Lot n° 194

PROUST Marcel (1871-1922). L.A.S. « Marcel Proust », [5 juillet 1922], à André CHAUMEIX, …

Estimation : 4 000 - 5 000 EUR
Adjudication : 5 272 €
Description
PROUST Marcel (1871-1922). L.A.S. « Marcel Proust », [5 juillet 1922], à André CHAUMEIX, directeur de la Revue de Paris ; 8 pages in-8, enveloppe, chemise-étui, demi- maroquin bleu.
Intéressante lettre littéraire à propos de Sodome et Gomorrhe II.
Proust remercie Chaumeix de son article du Gaulois, repris par L'Action française.
« Mon plaisir a été d'autant plus vif qu'il a été imprévu. Vous m'avez dit qu'après Rageot, vous ne pouviez plus faire d'étude sur mon livre. Vous admirant et vous aimant pour des raisons inutilitaires, je m'en consolais aisément. Mais j'ai été ravi. Votre étude du Gaulois finit comme celle que vous aviez faite sur Swann dans les Débats, par un trait de nature, par un petit paysage. Cette ressemblance entre vos deux études vous a sans doute échappé. Elle n'a marqué que plus profondément la ligne qui suit spontanément votre pensée. Cette ligne est bien souvent une ligne de faîtes. On regrette en voyant cette hauteur de coup d'œil, cette ampleur d'horizon, que vous donniez quasi anonymement, à un journal, à une revue, tant du meilleur d'une pensée qu'on aimerait trouver à sa portée quand on le veut, recueillie, condensée dans cette forme si aisément pure et parfaite. Vous m'objecterez les ouvriers des cathédrales qui ont fait des chefs-d'œuvre et ne les ont pas signés. On n'aime pas l'anonymat pour ses amis (décidément je deviens familier [et il cite Musset :] “C'est un défaut, je le confesse/Et je saurai le corriger”).
En tous cas sans refondre, puisque vous avez le premier jet définitif, pourquoi ne pas réunir ?
Deux mots encore sur votre article. Vous citez une parole de France : “La clarté etc.”. Il a sans doute dit cela puisque vous le rapportez. Mais alors c'est qu'un grand esprit enferme bien des contradictions. Un jour devant moi (car j'ai été très lié avec lui) quelqu'un se plaignait qu'un auteur (peut'être bien Mallarmé) fût obscur. Monsieur France légèrement agacé répondit que tout ce qui avait été nouveau avait paru obscur et nous cita des textes prouvant que l'obscurité de Racine avait été alléguée par les contemporains.
C'était tellement une idée qui m'était chère (et que je n'avais jamais confiée à mon Maître) que je fus ému de le voir lui donner sans s'en douter un certificat d'authenticité. Je l'ai reprise plus tard pour la Peinture, pour la Musique, dans des écrits qui à l'étranger, en Allemagne surtout, ont eu du retentissement. Hélas je ne puis m'appliquer cette théorie à moi-même, je sais qu'il est des écrits sans nouveauté et sans mérite qui ne semblent pas clairs. Et c'est parmi ceux-là que je crains bien qu'il faille classer la Recherche du Temps Perdu. Si je ne commençais à me sentir un peu trop fatigué je vous dirais que moi aussi je suis écœuré d'avoir eu à pousser si avant des analyses de passions maladives. Dieu merci c'est à peu près fini. Je dis à peu près. Car dans la suite un peu plus respirable, Charlus reparaîtra encore - le moins souvent que je pourrai, - et s'aggravant sans cesse. C'est un fou »...
Correspondance, t. XXI, p. 338.
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