Description
SARTRE Jean-Paul (1905-1980). MANUSCRIT autographe, L'Engagement de Mallarmé, [vers 1952] ; 140 pages (numérotées par Simone de Beauvoir 1 à 136, avec 4 pages bis : 77, 90, 91 et 109), sur papier quadrillé in-4 (27 x 21 cm ; légères fentes à quelques bords).
Important essai sur Mallarmé.
Selon Contat et Rybalka, Sartre a écrit, vers 1948-1949, près de cinq cents pages sur Stéphane MALLARMÉ, dont il ne subsiste que quelques fragments. En 1952, il rédigea, à la demande de Raymond Queneau, qui dirigeait la collection Les Écrivains célèbres chez Mazenod, une étude sur Mallarmé, publiée en 1953 dans le tome III de cette collection, texte repris ensuite en 1966 comme Préface aux Poésies de Mallarmé dans la collection « Poésie » de Gallimard. Le présent essai L'Engagement de Mallarmé, rédigé au début des années 1950, a été retrouvé en 1977 chez Simone de Beauvoir, et publié pour la première fois dans la revue Obliques (n°18- 19) en 1979, puis chez Gallimard, dans la collection « Arcades », en 1986, sous le titre Mallarmé. La lucidité et sa face d'ombre.
En 1960, Sartre confiait à Madeleine Chapsal sa « sympathie » pour Mallarmé et Genet, « l'un et l'autre engagés consciemment [...] Mallarmé devait être très différent de l'image qu'on a donnée de lui. C'est notre plus grand poète. Un passionné, un furieux. Et maître de lui jusqu'à pouvoir se tuer par un simple mouvement de la glotte !... Son engagement me paraît aussi total que possible : social autant que poétique ».
Le manuscrit est écrit à l'encre noire ou bleu noir au recto de feuillets de papier quadrillé (la page 107 est écrite au verso d'un texte biffé). Quelques feuillets sont incomplètement remplis. Paginé à l'encre bleue par Simone de Beauvoir, il présente quelques ratures et corrections, ainsi que de nombreux passages biffés, parfois importants. Il est resté inachevé. Simone de Beauvoir a porté dans le texte de Sartre quelques petites corrections et annotations ;Citons le début : « 1848 : la chute de la monarchie prive la bourgeoisie de sa “couverture” ; du coup la Poésie perd ses deux thèmes traditionnels : l'Homme et Dieu. Dieu d'abord : l'Europe venait d'apprendre une stupéfiante nouvelle, aujourd'hui contestée par quelques-uns : “Dieu mort. Stop. Intestat”. À l'ouverture de la succession ce fut la panique : que laissait-il, le Disparu ? Des hasards ; l'homme en était un ; privé du statut de faveur que lui garantissait la Volonté Divine, il cherchait vainement celui que Mauriac appelle “cette part de la créature où Dieu a imprimé sa marque” »...
Cette mort de Dieu bouleverse la littérature (Sartre cite Baudelaire et Flaubert, notamment), et, par elle, la vision de l'être et du langage, « par l'opposition du Néant et de l'Être » (p. 18).... « En ce singulier moment de l'histoire littéraire, l'Artiste ne croit plus à l'art parce qu'il ne peut l'asseoir sur la garantie divine ; mais comme cette caution fait défaut à tout l'univers, c'est à l'Art seul qu'il donne sa foi » (p. 35)... « Avec Mallarmé naît un homme nouveau, réflexif et critique, tragique, dont la ligne de vie est un déclin. Ce personnage, dont l'être-pour-l'échec ne diffère pas essentiellement de l'être-pour-mourir heideggerien, se projette et se rassemble, se dépasse et se totalise dans le drame fulgurant de l'incarnation et de la chute, il s'annule et s'exalte en même temps, bref il se fait exister par la conscience qu'il prend de son impossibilité. Mort et ressuscité, Mallarmé nous tend la clé de pierreries de sa dernière cassette spirituelle »... (p. 133). Et le manuscrit s'achève ainsi : « Le premier mouvement de Mallarmé a été le recul du dégoût et la condamnation universelle de toutes les formes de la vie. Mais, en relisant Hérodiade, il s'aperçoit tout à coup que la négation universelle équivaut à l'absence de négation. Nier est un acte. Et tout acte doit s'insérer dans le temps et s'exercer sur un contenu particulier. La négation de tout ne peut passer pour une activité destructrice : elle est la simple représentation de la notion négative en général ». Suit un long passage biffé : « Tandis que l'Héritier, réfugié en haut de la spirale “n'osait bouger”, le fonctionnaire, intact, continuait à vivre, à vaquer à ses occupations ; Mallarmé, exerçant un métier de politesse, continuait à refléter aux “bourgeois” leurs principes moraux, leurs conceptions de la vie et du monde. Il a fort bien compris cette contradiction : plus tard il appellera Hérodiade “la jeune intellectuelle” et, revenant sur sa jeunesse, il expliquera que sa tête, “de jeûnes ivre” s'opiniâtrait “à suivre en quelques bonbs hagards son pur regard là-haut où la froidure éternelle n'endure que vous le surpassez tous, ô glaciers”. Il s'agit de périr ou de convertir en travail le “songe froid de mépris” où il s'est immobilisé. Il ne s'agit plus de déplorer en silence l'inanité de la parole mais de la proférer pour la replonger dans son inanité. Bref Mallarmé ne renonce point à la Négation. Simplement il convertit la Notion négative en