Lot n° 69

CEZANNE Paul (1839 - 1906) — L.A.S. «Paul Cezanne», L'Estaque 2 juillet 1876, à Camille PISSARRO ; 5 pages et demie in-8 (fentes aux plis réparées au dernier feuillet).

Estimation : 12000 - 15000
Adjudication : 13 000 €
Description
♦ Magnifique et longue lettre sur ses peintures à l'Estaque, à son maître Pissarro, et sur les Impressionnistes.

«C'est avec une pointe de fer (c'est-à-dire une plume métal) que je suis obligé de répondre à la sympathie de votre magique crayon. - Si j'osais, je dirais que votre lettre est empreinte de tristesse. Les affaires picturales ne marchent pas, je crains bien que vous ne soyez moralement influencé un peu en gris, mais je suis convaincu que ce n'est que chose passagère. Je voudrais bien ne pas parler de choses impossibles et cependant, je fais toujours les projets les plus improbables à réaliser. Je me figure que le pays où je suis vous siérait à merveille. - Il y a de fameux ennuis, mais je les crois purement accidentels. Cette année-ci, il y pleut toutes les semaines deux jours sur sept. C'est ahurissant dans le Midi. - Ça ne s'était jamais vu». Il est à l'Estaque, «au bord de la mer. [...] J'ai commencé deux petits motifs où il y a la mer, pour monsieur Chocquet, qui m'en avait parlé. - C'est comme une carte à jouer. Des toits rouges sur la mer bleue. Si le temps devient propice peut-être pourrais-je les pousser jusqu'au bout. En l'état je n'ai encore rien fait. - Mais il y a des motifs qui demanderaient trois ou quatre mois de travail, qu'on pourrait trouver, car la végétation n'y change pas. Ce sont des oliviers et des pins qui gardent toujours leurs feuilles. Le soleil y est si effrayant qu'il me semble que les objets s'enlèvent en silhouette non pas seulement en blanc ou noir, mais en bleu, en rouge, en brun, en violet. Je puis me tromper mais il me semble que c'est l'antipode du modelé. Que nos doux paysagistes d'Auvers seraient heureux ici, et ce grand... (un mot de trois lettres ici) de Guillemet. Dès que je le pourrais, je passerai au moins un mois en ces lieux, car il faut faire des toiles de deux mètres au moins, comme celle par vous vendue à Fore [Faure]. Je souhaite que l'Exposition de notre coopérative [l'Union des artistes] soit un four, si nous devons exposer avec MONET. - Vous me trouverez canaille, c'est possible, mais d'abord son affaire propre avant tout. - [Alfred] Meyer, qui n'a pas en main les éléments de succès avec les coopératifs, me semble devenir un bâton merdeux, et cherchant, en devançant l'ex­position impressionniste, à lui nuire. - Il peut fatiguer l'opinion publique, et amener une confusion. - D'abord trop d'expositions successives me semble mauvais, d'un autre côté, les gens qui peuvent croire aller voir des impressionnistes ne voyant que des coopératifs : Refroidissement. - Mais Meyer doit tenir énormément à nuire à Monet. - Meyer a-t-il fait quelques sous ? Autre question - Monet faisant de l'argent, pourquoi, puisque cette exposition réussit, irait-il dans le traquenard de l'autre. Du moment qu'il réussit, il a raison. -J'ai dit - Monet pour dire - Impressionnistes»... Ils en recauseront à Paris : «nous pouvons ménager et la chèvre et le chou. - Ainsi le relief des Impressionnistes pouvant m'aider, j'exposerai avec eux ce que j'aurai de mieux, et quelque chose de neutre chez les autres».... Il ajoute : «Si les yeux des gens d'ici lançaient des oeillades meurtrières, il y a longtemps que je serais foutu. Ma tête ne leur convient pas». Et il donne son adresse à l'Estaque, à la «maison Girard (dit Belle), Place de l'Église»...

Correspondance (éd. John Rewald), p. 152.
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