Description
Liédet (actif circa 1450-1475) ou son atelier
III + 267 ff., précédés d’un feuillet réglé et suivis de 2 feuillets blancs non réglés, manuscrit complet (mais un volume sur deux ; collation du présent manuscrit : i4, ii-xvi12, xvii-xx10, xxi-xxiii12, xxiv10+1), foliatation ancienne en rouge en chiffres romains, quelques signatures (cI (f. 25) ; c4 (f; 28)), certaines réclames pour partie rognées court, sur papier, avec filigranes du type (1) Briquet : « Ecu à une bande chargée de deux cotices potences et contre-potencées (armoiries de Champagne) », proche de Briquet no. 1039 (Troyes, 1464 ; Douai, 1465) et no. 1041 (Troyes, 1473 ; Sens 1480) – (2) Briquet, «Ancre surmontée d’une croix », no. 392, Grammont, 1463 ; n°386, Troyes, 1466 ; bâtarde bourguignonne (on distingue deux mains (main A, ff. 1-230v ; main B, ff. 231-267)), texte sur deux colonnes (justification : 175 x 257 mm), réglure à l’encre rouge pâle, piqûres visibles, rubriques en rouge, texte scandé par des pieds de mouche en rouge et bleu, ini - tiales peintes en rouge ou bleu (2 lignes de hauteur), grandes initiales puzzle en rouge et bleu avec décor filigrané bleu et rouge, initiale peinte en bleu rehaussée de blanc avec décor floral et rinceaux sur fonds d’or (5 lignes de hauteur) introduisant le texte, feuillet frontispice enluminé avec bordures enluminées sur fonds réservé, armoiries peintes dans la bordure inférieure (Lalaing, seigneurs de Montigny), grande miniature en frontispice (fol. 1). Reliure de plein veau havane glacé et moucheté (XVIII e s.) sur ais de bois (éléments de la reliure d’origine), dos à 5 nerfs, triple filets dans les entre-nerfs, pièces de titre de cuir rouge avec en lettres dorées : « Histoire de Tristra (sic) dit le Bref (sic) » et «M.S. », armoiries poussées au centre des plats (quelques épidermures, nerfs frottés, mais bonne reliure ; restauration de papier au premier feuillet de garde (toute la moitié inférieure du feuillet), papier taché par endroits, manques de papier aux ff. suivants dans la partie inférieure des feuillets, sans atteinte au texte : ff. 9-18 et ff. 252-264 ; déchirure au papier du feuillet frontispice en bas de page, également petite déchirure au feuillet 2 en bas de page, sans gravité ; pliure verticale à la miniature, sans gravité, couleurs intactes et vives).
Dimensions : 276 x 385 mm.
Manuscrit offert à un Prince de la Cour de Bourgogne (Simon ou Josse de Lalaing), sur papier, un support qu’affectionnaient les bibliophiles de la Cour de Bourgogne pour la réalisation de manuscrits de luxe enluminés.
Ce manuscrit figure dans l’inventaire des manuscrits de Charles II Comte de Lalaing en 1541 : « Premier volume de Tristan escript à la main ».
PROVENANCE
1. Inscription dans la marge supérieure du premier feuillet frontispice : « Lalaing » et le prénom rajouté par une autre main « Jacques » (mains du XVII e siècle ?). Si les armoiries peintes dans l’encadrement inférieur du feuillet fron - tispice sont bien celles d’un membre de la maison de Lalaing, il semble que l’identifi - cation à Jacques de Lalaing (1421-1453) soit erronée. On remarque que les armoiries se blasonnent comme suit : « De gueules à dix losanges d’argent accolés et aboutés, trois, trois, trois et un, brisés sur le premier losange d’un lionceau de gueules ». Ce sont les armes des Lalaing seigneurs de Montigny. La branche de Montigny, qui devint la branche principale au XVI e siècle, brisait d’un lionceau de gueules sur le premier losange. Les surbrisures se faisaient en changeant la couleur du lionceau ou en les multipliant (Josse de Lalaing du vivant de son père Simon). Au vu des dates et du style du décor, il peut s’agir de Simon de Lalaing (1405- 1476), Seigneur de Montigny et Santes, prévôt de Valenciennes en 1429 et 1433 qui épouse Jeanne de Gavre-Escornaix ; ou encore plus probablement de leur fils Josse (ou Jost) de Lalaing (1437-1483) qui rachète la seigneurie de Lalaing à son cousin Jean Ier, Conseiller et Chambellan du Duc de Bourgogne Charles le Téméraire. Si l’on admet une datation circa 1470- 1475, le commanditaire peut être soit Simon de Lalaing (alors sexagénaire), soit Josse de Lalaing (alors trentenaire). On connait quelques manuscrits ayant été commissionnés par Josse de Lalaing, dont un livre d’heures copié pour le couple Lalaing-de la Viefville (Londres, Quaritch, cat. 1931, no. 46, cf. base de données H. Wijsman, CNRS/ IRHT Telma, ref. 3774) ; citons aussi les Roman de Thèbes, Roman de Troie, Cologny, Fondation Bodmer, 160 [provenance Gaignat et La Vallière] ; cf. base de données H. Wijsman, CNRS/IRHT, Telma, ref. 1423.
