Lot n° 180

SAINT-EXUPÉRY Antoine de (1900-1944). MANUSCRIT autographe, [Préface au Vent se lève, 1939) ; 5 …

Estimation : 4 000 - 5 000 EUR
Adjudication : 10 140 €
Description
SAINT-EXUPÉRY Antoine de (1900-1944). MANUSCRIT autographe, [Préface au Vent se lève, 1939) ; 5 feuillets in-4
(27 x 21 cm), montés sur onglets sur des feuillets de papier japon, suivis d'une transcription dactylographiée, en un volume in-4, reliure parlante maroquin caramel, avec plats et dos ornés d'un décor céleste, les nuages à l'oeser brun et les rayons solaires dorés, dos lisse orné avec titre doré à la chinoise.
Manuscrit de premier jet et de travail de la préface au livre Le Vent se lève de l'aviatrice américaine Anne Morrow LINDBERGH.
Anne Morrow LINDBERGH (1906-2001), épouse de Charles Lindbergh, elle-même aviatrice, avait participé avec celui-ci à une série de raids dont elle tira un récit haletant, Listen ! The Wind, publié en 1938. L'année suivante, Saint Exupéry accepta de préfacer la traduction française de ce livre donnée par Henri Delgove sous le titre Le Vent se lève, alors qu'il ne connaissait ni l'oeuvre ni la jeune femme. Cette belle préface fut insérée dans le recueil posthume Un sens à la vie (1956).
Le manuscrit, à l'encre bleu-noir, au recto des feuillets, d'une écriture cursive, est surchargé de ratures et corrections (quelques petites traces de rouille).
Saint-Ex profite de cette préface pour exprimer sa conception d'une oeuvre littéraire, s'interrogeant sur le rapport entre le réel et l'écriture du réel, faisant de l'écrivain un passeur entre les mots et les choses... «Je me suis souvenu, à l'occasion de ce livre, des réflexions d'un ami : “Je viens de lire, m'avait-il dit, l'admirable reportage d'un journaliste américain. Ce journaliste a eu le bon goût de noter, sans les commenter ni les romancer, des anecdotes de guerre recueillies de la bouche de commandants de sous-marins. Souvent même il se retranchait derrière la nudité des textes et se bornait à reproduire les notes sèches des journaux de bord. Combien il a eu raison de se retrancher derrière cette matière et de laisser dormir l'écrivain car de ces témoignages secs, de ces documents bruts, se dégage une poésie et un pathétique extraordinaire... Pourquoi les hommes sont-ils si sots qu'ils désirent toujours embellir la réalité, quand elle est si belle par elle-même ? Si un jour ces marins eux-mêmes écrivent, peut-être peineront-ils sur de mauvais romans ou de mauvais poèmes, négligeant les simples trésors qu'ils avaient en leur possession...” [...] Le vrai livre est comme un filet dont les mots composent les mailles. Peu importe la nature des mailles du filet. Ce qui importe, c'est la proie vivante que le pêcheur a remontée du fond des mers, ces éclairs de vif-argent que l'on voit luire entre les mailles. Qu'a-t-elle ramené, Anne
Lindbergh, de son univers intérieur ? Quel goût a-t-il, ce livre ? [...] Anne Lindbergh a rendu, avec une vérité saisissante, ce petit déchirement professionnel. Et certes elle ne s'est pas trompée sur le pathétique de l'avion.
Il ne réside pas dans les nuages dorés du soir.
Les nuages dorés, c'est de la pacotille. Mais il peut résider dans l'usage du tournevis [...]
Mais l'aide des dieux, aussi, est nécessaire :
Anne Lindbergh retrouve la Fatalité. [...] Elle écrit à un étage suffisamment élevé pour que sa lutte contre le temps prenne la signification d'une lutte contre la mort»...
On a relié à la suite du manuscrit : - une dactylographie moderne du texte définitif de la préface. - un télégramme de Saint-Exupéry au traducteur Henri Delgove : «Enthousiasmé par lecture placards Lindberg. Désireux donner importance au lieu de courte préface, si remise texte quinze juillet retour avion
New York vous retarde pas trop» (Saint-Pierre-des-Corps 10 juillet 1939). - un article de Delgove, «Saint-Ex intime : l'histoire d'une préface» (extrait de La Vie mancelle, décembre 1971).
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