Lot n° 13

[BIBLE] ÉVANGILE DE MATTHIEU EN LATIN — En latin, fragment en onciale du 6 e siècle (fragment de réemploi pour renforcer le dos de la reliure du second volume de Johannes Leunclavius, Jus Graeco-Romanum, II, Frankfurt, 1595 - vendu avec le lot).

Estimation : 60 000 - 80 000 €
Adjudication : 104 000 €
Description
♦ Rare fragment du début de l’Iliade .
2 fragments de réemploi, longues bandes de parchemin découpées au niveau des 7 nerfs, de façon à renforcer les entrenerfs entre la couvrure et le dos (304 x 63 mm. et 310 x 65 mm) ; 26 lignes en onciale (desc. de Lowe, CLA 1801: « Script is regular stately uncial not of the oldest type, to be compared to the Ancona Gospels : the bow of A is attenuated and pointed; the upper bow of B forms a small triangle; the hasta of E is fairly high; the base of L terminates in a tiny triangle ; the top of T usually has a thickening only at the left; bows and round letters are ample and fullblown »), à l’encre carbone, frottements et trace de colle sur les parties en contact avec les entrenerfs, petit travail de vers en marge supérieure et inférieure ; conservé dans un étui de maroquin rouge réalisé par Nello Nanni (New York) avec le volume dans lequel il était relié. Attesté comme l’un des témoins le plus anciens de l’évangile de Matthieu dans la Vulgate.

TEXTE
Ce fragment est un des plus anciens manuscrits connus de la Vulgate pour l’évangile de Saint Matthieu, probablement le quatrième ou le cinquième le plus ancien. Saint Jérôme n’avait établi la Vulgate que deux siècles avant ; le pape Damase Ier l’avait commissionné en 383 pour traduire les quatre évangiles en latin, tâche qu’il réalisa ensuite avec l’Ancien Testament durant les 34 dernières années de sa vie (†420).

Les cinq premiers témoins de l’évangile de Matthieu, Vulgate complète ou fragmentaire, dans l’ordre chronologique (manuscrits datables) :
- 1. Sankt Gallen, Stiftsbibliothek, MS 1395 (avec d’autres fragments conservés à Sankt Paul à Carinthia et dans les Staatsarchiv et Zentralbibliothek à Zurich), plusieurs fragments, Italie, début du V e siècle.
- 2. Autun, Bibliothèque municipale, ms 21 (avec d’autres fragments conservés à Paris, BnF, ms n.a. Lat. 1628), fragments, palimpsest, Italie, V e siècle.
- 3. Cividale, Museo archeologico nazionale (avec d’autres fragments conservés à Prague et Venise (relique à la basilique Saint Marc), plusieurs fragments, Italie, début du VI e siècle.
- 4. Ancona, Archivio capitolare, 101 feuillets (incomplet), Italie, milieu du VI e siècle.
- 5. Schøyen, MS 30 (ancienne cote de notre fragment). Le stemma codicum des Évangiles en latin fait référence pour les manuscrits les plus anciens à des versions plus anciennes que la Vulgate, comme le Codex Vercellensis (IV e siècle), la partie latine du Codex Bezae (V e siècle) ou bien d’autre fragments plus petits qui n’incluent plus l’évangile de Matthieu. Lowe souligne les similitudes de notre fragment avec celui conservé à Ancona (CLA 278) qui est réputé pour avoir été commandé ou transcrit(?) par Saint Marcellin, évêque d’Ancone à partir de 550 à c.566.
Les deux manuscrits sont datables du second tiers du VI e siècle et sont plus anciens que les témoins complets de la Vulgate, environ 150 avant le Codex Amiatinus, la source la plus importante pour la Vulgate.

Transcription :
− Fragment (a) recto, inc. « [tot]um corpus... » (Matthieu 6:23) des. « ...[no] nne anima plu[s] » (6:25), et verso, inc. «quam esca ... » (Matthieu 6:25) des. « ...[no]n laborant [nequ]e nent » (6:28) ;
− Fragment (b) recto, inc. « [dignus] ut intres ... » (Matthieu 8:8) des. « ...occid[en]te venient » (8:11), et verso, inc. « [e]t recumbent ... » (Matthieu 8:11) des. « ...[ve]spere autem f[acto] ».

