Description
♦ Importante correspondance inédite avec l'architecte qui aida Cocteau à réaliser ses chapelles de Villefranche-sur-Mer, Londres et Fréjus.
Cette correspondance va du 20 janvier 1957 au 2 octobre 1963, soit neuf jours avant la mort de Cocteau. 8 lettres sont illustrées : 3 le sont par des profils de personnages masculins (dont une tête de légionnaire), 5 par des croquis ou des plans liés à la réalisation des édifices. Chapelle Saint-Pierre, à Villefranche-sur-Mer.
En 1957, Cocteau évoque notamment ses difficultés administratives pour rendre la chapelle Saint- Pierre, dont les pêcheurs avaient fait un entrepôt à filets, à sa fonction première. Cocteau, parti en cure à Saint-Moritz, s'assure que les travaux vont bon train en son absence : «ce serait grave pour moi d'apprendre de loin que les choses restent sur place, alors que j'ai calculé cette cure de telle sorte qu'elle ne retarde en rien mon travail. Je tiens terriblement à votre aide, justement à cause de votre supériorité profonde sur le technicien, qui ne m'apporte qu'une aide plate». Les pêcheurs ne comprennent rien à son travail : «Ces pêcheurs veulent bien toucher du fric, mais n'en jamais sortir de leur poche. [...] La seule chose, c'est que je ne veux pas leur donner l'impression qu'ils peuvent compter sur moi, en dehors de l'effort sublime que je leur consacre» (20 janvier). Il donne à Triquenot des directives pour la réalisation des fresques : «Je vous serai très reconnaissant en mon absence de mener notre artiste à Menton et de lui faire tracer un personnage sur le mur de la noce avec le modèle Bichon (bistre sombre) ainsi au retour je déciderai de tout» (4 juillet). Il le rassure quant au choix de l'artisan : «Ne vous inquiétez pas votre peintre est remarquable et ce qui me marque est un orange vif et pur» (22 août). Chapelle de la Vierge à l'église Notre-Dame de France, à Londres. L'accord anglais ayant été donné dès avril 1958, Cocteau lance les travaux préparatoires des murs : ils sont faits au poncif chez Triquenot, par son fils. «Les maquettes sont à Londres. Le travail de Gaou consistera dans la mise à point des emplacements et de l'enduit apte à unifier le mur du triptyque. Il préparerait tout et me rapporterait les maquettes afin de préparer ensemble le décor final» (16 avril 1958). Une fois ce travail fait, il adresse les mesures exactes (avec plan) de l'ensemble à réaliser : «Voici les mesures exactes [plan]. L'ambassade attend avec impatience»...(28 avril). Mais ses problèmes de santé le handicapent : «Ma santé tombe à pic et ne me permet plus aucune chose de ce genre. Je vais essayer de remonter la pente en montagne. [...] Je vais avoir besoin de vous pour l'inscription au dessus de la porte de la salle de la mairie» [salle des mariages à la Mairie de Menton] (6 août 1958). Sa santé retarde même les travaux : «Je ne me vois pas à Londres en Septembre et, en vrai, avant le printemps prochain. Mais je vous vois à merveille préparant le travail. C'est pourquoi dès mon retour au Cap je m'efforcerai de faire le dernier panneau de la Vierge» (17 août)... «Je me ronge un peu, car cette immobilité d'hôpital (et sur le dos) tombe sur une période où j'ai un gros travail de présence. Heureusement Doudou [Edouard Dermit] a pu se rendre à Paris et téléphoner les fautes et les corriger. Mais on ne travaille bien que sur place et de ses propres mains. Du reste, je ne crois pas la Chapelle [de Londres] et Menton responsables de mes globules, mais la bile que je me suis faite pour le film et le “mauvais sang”» (5 février 1959). Il demande à son collaborateur de construire une maquette de la Chapelle et d'ajouter un petit coffret qu'il puisse coiffer d'un autre «comme les coffres du tombeau de Ramsès». Dans une longue lettre, Cocteau détaille son modus operandi pour réaliser ces fresques :
«Bien que je ne sache pas encore ce que je ferai sur l'autel (peut-être des simples signes quasi géométriques pour ne pas accabler l'oeil d'images et de pléonasmes), je souhaite qu'on ( je dis on, c'est toi, c'est ton fils) pose très légèrement au fusain les lignes de l'ensemble des groupes (de manière à ce que ce fusain puisse s'effacer au coup de torchon ou de plumeau). C'est là-dessus que je changerai - donnerai le trait définitif. Ensuite on repassera soigneusement ces lignes définitives avec les lignes de couleurs (comme à la Chapelle, sauf que chaque personne aura sa couleur au lieu d'être en bistre)» (9 mars 1959). Pour l'autel, il charge Triquenot de réaliser une maquette de la chapelle à partir de laquelle il pourra mieux travailler : «Sois un ange : avec ton fils, fais-moi une vraie maquette (photographique) à l'échelle de l'ensemble de mon travail. (Construis un autel en carton). Cela m'aidera à imaginer l'autel» (1er février). Mais Cocteau réprimande légèrement Triquenot, préférant que les enfants auxquels il a fait appel ne collaborent pas à la réalisation des fresques : « les gosses sont des amours, je les aime, je les estime, mais le travail est du travail et ils ne peuvent encore se mêler d’une de ces graves aventures qui nous obligent à ne rien négliger de la naissance d’une œuvre à sa fin. […] Un enfant ne pense pas la ligne.
