Description
parchemin taché suite à un encollage ancien, sans atteinte à la miniature ni aux bordures enluminées.
Belgique, sans doute Gand (ou Anvers ?), vers 1460-1470.
Attribuable à Liévin van Lathem (actif Gand et Anvers, 1454-1493) ou disciple de Liévin Van Lathem (?).
— Provenance :
Succession Pierre Hautot (France).
Dimensions : 175 x 120 mm
Les funérailles, comme tout rite, est un événement suspendu dans le temps : la présente miniature donne cette impression d’intemporalité universelle. Les « deuillants » figurés dans la présente miniature évoquent avec retenue le sort commun de l’humanité, débordant du cadre individuel pour investir l’universel.
Ce feuillet est extrait d’un livre d’heures réalisé en Flandres, et la miniature introduit une section importante dans le manuscrit, à savoir l’Office des morts. La miniature cintrée figure une scène de cortège funèbre, avec le cercueil recouvert d’un drap funéraire (ou poêle) rouge avec rehauts d’or, accompagné de pleurants encapuchonnés vêtus de noir et de brun. La fosse creusée est béante, prête à recevoir le cercueil. Les pleurants peuvent rappeler bien sûr les sculptures de pleurants en albâtre réalisés pour les tombeaux des ducs de Bourgogne. Un prêtre, moine tonsuré, tient un livre ouvert et prononce des prières funèbres, assisté de deux jeunes clercs dont l’un tient un sceau d’eau bénite. La scène se déroule sous une architecture composée de colonnades grises habilement figurées. Ces colonnes et arcs avec clef-de-voûtes pendantes forment une sorte de galerie ou portique ouvert sur l’extérieur et les pleurants qui accompagnent le cercueil sont pour certains cachés derrière une colonne, conférant une impression de mouvement à la scène ou de prise de vue instantanée de la scène capturée par l’enlumineur. Au lointain, une architecture (église ou chapelle ?) sur un monticule et un personnage s’y dirigeant (pèlerin ?).
On signalera le traitement particulier de cette miniature, avec la procession saisie dans son déroulement entre galerie-portique et extérieur, faisant figurer des pleurants de profil ou de dos, avec des visages parfois perceptibles sous les capuchons. Les figures des pleurants (ou deuillants) rappellent ceux que l’on trouve par exemple dans une miniature au commencement de l’Office des morts (Sam Fogg, Livre d’heures, peint par le Wodhull-Harberton Master et le Houghton Master, c. 1490). Une scène connexe de mise en terre avec des pleurants, sur une miniature attribuée à Liévin van Lathem, se trouve dans les Heures dites de Trivulzio (La Haye, KB, SMC 1, fol. 30v), avec des figures très ressemblantes, des architectures (mais plus élaborées) et des éléments de bordures semblables (à noter le petit détail suivant : un même double filet à l’encre rouge pâle en encadrement extérieur de la bordure enluminée) [voir T. Kren, « Trivulzio Hours » in Illuminating the Renaissance, Los Angeles, 2003, pp. 132-134].
En l’absence de plus d’éléments liturgiques, nous ne pouvons pas dire pour quel usage précis fut réalisé ce livre d’heures. Au dos sont 17 lignes de textes qui poursuivent le début de l’Office des morts, ponctuées de petites initiales filigranées peintes en bleu ou à l’or bruni avec un décor filigrané rouge ou bleu foncé. Le texte est copié à l’encre brune dans une écriture bâtarde bourguignonne typique des manuscrits flamands de cette époque. La miniature cintrée est inscrite dans un encadrement enluminé composé de rinceaux, feuilles d’acanthe colorées, fleurs et fruits, avec un oiseau aux ailes déployées et une figure zoomorphique sur fond réservé délimité par deux filets tracés à l’encre rouge pâle. Des baguettes ornées alternant motifs géométriques peints en rose et bleu avec rehauts blancs et or bruni encadrent la miniature. Le texte au recto du feuillet commence « Dilexi quoniam exaudiet dominus… » (Psaume 114), introduit par une grande initiale D ornée peinte en bleu sur fonds d’or bruni sertie de feuilles de vigne colorées.
La miniature est attribuable à Liévin van Lathem ou son entourage, peintre enlumineur actif à Gand et à Anvers dans la deuxième moitié du XVe siècle en Flandre. Il est peintre du duc Philippe le bon de Bourgogne pour qui il réalise plusieurs manuscrits : citons le livre de prières réalisé pour le duc Philippe en collaboration avec Dreux Jehan et Simon Marmion, Paris, BnF, NAF 16428. Par la suite, il travaille pour son fils Charles le Téméraire, même s’il n’apparait pas dans les comptes du duc, notamment pour la réalisation d’un livre de prière actuellement conservé au Getty Museum (Los Angeles, Getty Museum, MS 37 ; voir Kren et McKendrick, Illuminating the Renaissance, no. 16, pp. 128-31) et dont la première phase est payée en 1469. Il peint à la même époque des livres pour Louis de Gruuthuse (par exemple le Roman de Gillion de Trazegnies, vers 1470 pour Louis de Gruuthuse, anciennement Chatsworth House et acquis par le Getty Museum) et pour le bâtard de Bourgogne. Il collabore à des œuvres collectives telles les Heures de Marie de Bourgogne (Vienne, ÖNB, MS 1857) ou les Heures de Trivulzio (La Haye, KB, SMC 1) dans lesquelles Liévin van Lathem collabore avec Simon Marmion et le Maître viennois de Marie de Bourgogne. Il est un manuscrit qui nous semble présenter certains traits stylistiques communs (traitement des drapés, des bannières) : le manuscrit Quinte-Curce, Faits et gestes d’Alexandre peint par deux artistes de la sphère du Maître de Marguerite de York et tous deux influencés par l’art de Liévin Van Lathem (Paris, BnF, fr. 257 ; Miniatures flamandes (2011), no. 72).
Voir :
– Schryver, Antoine de. The Prayer Book of Charles the Bold : A Study of a Flemish Masterpiece from the Burgundian Court, New York, 2008.
– Bousmanne, B. et T. Delcourt (dir). Miniatures flamandes, Paris et Bruxelles, 2011.
– Kren, T. et S. McKendrick (dir.). Illuminating the Renaissance. The Triumph of Flemish Manusrcipt Painting in Europe, Los Angeles and London, 2003.