Comme beaucoup des témoins les plus anciens de la Vulgate, notre fragment respecte la mise en page que Jérôme avait choisi « per cola et commata », comme il l'explique dans son prologue au livre d'Ézéchiel « Legite igitur et hunc iuxta translationem nostram quia, per cola scriptus et commata, manifestiorem legentibus sensum tribuit » :
«Par conséquent, lis ce texte selon notre traduction parce que, comme l’écriture est pure et césurée, cela donne un sens plus clair aux lecteurs » ; soit matériellement une découpe délibérée dans la phrase avec un saut de ligne marqué pour souligner le sens du texte. Nos fragments proviennent probablement d’un manuscrit sur deux colonnes, estimé à plus de 200 feuillets d’environ 252 x 240 mm.
Les fragments se suivent presque car seulement un feuillet les séparait.

PROVENANCE
La reliure où été conservé le manuscrit est un simple velin avec des plats de carton. Il est probable que le fragment a été découpé et séparé du manuscrit par un relieur dans les environs de Francfort entre 1595 et 1614-15, quand Lord Herbert voyageait en Allemagne. La présence du manuscrit sur le sol allemand pourrait s’expliquer de maintes façons, mais l’hypothèse la plus probable serait au moment de la visite des premiers missionnaires chrétiens irlandais et anglais à la fin du VI e et au VII e siècle. Les manuscrits en onciale de la Vulgate ont été amené sur les îles britanniques par des italiens comme Augustin de Cantorbéry, qui vînt mandaté par le Pape Grégoire le Grand à la fin du VI e siècle pour christianiser l’Angleterre ou Benoît Biscop qui avait probablement une partie de la bibliothèque biblique de Cassiodore. Beaucoup de ces
manuscrits ont été ramenés sur le continent au septième et au début du huitième siècle par St. Willibrord (†739), St. Boniface (†754) et d’autres missionnaires anglo-saxons particulièrement dans la région rhénane, Fulda, Mayence, Eichstätt, Würzburg, et dans les environs de Francfort.
Un exemple représentatif est le manuscrit Würzburg Mp. th. f.68, écrit en Italie au VIe Siècle, présent en Northumbrie dès le septième siècle et en Allemagne au début du huitième siècle entre les mains de St. Burghard, évêque de Würzburg entre 742 et 753 d’origine anglo-saxonne. Un autre exemple sont les Laudian Acts (Bodleian MS Laud Gr. 35), également écrits au sixième siècle en Italie et probablement présents en Northumbrie
du temps de Bède le Vénérable (†735) et dans l’ouest de l’Allemagne au
huitième siècle (Matthew Holford, The travels of the Laudian Acts, 2020). Mention d’achat « bought for 5 shillings by Edward Herbert ». Premier Baron Herbert de Cherbury (1583-1648), Edward Herbert acquit probablement le volume durant son voyage en Europe continentale entre 1614 et 1615 à Cologne ou en Rhénanie (J.M. Shuttleworth, The Life of Edward, First Lord Herbert of Cherbury, Written by Himself, 1976, pp. 72-3) - Monogramme autographe dans le volume (voir Fordyce and Knox, Oxford bibliographical Society Proceedings and Papers, V, 1937, pl. après la p.72). Une partie de sa bibliothèque a été transmise au Jesus College à Oxford. Les autres livres, dont notre volume, sont restés dans les collections de ses descendants au château Powis, dans le centre du Pays de Galles, jusqu’au lègue de 1952 au National Trust par le quatrième Comte de Powis. La bibliothèque fut majoritairement dispersée à cette occasion par Sotheby’s le 31 janvier 1955 (et par Maggs cat.837, 1956), puis de nouveau le 10 juillet 1967. Notre volume, le lot 20, fut vendu à H.P. Kraus. Martin Schøyen acheta en 1987
le fragment (Schøyen MS 30) à Kraus qui publia le Monumenta Codicum
Manu Scriptorum, 1974, n o .2.

BIBLIOGRAPHIE
E.A. Lowe, Codices Latini Antiquiores, Supplement, 1971, p.37, no.1801 (https://
elmss.nuigalway.ie/catalogue/2107) ; B. Bischoff, V. Brown and J. John,
‘Addenda to Codices Latini Antiquiores’, Mediaeval Studies, 54, 1992,
p.307. www.schoyencollection.com/palaeography-collection-introduction/
latin-book-scripts/roman-scripts/uncial/ms-030
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