Lot n° 196

SAINT-SAËNS Camille (1835 - 1921)L.A.S. «C. Saint-Saëns», Menton 25 mars 1911, à Xavier LEROUX ; 4 pages in-4. Longue et intéressante lettre sur la question de la prose en musique, à la suite d'une enquête de Musica. Il regrette de n'avoir...

Estimation : 700 - 800
Adjudication : 845 €
Description
pas été sollicité, «car cette question me tient à cœur et vous auriez pu me mettre à contribution en citant une partie du chapitre qui lui est consacré dans Portraits et Souvenirs. La prose française me paraît anti-musicale, parce qu'elle est peu accentuée, les hiatus, les séries de syllabes lourdes qu'on y rencontre souvent, lui ôtent le rythme et la sonorité nécessaires à la musique. Une prose spéciale, rythmée, sonore, ayant enfin, sauf la mesure, toutes les qualités du vers et même le lyrisme, peut lui convenir et même lui être très utile [...] quand le Verbe est dans la musique». Il cite en exemple deux airs de Faust et de Samson, «passages purement mélodiques ; [...] la phrase musicale importe seule et la parole doit être son esclave» ; de même au paroxysme du drame à la fin du grand duo des Huguenots, «mais ce sont là des cas exceptionnels et très rares. D'ordinaire, c'est à la musique de se mouler sur le vers», et dans ce cas les beaux vers lui apportent rythme et sonorité, «qu'elle n'a plus qu'à mettre en lumière». L'étude de Musica oppose le rythme des phrases, et celui de la musique qui, dit-elle, «procède par mesures égales. Ici, je cesse de comprendre. La musique procède comme elle veut ; elle possède une souplesse dans l'unité, et un musicien maître de son art ne sera nullement gêné par “le rythme propre” [...] que le vers lui impose ; il y trouvera plutôt une aide et un soutien». Il cite en exemple le «délicieux air de Chérubin», Non so più cosa son... : «comment de ce rythme obstiné et rigoureux MOZART a su tirer une des perles les plus pures de sa partition ! La mélodie sort naturellement du vers comme la fleur du bouton»... On accuse aussi GOUNOD d'avoir martyrisé les vers : «Ah ! je ris de me voir / Si belle en ce miroir», en coupant : «“Ah ! je ris / de me voir si belle / en ce miroir” Alors que si quelqu'un disait ces vers, sans les chanter, il les accentuerait de la même façon»... Il rappelle comment Victor HUGO ne «sacrifie jamais la césure» de son alexandrin, afin d'en conserver le rythme primitif; et il parle du cas de SCHUMANN et son «abus des porte-à-faux» qui est une exception... Si quelqu'un a été respectueux de son texte, c'est GLUCK, dans Armide, où sans égaler Racine et Corneille, Quinault s'est surpassé : «Les vers ont-ils le moins du monde gêné la musique et empêché Gluck, tout en les suivant pas à pas, d'écrire la plus belle des œuvres»... Il conclut que «la vraie prose française substituée au vers pour être mis en musique n'est pas un progrès, mais une régression et une hérésie. Le succès de certaines œuvres récentes ne saurait modifier mon opinion ; Le succès ne justifie pas tout».
SAINT-SAËNS Camille (1835 - 1921)L.A.S. «C. Saint-Saëns», Menton 25 mars 1911, à Xavier LEROUX ; 4 pages in-4. Longue et intéressante lettre sur la question de la prose en musique, à la suite d'une enquête de Musica. Il regrette de n'avoir pas été sollicité, «car cette question me tient à cœur et vous auriez pu me mettre à contribution en citant une partie du chapitre qui lui est consacré dans Portraits et Souvenirs. La prose française me paraît anti-musicale, parce qu'elle est peu accentuée, les hiatus, les séries de syllabes lourdes qu'on y rencontre souvent, lui ôtent le rythme et la sonorité nécessaires à la musique. Une prose spéciale, rythmée, sonore, ayant enfin, sauf la mesure, toutes les qualités du vers et même le lyrisme, peut lui convenir et même lui être très utile [...] quand le Verbe est dans la musique». Il cite en exemple deux airs de Faust et de Samson, «passages purement mélodiques ; [...] la phrase musicale importe seule et la parole doit être son esclave» ; de même au paroxysme du drame à la fin du grand duo des Huguenots, «mais ce sont là des cas exceptionnels et très rares. D'ordinaire, c'est à la musique de se mouler sur le vers», et dans ce cas les beaux vers lui apportent rythme et sonorité, «qu'elle n'a plus qu'à mettre en lumière». L'étude de Musica oppose le rythme des phrases, et celui de la musique qui, dit-elle, «procède par mesures égales. Ici, je cesse de comprendre. La musique procède comme elle veut ; elle possède une souplesse dans l'unité, et un musicien maître de son art ne sera nullement gêné par “le rythme propre” [...] que le vers lui impose ; il y trouvera plutôt une aide et un soutien». Il cite en exemple le «délicieux air de Chérubin», Non so più cosa son... : «comment de ce rythme obstiné et rigoureux MOZART a su tirer une des perles les plus pures de sa partition ! La mélodie sort naturellement du vers comme la fleur du bouton»... On accuse aussi GOUNOD d'avoir martyrisé les vers : «Ah ! je ris de me voir / Si belle en ce miroir», en coupant : «“Ah ! je ris / de me voir si belle / en ce miroir” Alors que si quelqu'un disait ces vers, sans les chanter, il les accentuerait de la même façon»... Il rappelle comment Victor HUGO ne «sacrifie jamais la césure» de son alexandrin, afin d'en conserver le rythme primitif; et il parle du cas de SCHUMANN et son «abus des porte-à-faux» qui est une exception... Si quelqu'un a été respectueux de son texte, c'est GLUCK, dans Armide, où sans égaler Racine et Corneille, Quinault s'est surpassé : «Les vers ont-ils le moins du monde gêné la musique et empêché Gluck, tout en les suivant pas à pas, d'écrire la plus belle des œuvres»... Il conclut que «la vraie prose française substituée au vers pour être mis en musique n'est pas un progrès, mais une régression et une hérésie. Le succès de certaines œuvres récentes ne saurait modifier mon opinion ; Le succès ne justifie pas tout».
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