Description
effacée avec manques aux angles ; la moitié sup. du dernier feuillet manque; quelques ff. manquent); plat inférieur de la reliure d’origine en vélin d’époque seul conservé ; placé dans une reliure ancienne en peau de truie estampée avec restes de fermoirs ; boîte-étui cartonnée moderne.
Exceptionnel manuscrit inédit du récit d’un pèlerinage en Terre Sainte au début du XVIe siècle, illustré de dessins.
Le frère mineur Jehan GACHI, originaire de Cluses en Savoie, docteur en théologie, était gardien du couvent des cordeliers de Beaune ; il fut plus tard (1539) Père provincial des franciscains de Bourgogne ; il est l’auteur d’un Trialogue nouveau contenant l’expression des erreurs de Martin Luther, les doléances de Iérarchie ecclésiastique et les triumphes de Vérité invincible (1524) ; dernier confesseur des clarisses de Genève, chassé de cette ville, il a rimé un pamphlet La Déploration de la Cité de Genefve. Il partit pour la Terre Sainte au printemps 1532. À Venise, il rencontra au mois de mai Denis Possot, un homme d’église de Coulommiers, qui accomplissait le même pèlerinage ; ils firent donc le voyage ensemble,ce que confirme la relation de Possot, qui a été publiée (Le Voyage en Terre Sainte composé par Maître Denis Possot et achevé par Messire Charles Philippe Seigneur de Champarmoy et de Grandchamp, publié par R. Chaudière en 1536). Le manuscrit commence lorsque les voyageurs arrivent à Ferrare. Le 7 mai ils sont à Venise ; Gachi y consacre une bonne vingtaine de pages, s’émerveillant notamment du nombre et de la magnificence des églises. Ils en repartent le 14 mai à bord de la Sancta Maria, chargée d’armes pour Famagouste, en compagnie du provéditeur de Chypre Stampoulo, et du gouverneur de Zante Barbarigo ; ils naviguent le long des côtes d’Istrie puis d’Albanie et de Morée. Le 1er juin, ils sont à Jacinte (Zante), où Angelo Barbarigo fait son entrée (Gachi décrit la cérémonie). Le 14 juin ils font escale à Chypre, d’où ils repartent le 21 juin, pour arriver à Japhe (Jaffa) le 27 juin et à Rame (Ramla) le 1er juillet, et entrer à Jérusalem le 2 juillet « au soleil couchant » ; ils sont logés au couvent du « mont de Sion ». 4 juillet :« Sensuyt la premiere journee […] peregrination au torrent de Cedron, vallee de Josaphat, Bethanie et mont dolyves et contient xxxiiii stations »… « La seconde journee le Ve de Juillet contenant les peregrinations faictes en la tressaincte cité de Betleem de la Saincte cresche et lieu de la nativité de Nre Sgr de laparition des Anges aux pasteurs advement des troix Roix Sepulchre sainct Jerosme de leglise S. Catherine et aultre lieux alenvyron et dedans et par les chemins et contien ceste journee xxvi stations »… « La troisiesme journee contenant la visitacion des montaignes de Judee des maysons de Zacharie ou fut faicte la visitacion nostre dame par elle conpose le magnificat et la nativite S. Jehan baptiste et le premier desert de sa penitence et le lieu ou crut le bois de la saincte croix et la premiere entree du tressainct sepulchre de nostre Seigneur »…. « La quatriesme journee contient la visitacion du sainct Sepulchre de nre Sgr du mont de calvayre et des aultres saincts lieulx estans enclos dans la tres grande Eglise du Sainct predict sepulchre »… Le 7 juillet, Gachi célèbre la messe « dessus le Sainct Sepulchre » ; relation détaillée de la cérémonie où deux gentilhommes sont faits chevaliers du Saint Sépulcre ; visite de « tous les aultres lieu estant dedans la ditte esglise »…. Etc. « La xime Journee [13 juillet] faict mention de la residence dans le temple du sainct sepulchre »… « La treziesme Journee [15 juillet] contenant les stations faictes en Ebron et lenvyron ». Gachi indique alors : « Restoit encores daller vixiter la Galilee ou nous avyonsbien deliberer daller mais pource quil y avoyt grand danger pour les arabes et nous estions bien petit nombre de pelerins ne nous fust possible aller car il falloit trop grand argent » (il dresse cependant la liste des vingt stations à faire en Galilée). Il expose alors longuement les treize « nations et sectes » demeurant à Jérusalem, leurs rites et coutumes, leurs alphabets… : les Grecs, les Jacobites, les Suriens, les Nestoriens, les Arméniens, les Georgiens, les Abbassins ou Indiens, les Maronites, les Nubiens ou Jameniens, les Biduins ou Madiamiains, les Morosabites, les Juifs, puis « La XIIIe nation cest celle qui tien et injustement tirannise la terre saincte cest la dampnable nation des Sarrasins payens et mahometistes lesquieulx comment pourceaulx vivent lubriquement et ont aultant de femmes quil en peuvent nourri et sont infames sodomites »… « Sensuit le retour de nostre pelerinaige de la terre saincte ». Ils quittent Jérusalem le 16 juillet. Journal de la navigation jusqu’à Candie (Crète), où ils arrivent le 16 août : la maladie sévit parmi les pèlerins, dont plusieurs décèdent (dont Denis Possot) ; maladie et décès (16 septembre) de l’évêque de Chypre (que Gachi assiste en lui donnant la communion). Le 26 septembre, ils embarquent, mais le départ est retardé ; ils débarquent à Corfou le 21 octobre ; le manuscrit s’interrompt le 26 octobre, alors
