Description
MAUPASSANT Guy de (1850-1893). MANUSCRIT autographe, Une Vie « vieux manuscrit » ; titre et 114 feuillets in-fol. (environ 32 x 22 cm, puis 36 x 22,5 cm), montés sur onglets, et reliés en un volume in-fol. maroquin violine foncé janséniste, bordure intérieure de même maroquin décorée d'une frise végétale dorée bordée de filets, double filet sur les coupes, dos à nerfs titré en lettres dorées, gardes de papier peigné (Champs-Stroobants).
Précieux manuscrit de travail du début du roman Une Vie.
Manuscrit primitif, le plus ancien connu de ce chef-d'œuvre romanesque de Maupassant, qui est aussi son premier roman publié en 1883, en feuilleton dans le Gil Blas puis en volume chez Havard. Ce manuscrit est essentiel pour comprendre la genèse du roman. Il peut être daté, selon Louis Forestier, entre mars et juin 1878, et correspond en gros aux quatre premiers chapitres. Il est écrit à l'encre noire au recto de feuillets de papier vélin satiné. Sur le feuillet de titre, Maupassant a porté l'indication « Vieux manuscrit ».
Une première partie, sur des feuillets in-4, comprend 87 feuillets, paginés par Maupassant au crayon (parfois repassé à l'encre) de 1 à 73 (dont un f. « 7.8.9 », un 43 bis, et la p. 69 oubliée), les ff. 74-87 non paginés. Elle se présente comme une mise au net, avec une large marge réservée à gauche, mais a été abondamment raturée et corrigée, avec de nombreux passages biffés ou marqués en marge « supprimer ». Le feuillet 35, plus petit que les autres, est une addition. La première page porte en tête le numéro de chapitre I ; un numéro de chapitre II a été ajouté en marge à la p. 12, sans que le numéro II figurant p. 51 soit corrigé. Le manuscrit commence lors du départ de Jeanne du couvent, alors que le début du livre intervient le lendemain, quand Jeanne est revenue chez ses parents. Citons ce début : « Elle embrassa une dernière fois la bonne sœur qui pleurait, mit une pièce d'or dans le tronc des pauvres suspendu près de l'entrée du parloir, jeta un regard d'adieu dans la cour, sur les murs, sur toute cette physionomie de maison si connue où elle avait passé cinq ans de sa jeunesse ; puis elle prit le bras de petite mère que son hypertrophie, jointe à une grosseur immodérée, empêchait presque de marcher, et, l'œil sec, le cœur léger, elle passa, pour ne plus revenir, le seuil détesté du couvent, dont la haute porte se referma derrière elle, lourde, retentissante, infranchissable pour les autres ». Cette première partie s'achève le soir de la promesse de mariage (où intervient un jeune aveugle qui disparaîtra du roman) : « Roger balbutiait, indécis. Jeanne comprit qu'il levait les yeux sur elle ; alors elle aussi se retourna et son beau regard de faïence, qui semblait épaissi, durci par la passion, tomba sur lui. Il en reçut comme un choc dans ses grands yeux noyés d'amour ; et, d'une voix faible : - “Je vous remercie, Madame, je resterai tant que vous voudrez”. Un nuage sans doute avait obscurci quelques instants le soleil, à moins que le rayonnement de l'astre eût augmenté tout à coup, car il semblait à Jeanne qu'une clarté soudaine envahissait l'horizon comme pour les apothéoses ; et le jardin, le bois plus loin, les hommes qui braillaient à pleins poumons et lui crevaient maintenant les oreilles, la salle où leurs quatre convives se remplissaient de viandes et de vin, lui apparurent sous un ruissellement de jour, dans une inondation de lumière. Elle avait peine à ne pas chanter aussi, tant elle était devenue joyeuse ; et un besoin de marcher, de danser, de courir lui remuait les jambes ; elle se sentait légère à toucher le plafond d'un bond, à .../...
passer comme une balle par la fenêtre, à monter d'un élan la grande côte en face et à la redescendre en quelques sauts. Et brusquement elle se dit : “Je l'aime, je l'aime, c'est sûr que je l'aime”. Et elle baisa si passionnément l'aveugle que tout le monde la regarda. Alors elle rougit et redevint calme ».
La seconde partie (ff. 88-114), sur de grands feuillets, avec une marge plus réduite, est surchargée de ratures et corrections, avec des ajouts marginaux, et peut être assimilée à un brouillon, présentant dans les marges des dessins à la plume : caricatures et têtes d'hommes de profil (f. 94-95), femme nue (f. 103), des essais de monogramme (f. 111). Elle commence ainsi : « Mariée ! Ainsi elle était mariée ! La succession de choses, de mouvements, d'événements accomplis depuis l'aube lui paraissait un rêve, un vrai rêve ! Il est de ces moments troublés où toute semble changé autour de nous. Les gestes mêmes n'ont pas la même signification que les autres jours ; jusqu'aux heures qui ne semblent plus à leur place ordinaire. Oui, tout à ses yeux devenait différent, prenait un aspect inaccoutumé, lui apparaissait comme à travers un voile, son voile de mariée »... Le manuscrit s'achève lors d'un dîner de famille, où l'on en vient à parler d'Henry, le frère de Jeanne (ce personnage de viveur, qui a présenté à Jeanne son mari, disparaîtra du roman) : « Le Baron