2. Manuscrit inclus dans l’inventaire de Charles II, comte de Lalaing, dressé en 1541: «Premier volume de Tristan escript à la main ». Il est intéressant de noter que seul le premier volume du texte se trouvait dans la bibliothèque de Charles II, Comte de Lalaing, en 1541 », Jean-Marie Cauchies (ed.), Les sources littéraires et leurs publics dans l’espace Bourguignon (XIVe – XVIe siècles) (PCEEB, 31), Neuchâtel, 1991, pp. 199-216, en particulier p. 211.
3. Reliure aux armes de la famille Van der Cruisse de Waziers. Armes reportées aussi dans les entre-nerfs. Il s’agit d’Arnoul van derCruisse (ou Cruysse), Seigneur de Waziers
(1712-1793), né et décédé à Lille. Il avait épousé Albertine Imber t de Grimaret z, dame de
Martinsart (1715-1782). Il lègue sa riche bibliothèque à ses deux petits-fils Albert et Charles van der Cruisse. L’hôtel Van der Cruisse de Waziers est un ancien hôtel particulier situé 95 rue Royale à Lille. Ce manuscrit était conservé au château de Sart, à Flers (Nord).
Notre manuscrit est cité dans les Mémoires de la société royale des sciences, de l’agriculture et des arts de Lille (1839, 2 e partie), Lille, 1840, avec la notice suivante : « Histoire de Tristan dit le Bref – In-fol. Gr. Pap., lign., régl., car. goth., 2 col., bien cons., rel. v. f. Une grande miniature avec des armes au bas au commencement.
Ce manuscrit appartient au Comte de Lalaing » (Mémoires... (Lille, 1840), p. 385). La précieuse collection est détaillée aux pp. 381-391. Sur la bibliothèque Van der Cruisse de Waziers, voir E. Olivier, « La bibliothèque Van der Cruisse de Waziers », in Extraits des archives de la Société française des collectionneurs d’ex-libris et de reliures artistiques, nov. 1925.
4. Inscription à l’encre sur le recto de la première garde de papier réglé : « Voiés le catalogue de Mr. de Gaignat t. 1, fol. 555. no. 2288. – Le catalogue de Mr. le Duc de la Vallière, t. 2, fol. 614, no. 1015 ». La référence au catalogue du Duc de la Vallière est erronée : il s’agit d’un tout autre manuscrit du XIII e siècle, 387 ff., « décorés de
quelques miniatures » (Catalogue des livres de la bibliothèque de feu M. le Duc de la Vallière.
Première partie, tome second, Paris, De Bure, 1783, no. 4015, p. 614).
5. Inscription ancienne « ex dono » pour partie effacée, peut-être lisible à la lampe de Wood (fol. I).
TEXTE
Ce manuscrit contient le volume I de la version en prose du Roman de Tristan et Yseult. On peut supposer que le second volume a existé, mais celui-ci n’est pas localisé. Signalons que l’inventaire Lalaing de 1541 n’annonce qu’un volume déjà au XVI e siècle.
La première édition incunable du Tristan en prose parue sous le titre « Les faiz du tresvaillant et renommé Chevalier Tristan », Rouen, Jean le Bourgeois pour lui-même et pour Antoine Vérard, 1489v (HC 15612 ; Pell. 11178 = 11179 ; Goff T-430).
Renée L. Curtis (1963/1965) et Philippe Ménard (2007) ont édité la version longue : R. Curtis a travaillé à partir du manuscrit Carpentras 404 et suit Tristan depuis ses origines familiales jusqu’à l’épisode de sa folie ; P. Ménard a dirigé plusieurs équipes de spécialistes travaillant sur le manuscrit Vienne 2542.
On connait cinq versions en vers du Roman de Tristan. C’est au XIII e siècle que se fixe une version en prose. Le Tristan en prose est une longue relation en prose française (contenant néanmoins des passages lyriques) de l’histoire de Tristan et Iseult, et le premier roman de Tristan qui le relie au cycle arthurien. Selon le prologue, la première partie (avant la quête du Graal), dont la date de rédaction est estimée entre 1230 et 1235, est attribuée à Luce de Gat, inconnu en dehors de cette mention (il en est fait mention dans la rubrique du présent manuscrit qui précède la table). Cette partie semble avoir été remaniée et développée après 1240.