Elle reste morte, jusqu’à ce qu’il retrouve le génie que tous les gosses possèdent entre 5 et 9 ans. Continuer le travail sur cette base, c’est ma ruine et un suicide, cela doit passer avant la tendresse fraternelle pour votre famille. Cherchez une autre méthode et je reprendrai la besogne sans fatigue » (9 avril). Cocteau rectifie les propositions de Triquenot pour les adapter à son style : « Le style arrondi convient toujours mal à mes lignes, et je crois que ce mélange de transparence et de fresque résoudra le problème » (14 octobre 1962). Le poète réalise aussi le dessin de candélabres : « J’ai préparé le dessin de la croix et des candélabres »…
CHAPELLE NOTRE-DAME DE JÉRUSALEM, à FRÉJUS. Les lettres de 1963, à propos de la Chapelle Notre-Dame de Jérusalem à Fréjus, sont plus nombreuses : gravement malade, Cocteau s’est retiré à Milly-la-Forêt, et son échange de lettres s’intensifie avec Triquenot, qui dirige les travaux à Fréjus. « Je suis heureux que la naissance de notre chapelle se produise sans haltes ». Cocteau juge parfois sévèrement la réalisation du travail qu’on lui soumet : « L’ensemble architectural me semble être une assez belle réussite, mais, hélas, si consterné que je sois de vous causer la moindre peine, il y a un malheur et une catastrophe. Le malheur
(réparable) c’est que je voyais, pour la couronne la grâce mince et svelte des agaves au lieu de ces lourdes raquettes rondes et molles. La catastrophe, ce sont les portes, car toutes les lignes, même en imaginant les raccords, sont inexactes et ne sont plus écrites dans ma langue. Par malchance, j’avais reçu, la veille, les photographies des vitraux de Metz et leur extraordinaire exactitude me prouve qu’on peut calquer au lieu d’improviser. Il m’est impossible de signer ce travail et je vous supplie de supprimer et d’attendre. Moretti connaît mes moindres lignes qui résultent toutes d’un calcul « (26 juillet 1963). Il commente aussi les couleurs choisies : « La valeur du rouge est bonne, peut-être le faudrait-il un peu plus sombre. Naturellement, je suppose que la ligne blanche ne compte pas. Il est essentiel que le rouge soit direct et sans ligne blanche. Je n’aime pas les bleus des échantillons – les vôtres, l’un ou l’autre, me semblent mille fois [plus] merveilleux. […] Les petites croix internes n’ont pas encore trouvé leur ligne noble. Laissez donc l’académie tranquille » (18 août 1963). Afin de pouvoir venir terminer les travaux sur place lui-même,
Cocteau demande en août à Triquenot de lui concevoir une petite villa.
Hélas, bien qu’il continue à vouloir s’installer à Fréjus pour « toujours ou presque » (27 sept.), sa santé empire : « Crise terrible d’empoisonnement au visage et aux mains, par les antibiotiques » (5 sept.). Il annonce, dans une dernière lettre, sa venue prochaine : « Je compte arriver fin du mois et voudrais être sûr que tout soit en ordre. L’exécution des premiers vitraux de Metz par Brière est étonnante de faste et d’exactitude » (2 oct.). Une crise cardiaque l’emportera le 11 octobre ; c’est Édouard Dermit et Jean Triquenot qui réaliseront les fresques sur les murs du sanctuaire d’après les esquisses laissées par Cocteau.
— On joint :
– une l.a.s. (minute) au maire de Saint-Jean-Cap-Ferrat (6 juillet 1961).
– Un dossier des doubles ou copies des lettres de Triquenot à Cocteau.
– Un autre dossier, avec des copies de lettres de Cocteau à Jean Triquenot, et retranscriptions de lettres, dont certaines sont perdues et ne figurent pas dans cet ensemble.