qui vraiment n’ai collaboré avec rien du tout »...
▬ Jeudi [11 octobre]. Supprimer « Courtial » de son adresse : « Je m’appelle Lucie Almanzor ». Il accuse Gen Paul de baver ; c’est un ivrogne égoïste, un maître-chanteur etc. « Le Vigan était aussi diabolique que lui – mais il est déjà lui au poteau. Quelle joie pour Gen Paul ! Il voudrait bien me voir revenir chargé de chaînes ! »... « Nous vivons ici par l’effet d’une tolérance très paradoxale et [...] par la grande mansuétude de certains “résistants” amoureux des belles lettres – mais si je montrais ma sale gueule je prendrais place dans la charrette comme les copains ! Copenhague est une ville juive – cela veut dire en danois le port des marchands. C’est tout dire ! Je serais aussi à ma place à Tel Aviv ! »... Il pousse son roman [Guignol’s Band]...
▬ Vendredi [12 octobre]. Il transmet une lettre de sa secrétaire Marie Canavaggia, qui l’inquiète : « C’est une amie extrêmement précieuse et infiniment dévouée, trop dévouée », avec la clef des pseudonymes utilisés : « Henri c’est moi, et Courtial », etc.
▬ Lundi [22 octobre]. Nouvelles plaintes sur le « martyre » subi à Sigmaringen, alors qu’il n’a jamais pratiqué autre chose que « la médecine et le défaitisme. [...] Je ne suis qu’un scribouilleur et pas un politique. [...] Je n’aime pas l’Allemagne et les Allemands »... Le cynisme seul est intelligent... « C’est drôle tu remarques qu’on ne traite jamais les arabes de Palestine d’anti-sémites ! Tout le monde se penche sur leurs revendications – et les prie d’être modérés, d’être patients etc. Mais en France où pourtant les juifs ont ataviquement beaucoup plus de droit – l’antisémite est un monstre à peine croyable ! [...] Que penseraient les arabes de Palestine si on leur donnait Blum pour chef ? »... Il se livre à une diatribe contre Laval, mais reconnaît son patriotisme ; c’est un « martyr » à cette époque de propagande tyrannique contre les collaborateurs, « l’Hallali certainement le plus lâche de l’Histoire des hommes »... Il ajoute un feuillet intitulé « Quelques Vérités » : « J’étais détesté par Vichy – mes livres y étaient interdits. Les Beaux Draps saisis par la Police (Bousquet) sur ordre de Pucheu. J’étais détesté par les Abetz. Je n’ai jamais été ni reçu ni invité à l’Ambassade [...]. J’étais détesté par Berlin. Tous mes livres furent interdits en Allemagne du jour de l’entrée d’Hitler – (y compris les antisémites). Alors que Mauriac, Maurras, Martin du Gard étaient parfaitement traduits, payés, et admirés. On m’a toujours trouvé anarchiste chez Hitler et désastreux »... Il a publié trois ou quatre lettres mais aucun article dans les journaux parisiens pendant l’Occupation, et n’a rien gagné avec les Allemands. « Au fond de tout ceci il s’agit surtout de me faire crever pour le Voyage au bout de la nuit qui m’a valu des jalousies inexpiables »...
▬ 28 [octobre 1945]. « L’Europe mûrit communiste. Quelle 5 ème Colonne ! Il n’y a plus de tout de censure ici. Tu peux le voir par la coupure que je t’envoie à propos d’une visite des maquisards danois à Stockholm »
(dessin de presse joint, annoté par Céline : « Les libérateurs Danois à Stockholm – Que l’on se dirait aux bons viueux jours de la Gestapo ! »)... « Il est malheureux que la haine ne nourisse pas voilà le seul produit que l’Europe fabrique en quantité – quels incessants torrents ! »... Il demande les mémoires d’Hérold-Paquis, qu’il a aperçu une fois chez Popol : « Tout cela était bourrique et C ie – à tous les râteliers au fond – à vendre – mais la vanité encore plus que tout. Ils se feraient tous hacher pour le compliment et l’admiration d’une concierge. J’ai observé de cela des exemples effroyables. Sur la plate-forme de l’échafaud on trouverait encore des ministres et ils se batteraient pour l’emploi »... 28 [octobre]. Commentaire sur Otto Abetz, qu’on a arrêté, et son prétentieux imbécile expert en choses françaises, Sieburg, « perdus par pourceaugnaquisme boche »...