qu’ils vont repartir de Corfou... Gachi offre une description minutieusement détaillée de Jérusalem et de ses environs : le mont du Calvaire, Jéricho, Bethléem, le mont de Sion, la vallée de Josaphat, le Temple de Salomon, la piscine probatique, le Saint Sépulcre, les portes de la ville, le Jourdain. La visite du Saint Sépulcre en particulier est l’occasion d’une procession que les pèlerins accomplissent
pieds nus, s’arrêtant à chaque station. Mais l’intérêt n’est pas seulement historique et archéologique. Le texte foisonne également de rencontres, de scènes auxquelles les voyageurs ont assisté, de détails pittoresques sur les mœurs qui frappent le narrateur, et sur les conditions matérielles dans lesquelles se déroule ce voyage. Nous n’en citerons que deux exemples : le 6 juillet, « envyron troix heures apres mydi le Rd père gardien du mont de Sion aconpaigne de dix Religieux nous mena tous devant lesglise du Sainct Sepulchre pour nous y faire entre et la attendismes la venue du Subassin de Jhrlm lequel dormoit et quant il fut venu il sestoy assis devant la grand porte aconpaigne de ces gens et receu pour lentree de chasque pelerins secullierss neufz ducatz veniciens et entrerent puys en bailliant leur nons par escript lesquieulx le scribe escripvyt en lettre Arabique Et de nous aultres Religieulx il ne prenent riens »... « Ce dimanche [7 juillet] apres Vespres nous sourtismes hors du Sainct Sepulchre et retournasmes au couvent du Mont de Sion Et pour ce que nous estions deslibere daller landemain visiter le fleuve de Jourdain qui est loing de Jhrlm a trente mille Mais pour tant quon ny peult seurement aller sans gardes a cause des Arabes fut necessayre prendre forte main pour nos gardes et conduyre pour tant ce jour fut faict marche avec le Subassin de Jhrlm pour nous conduyre bien en compaigne lequel demanda trente et six ducats dor laquelle somme payasmes dix et huyt pelerins que nous estions aultrement nous ny feussions point allez et faillit aussy payer chascon quatre marcel pour le truchement quest la tierce part dung ducats dor. Ce soer nous nous disposasmes de partir landemain bien mattin pour esvyter les grosses challeurs et pour ce que par avant avyons este mal prouveuz des asnes et qui se laissoit souvent tumber et ne pouvoit cheminer et que nous avions deux fort grandes journes a faire nous demandasmes des mulletz lesquieulx la nuict furent amenez mais chascon paya pour son mullet quatre marcel »...
Le manuscrit est illustré de 23 dessins à la plume (dont 9 à pleina page) représentant les lieux saints, insérés à l’endroit où il en est question : « le lieu ou fut né nostre seigneur », « Cest le lieu ou fut recliné nostre seigneur en la cresche », « carrobes » (caroubes), « lentree et le devant de la saincte
esglise du sainct sepulchre de nostre Seigneur » et « le mont calvayre » (« Jay effigié le mieulx que jay peu le dict clochier et portail [...] comme on le voit du costes devant »), « dispositio et figura sacri montis calvarii », « Templum S. Sepulcre », intérieur du Saint Sépulcre, la « fontayne des apostres », « Porta Aurea Civitatis Sancte Iherusalem », « Fons Helisei », « Hec est Probatica Piscina », « Templum Salomonis ut apparet exterius tale est », « Ubi Apostoli laturunt », « Natatoria Syloe », « Altare est ubi [...] XPS apparuit Magdalene », « Hec est figura cameli » (chameau), « Japhe.
Portus Ioppensis », « Paradisi mousa »...Plus 6 tableaux d’alphabets anciens : tableau de l’alphabet grec, « Les lettres des Jacobites », « Littere Caldaice », « Littere Abbassinorum », « lettres hebraiques », « Littere Arabice ».. L’écriture est soignée et lisible, probablement mise au net par Gachi
lui-même d’après des notes ou ses souvenirs, et combinée à de naïves illustrations. Les feuillets sont cousus en cahiers (le 2 e cahier a été placé par erreur dans le 5 e ).
Nous n’avons identifié que deux autres manuscrits connus de Voyage en Terre Sainte en français pour la première moitié du XVI e siècle : celui du cordelier Bonaventure Brochard (1533-1534), conservé à la BnF ; celui du bénédictin Dom Nicolas Loupvent (1531), à la bibliothèque de Saint-Mihiel. Notre manuscrit serait donc bien le seul connu à ce jour restant en mains privées.
PROVENANCE
Abbé Villioud, curé de la Chavanne, près Montmélian (cité par Ch. Schefer).
BIBLIOGRAPHIE
Le Voyage en Terre Sainte composé par Maître Denis Possot et achevé par Messire Charles Philippe Seigneur de Champarmoy et de Grandchamp, 1532, publié et annoté par Ch. Schefer, 1890).