Description
Reines. [Gounod a écrit la musique de scène pour la pièce de Legouvé, qui sera créée le 27 novembre 1872.] 15 novembre. Il fait appel aux souvenirs de son ami, «à la connaissance que vous avez de ma vie, de ma nature, des luttes soutenues contre moi-même, en dépit des chûtes qui ont humilié ma faiblesse et parfois obscurci mon chemin. [...] Vous ne pouvez pas croire que je fuie la France, et encore moins, que je la renie ! [...] Qu'est ce donc que je fuis ? C'est un milieu d'où je sens et d'où je sais que la confi ance a disparu. [...] je ne peux pas vivre sans cela : le foyer, à mes yeux, ne doit pas avoir une ombre sous ce rapport : être séparés par un nuage perpétuel, ce n'est pas vivre, c'est étouff er»... Il refuse l'hospitalité de Legouvé : «Je ne le ferais pour rien au monde : ce serait déclarer ouvertement que je suis séparé de ma femme, et faire à votre hospitalité si digne et si chère l'injure d'une sorte de complicité et de sanction. Or, je ne suis pas séparé de ma femme, et je ne veux point l'être. Je respecte ma femme, et je ne ferai ni au nom qu'elle a reçu de sa famille ni à celui qu'elle tient de moi le chagrin et le scandale d'échapper ainsi aux peines qui peuvent traverser ma vie et la rendre très douloureuse. Non : quand je rentrerai à Paris, ce sera pour y revenir chez moi, au milieu de ma femme et de mes enfants, dans des conditions telles que je puisse respirer librement l'air dans lequel je vivrai, et non avoir, à chaque instant, sans répit ni trève, le cœur oppressé, écrasé, fl étri par l'ostracisme des êtres que j'aime et qui m'aiment, et par l'humiliation d'être réduit à cette alternative de les voir ou écartés ou accueillis autrement qu'ils méritent de l'être. [...] Ma carrière, mes œuvres, ma raison, ma santé, sont au prix de la paix et de la concorde»... Puis il parle de sa musique pour Les Deux Reines, et notamment du chœur des Danoises et du chœur des Pèlerins... 12 décembre. Après avoir évoqué son déplorable état de santé, il se rejouit du succès des Deux Reines : «Quant à ma part personnelle, vous savez que je n'ai jamais beaucoup de confi ance dans l'exécution musicale de mes œuvres ; je les sens trop vivement, et, il me semble trop ardemment, pour n'être pas dans une anxiété perpétuelle sur l'insuffi sance de la mise en œuvre ; et j'ajoute que ma présence et mes eff orts personnels n'y ont jamais rien fait. [...]Après tout, je suis sûr que tout le mieux possible a été fait aux Italiens pour ma musique, et je suis même convaincu que mon absence a simplifi é des choses que ma présence aurait initiées. Mon seul regret est de n'avoir pas entendu votre œuvre : la mienne je l'ai entendue dans ce petit coin de la cervelle où les auditions sont incomparables»...
GOUNOD Charles (1818 - 1893)2 L.A.S., Londres, Tavistock House 15 novembre et 12 décembre 1872, à Ernest LEGOUVÉ ; 6 et 4 pages in-8. Longues lettres intimes sur son exil à Londres et sa situation familiale, et leur collaboration pour Les Deux Reines. [Gounod a écrit la musique de scène pour la pièce de Legouvé, qui sera créée le 27 novembre 1872.] 15 novembre. Il fait appel aux souvenirs de son ami, «à la connaissance que vous avez de ma vie, de ma nature, des luttes soutenues contre moi-même, en dépit des chûtes qui ont humilié ma faiblesse et parfois obscurci mon chemin. [...] Vous ne pouvez pas croire que je fuie la France, et encore moins, que je la renie ! [...] Qu'est ce donc que je fuis ? C'est un milieu d'où je sens et d'où je sais que la confi ance a disparu. [...] je ne peux pas vivre sans cela : le foyer, à mes yeux, ne doit pas avoir une ombre sous ce rapport : être séparés par un nuage perpétuel, ce n'est pas vivre, c'est étouff er»... Il refuse l'hospitalité de Legouvé : «Je ne le ferais pour rien au monde : ce serait déclarer ouvertement que je suis séparé de ma femme, et faire à votre hospitalité si digne et si chère l'injure d'une sorte de complicité et de sanction. Or, je ne suis pas séparé de ma femme, et je ne veux point l'être. Je respecte ma femme, et je ne ferai ni au nom qu'elle a reçu de sa famille ni à celui qu'elle tient de moi le chagrin et le scandale d'échapper ainsi aux peines qui peuvent traverser ma vie et la rendre très douloureuse. Non : quand je rentrerai à Paris, ce sera pour y revenir chez moi, au milieu de ma femme et de mes enfants, dans des conditions telles que je puisse respirer librement l'air dans lequel je vivrai, et non avoir, à chaque instant, sans répit ni trève, le cœur oppressé, écrasé, fl étri par l'ostracisme des êtres que j'aime et qui m'aiment, et par l'humiliation d'être réduit à cette alternative de les voir ou écartés ou accueillis autrement qu'ils méritent de l'être. [...] Ma carrière, mes œuvres, ma raison, ma santé, sont au prix de la paix et de la concorde»... Puis il parle de sa musique pour Les Deux Reines, et notamment du chœur des Danoises et du chœur des Pèlerins... 12 décembre. Après avoir évoqué son déplorable état de santé, il se rejouit du succès des Deux Reines : «Quant à ma part personnelle, vous savez que je n'ai jamais beaucoup de confi ance dans l'exécution musicale de mes œuvres ; je les sens trop vivement, et, il me semble trop ardemment, pour n'être pas dans une anxiété perpétuelle sur l'insuffi sance de la mise en œuvre ; et j'ajoute que ma présence et mes eff orts personnels n'y ont jamais rien fait. [...]Après tout, je suis sûr que tout le mieux possible a été fait aux Italiens pour ma musique, et je suis même convaincu que mon absence a simplifi é des choses que ma présence aurait initiées. Mon seul regret est de n'avoir pas entendu votre œuvre : la mienne je l'ai entendue dans ce petit coin de la cervelle où les auditions sont incomparables»...