Il réclame aussi des nouvelles de « la pénincelline », en attendant de s’abonner au Courrier médical...
▬ 11 novembre. « Voici un anniversaire charmant. à quoi bon s’être donné tant de mal dans la première pour finir si pitoyablement ? Quelle duperie de la terre au ciel ! Je dégueule ma vie quand j’y pense, je me dégueule de connerie crédule de dévouement perdu ! »... Plaintes amères, et sarcasmes au sujet des élections législatives françaises... Il se désespère d’être jamais accueilli nulle part : « L’Aryen errant connaît un sort bien plus infect que le Juif errant – les amis de l’Aryen sont faibles et rarissimes les amis des juifs sont puissants et innombrables. Le Juif n’a qu’à jérémiader toutes les portes s’ouvrent. Si l’aryen marqué se fait connaître tous les chiens sont lâchés. Point de merci pour lui. Sa peine n’existe pas. Je n’ai jamais si bien senti la flétrissure qu’ici dans mes conditions. Elle est implacable »... Il voudrait des nouvelles des docteurs Jacquot et Gastaud... Détails cliniques sur les
opérations pratiquées (mal) sur l’ancien ministre Bichelonne, et l’enterrement protocolaire qui a suivi...
▬ 15[-17 novembre]. Réaction aux mémoires du « petit fumier d’Hérold-Paquis [...] Cette petite charogne est aussi menteur et jaloux mort que vivant »... Financièrement, il a de quoi « tenir quatre et cinq ans – D’ici là mon Dieu, le roi, l’âne ou moi... Je bouffe les bénéfices du Voyage – le grand succès de l’époque. Il m’a valu tant de haine qu’il peut bien à présent me sauver la mise. Notre chat Bébert est retombé en plus malade »... Le Vigan est responsable de la campagne dirigée contre lui ; c’est un dénonciateur double, à la Gestapo et à Vichy... Céline est comme la reine danoise Éléonore, enfermée dans une tour une fois son mari mort : « Moi c’est ma mère la France qui me tient au loin enfermée. Elle ne m’aime pas. Elle ne m’a jamais compris. Elle me ferait bien couper la tête – ce qui est aussi une habitude de Reines. – En attendant le prince président Charles commence à tortiller du cul. Il va faire comme tous les princes présidents tourner dictateur peu ou prou »...
▬ 23 [novembre]. L’atmosphère au Danemark n’est plus à l’Homicide, comme en France. « Ce que tu me dis de Fresnes est terrible. Évidemment que je manque à certaines personnes – mais Bonnard ? mais Gabolde ?? se
portent eux admirablement en Espagne », alors que lui-même se meurt d’angoisse, et que son « Bobby » [Robert Denoël] ne se porte pas trop mal non plus... La Suède est riche : « Elle a fourni la moitié de l’acier allemand
consommé pendant la guerre. Faute d’elle la guerre aurait duré 2 ans. Elle a changé l’acier pour l’or aussi s’y trouve-t-on infiniment prospère et heureux. [...] La tripe mène le monde et la France sera beaucoup moins
terriblement vindicative lorsqu’elle bouffera à son aise »... Il évoque leur vie discrète d’exilés, tout le contraire de ce qu’imagine sa secrétaire Marie, qui le voit « gambillant insolent provoquant éclatant et défiant l’opinion »...
Dans l’exil, tout se fane et s’évapore...
▬ 28 [novembre]. « Tu me dépeins admirablement une atmosphère de haine et d’hystérie politique dont la France est toujours chroniquement malade avec accès de haute fièvre cyclique – S t Barthélemy, 89, 71, etc. Elle est connue comme telle à l’étranger heureusement ! Sa justice politique complètement décréditée »...Il s’indigne d’être accusé de crimes de guerre alors qu’il a tout fait pour que la guerre n’ait pas lieu... Il ironise sur le tapage fait autour de Buchenwald... Il raconte leur vie quotidienne dans le froid : « Pour travailler je m’habille en mongol. Je gèle quand même »... Il parle des ravages des maladies vénériennes dans la jeune génération, notamment leur logeur le danseur Billy Bartholin, « homosexuel confirmé »... Quant à Buchenwald : « Il y a toujours quelque chose de plus abject de plus fumier que les pires bagnes que les pires institutions, c’est l’Homme – il n’est jamais surpassé »... Lecture des Mémoires d’outre-tombe, qui réveillent sa nostalgie de la Bretagne « où je retournerai mourir si l’on me laisse. Je en suis qu’un breton de Paris »... Puis sur Alphonse de Châteaubriant, de La Gerbe, larbin d’Abetz et germanophile profond,, ce qui est interdit. « Il faut être anti-allemand, philosémite et républicain – ou cesser d’être français. Cela fait partie consubstantiellement du Français. [...] Moi qui étais si bien anarchiste qu’ai-je été me foutre sous un pavillon de connards ! Et perdants en plus ! et cocus ! haïs ! honnis ! massacrés ! »...
