Description
♦ Importante mise au point sur son rôle dans la destruction de la Colonne Vendôme.
Le manuscrit, avec ratures, corrections et additions marginales, reprend en partie, avec des différences importantes, la lettre que Courbet a envoyée à Jules Simon, ministre de l'Instruction publique, le 21 juin 1871, dans laquelle il se défend d'être à l'origine de la destruction de la Colonne Vendôme, en mai 1871.
Courbet explique qu'il a agi pour répondre à la volonté publique : «c'est influencé par le voeu populaire qui attribuait au monument commémoratif de nos succès guerriers cette seconde invasion, et tous les désastres de la France ; et c'est après en avoir référé aux artistes dans une assemblée générale, où il fut décidé, que ce temps, que la moral actuelle répudiait les guerres, et les victoires qu'elle exprimait ; d'autre part que ce monument était sans valeur d'art que j'adressai au gouvernement du 4 septembre, dit de la deffense nationale la pétition par laquelle j'émettais le voeu que cette colonne soit déboulonné et transporté aux Invalides disposée en musée». La Chambre ne donna pas suite, «il n'en fut plus reparlé, je n'y tenais pas d'avantage». Jules Simon proposa de descendre la statue de Napoléon pour la faire fondre et la remplacer par celle de la ville de Strasbourg, mais la qualité artistique de cette dernière ne méritait pas le bronze ; et «comme toutes les villes de France allaient faire leur devoir, nous trouverions à la fin de la guerre la place de la Concorde transformée en un magasin de Barbedienne ; [...] il ne fut plus question de la colonne. Le gouvernement du 18 mars la Commune de Paris, reprit à nouveau (mais sans ma participation) cette idée pour son compte, affin d'exprimer par cet acte l'idée anti-belligérante qu'elle professait ce décret parut 12 jours avant ma nomination à la Commune. [...] Mais lorsque je sus qu'on la fesait tomber d'un bloc, je m'y opposai sans obtenir de résultat, tenant toujours à mon idée de la faire transporter aux Invalides, sans rien briser, pour qu'on pu, s'il était loisible à la population de la réélever, au milieu de l'esplanade des Invalides, qui est sa vraie place»... Sa proposition n'eut pas de succès. «Je suis par ma nature entièrement opposé à la destruction, rien ne me gêne, ma liberté d'esprit domine toute chose, je voudrais que la terre soit encombrée d'art qu'on n'y puisse pas y passer, moi-même je suis encombré d'objets insinifiants et je n'ose rien bruler. Non je ne mérite ni tant d'honneur ni tant d'indignité. [...] et je décline ma compétence dans la chute de cette colonne, car je ne tiens qu'à l'honneur et la célébrité que peut me rapporter mon art». Il proposait en fait de remplacer la colonne par «le dernier canon acculé sur un pied d'estal sur trois boulets, geule en l'air, surmonté d'un bonet frigien, signe de l'alliance des peuples ; et la déese de la Liberté entourant ce canon de guirlandes de fleurs», ou encore par «une corbeille de fleurs avec de l'eau puis une grue colossale dormant sur une patte. Ça représenterait la placidité de la nature». Il pense que chacun a le droit d'avoir son opinion : «par exemple, Victor Hugo est républicain socialiste ; deux fois il éprouva le besoin de faire des vers sur la Colonne». Courbet évoque son oncle le Général Oudot, «napoléonien frénétique». «Quant à moi je suis l'antidote vis-à-vis des Napoléons de mon oncle. Je suis d'avis qu'on respecte toutes les idées. [...] C'est la liberté. [...] Je crains malgré tous ces raisonnements de n'avoir pas séduit mes juges ? mais il me reste un argument péremptoir. Comme il faut absolument que quelqu'un suporte la responsabilité de cette colonne [...] j'offre au gouvernement de la relever à mes frais. [...] J'ai deux cent tableaux avec lesquels je vivais, qu'on mettera en vente public, pour subvenir à ces frais» ; ce qui, ajoute-t-il non sans un certain humour, le «dispense de tout soucis de propriétaire pour l'avenir». Pour finir, il rappelle que les Prussiens ont occupé son atelier à Ornans, brûlant ses tableaux, ses meubles, et les souvenirs de toute sa vie ; que les républicains du 4 septembre ont pris son bâtiment de la Chapelle pour faire des barricades. «J'ai travaillé pendant dix mois au service de mon pays comme un énergumène. Aujourd'hui me voilà aussi avancé que quand j'avais dix-huit ans, sauf que dans ce temps là on ne cherchait pas à me déshonorer. Je n'avais encore rien produit. Enfin voilà ce que la guerre contre laquelle je luttais depuis 1838 m'a rapporté. Ce n'est pas faute de l'avoir prévu». [La proposition de Courbet sera retenue, pour son plus grand malheur. Il devra en effet supporter le prix du relèvement de la Colonne. Ruiné, et craignant un nouvel emprisonnement, il prend le chemin de l'exil en Suisse, où il mourra en 1877.]