Un second auteur se présente dans l’épilogue comme Hélie de Boron, neveu de Robert de
Boron ; il déclare avoir pris la suite de Luce de Gat, et avoir travaillé comme lui d’après
un original en latin. L’identité des auteurs/traducteurs Luce de Gat et Hélie de Boron a été mise en doute.
ff. I-III, Table du premier volume, avec rubrique : « Cy commence la table sur le premier volume de tristran » ; explicit, « Cy fine la table sur le premier volume de Tristran » ;
f. IIIv, Longue rubrique : « Cy commence la grant histoire de Tristram qu’on appelle le Bret
laquelle histoire messire Luces le grant et messire Hellys de Borron translatererent de latin en francois et appellerent entre eulz deulz cestui livre communement le livre du Bret pour ce que bret est autretant a dire comme maistre et dirent que ce livre est maistre sur tous les aultres livres qui ont esté extraitz du roy Artus et de tous les compaignons de la table reonde dont ce livre traitte ordonnierement de l’ung apres l’autre et premierement messire Luces tant comme il vesqui si briefment come vous orez et commença en telle manière » ; ff. 1-267, incipit, « Apres la passion de Jhesu Crist Joseph d’Arimathie vint en la grande bretaigne par le commandement de nostre seigneur et crestienna moult grant partie des habitans Joseph avoit ung serourge nommé Bron lequel avoit un filz... ».
ICONOGRAPHIE
Ce manuscrit est illustré d’un grand frontispice enluminé (f. 1), qui figure plusieurs scènes dans un seul tableau. On reconnait Tristan qui monte à cheval. A gauche, Tristan accueille Iseult qui arrive en bateau chargé d’hommes en armes. Enfin dans une forêt lointaine, Iseult, assise au sol, assiste au combat de Tristan contre un sanglier sauvage.
La miniature est attribuable à Loyset Liédet, artiste actif et documenté en « Hesdin » dès
1454. Il apparait en 1469 parmi les nouveaux membres de la gilde des gens du livre de la
ville de Bruges en 1469 où il est présent dès 1468 (il peint un Regnault de Montauban (Paris, BnF, Arsenal, ms 5072)). Georges Dogaer a bien identifié son style : « His tall figures are easily recongnizable: they are very slim and tend to sag a little at the knees, nearly all of them have the same facial expression, and their attitudes are wooden and stiff. Although Liédet’s compositions remain rather cold and arid, his colours, as a rule, strongly varied and fresh, lend life to his pictures” (Dogaer, 1987, p. 107).
Loyset Liédet fut, pour l’essentiel, au service des Ducs de Bourgogne (notamment le Duc
Charles le Téméraire pour qui il réalisa plus de 400 miniatures) et des membres de leurs cours.
Liédet illustre pour eux plusieurs manuscrits, avec une prédilection pour les romans et les chroniques : il est à la tête d’un atelier florissant à Bruges dont serait issue la présente miniature si l’on retient une production d’atelier.
BIBLIOGRAPHIE
– Born, Robert. Les Lalaing. Une grande « mesnie » hennuyère, de l’aventure d’Outrée au siècle des gueux (1096-1600), Bruxelles, 1986.
– Bousmanne, B., T. Delcourt (dir.), I. Hans-Collas, P. Schandel, C. Van Hoorebeeck et M. Verweij (ed.), Miniatures flamandes, 1404-1492, Bruxelles-Paris, 2011.
– Chocheyras, Jacques et Philippe Walter, Tristan et Iseut : genèse d’un mythe littéraire, Paris, Honoré Champion, 1996.
– Curtis, Renée L. Le Roman de Tristan en prose, vols. 1-3. Cambridge (1963–1965).
– Dogaer, Georges, Flemish Miniature Painting in the 15th and 16th centuries, Amsterdam, 1987.
– Légaré, Anne-Marie, « Loyset Liédet : un nouveau manuscrit enluminé », in Revue de l’art, 4 (1999), pp. 36-49.
– Ménard, Philippe (éd.) Le Roman de Tristan en Prose, vols. 1-9. Genève, Droz, 1987-1997 - Vanwijnsberghe, Dominique, « Marketing Books for Burghers: Jean Markant’s activity in Tournai, Lille, and Bruges », in Flemish Manuscript Painting in Context. Recent Research, ed. E. Morisson and T. Kren, Los Angeles, 2006, pp. 135-148.
– Wijsman, Hanno, « William Lord Hastings, Les Faits de Jacques de Lalaing et le Maître aux inscriptions blanches. À propos du manuscrit français 16830 de la Bibliothèque nationale de France », in Als ich can. Liber amicorum in Memory of Prof. Dr. Maurits Smeyers, ed. Bert Cardon et al., Leuven, 2002, pp. 1641-1664.
– Wijsman, Hanno, Luxury bound. Illustrated Manuscript Production and Noble and Princely Book Ownership in the Burgundian Netherlands (1400-1550), Turnhout, Brepols, 2010.