▬ 27 juillet 1948. Ils ont du chagrin à ne plus recevoir de ses lettres : « tu n’as rien à craindre du tout... Mon courrier n’est ni ouvert ni surveillé – je suis prisonnier libre sur parole »... Il l’invite à le rejoindre chez son avocat
Mikkelsen : « Tu ne trouveras ici que des ambassadeurs et des ministres. Rien de clandestin – louche ou tendancieux. D’ailleurs discrétion absolue »...
▬ 4 août. La police et la justice danoise se foutent de sa correspondance : « Ils sont fixés depuis toujours sur l’étendue de mes crimes [...] avec un total mépris de mon importance mystique ou politique »... Il évoque le nombre
de Danois condamnés par les tribunaux français pour avoir travaillé pour la Gestapo en France, et dont on attend encore l’extradition ; de même, Chautemps. Mikkelsen le défendait contre une opinion très montée... Désormais ils vivent sans confort dans une cahute qu’il appelle la maison Thénardier : « J’hésite entre Valjean et Thénardier... De temps en temps je reçois la visite de Javert »... Il lui recommande Mikkelsen, franc-maçon
généreux et roublard, et dénonce ses anciens compagnons Bécart et Gen Paul. « As-tu lu Uranus par Marcel Aymé ? Cela me semble une bonne chronique de l’an 1000 – 1945 – une fosse d’ordures et de reptiles. Inutile de te dire que nous avons été volés de tous et dans tous les sens [...] et plus aucun moyen de gagner ma vie – mes livres sont au pillage comme mes meubles – les successeurs de Denoël des gangsters »...
▬ 26 août. Mikkelsen viendra à Paris en octobre : " il nous a, tel, sauvé la vie. [...] De la fosse aux reptiles où nous nous trouvions il nous a tiré par les cheveux. Le cas était désespéré – même en Suède hélas ! livrés à coup sûr ! "... »
▬ 31 août. Il lui soumet une fleurette dénommée Ypéricon, en danois, allemand et anglais, et demande, par « amour-propre patriotique », son nom et son lieu naturel en France... Il l’entretient aussi des récoltes de
Mikkelsen, qui sera à Paris en octobre : « Il est ici avocat des ambassades d’Angleterre et d’USA – donc d’UN OPTIMISME ABSOLU – au-dessous : demi-naïveté – demi roublardise – mais un admirable cœur. – Le type
est savoureux – avare et généreux etc. – Tu connais ces contrastes – un puceau pour nous, vieux cliniciens »...
▬ On joint :
– une photographie originale de Céline prise par la police de Kränzlin (Prusse) en septembre 1944, annotée au dos par Céline (« chez les Nibelungen police ») ; une demande dactylographiée de réforme avec pension avec état de services, [1939 ?], avec enveloppe autographe au D r Gentil [25.VIII.1948] ;
- 9 lettres de Lucette DESTOUCHES au Dr Gentil, 1945-1948, très intéressantes et bouleversantes (L.A.S. ou L.A., environ 50 p., qqs déchir.), avec qqs enveloppes (la 1 re de la main de Céline) ;
- 3 télégrammes de Lucette sous le nom de Johansen au Dr Gentil (1946), pathétiques appels au secours ;
- 1 L.A.S. de Marie CANAVAGGIA à Céline, 9 octobre [1945] ;
- 1 L.A.S. de Gabrielle DONAS (mère de Lucette), au Dr Gentil, Nice 26 janvier 1946 ; une carte postale illustrée (Ringgenberg,
Faulensee) ; et
- un ensemble de coupures de presse, 1941-1949 (Germinal, Le Pilori, La Gerbe etc.).
Lettres à Alexandre Gentil (1940-1948), éd. Olivier Caraguel (Tusson, Du Lérot, 2014)