Lot n° 104
Sélection Bibliorare

GIACOMETTI Alberto (1901-1966). — PONGE Francis (1899-1988). — 2 L.A.S. d'Alberto GIACOMETTI à F. Ponge, 2 L.A.S. de Francis PONGE à Giacometti, et 8 MANUSCRITS autographes de Francis PONGE. — Précieux échange entre le sculpteur et le...

Estimation : 10000 - 15000
Adjudication : 33 800 €
Description
poète, et ensemble de manuscrits retraçant la genèse et l'élaboration des textes de Francis Ponge sur Giacometti.
Francis Ponge, qui a écrit plusieurs textes sur des artistes tels que Braque, Fautrier ou Fenosa, consacra beaucoup de temps à étudier l'œuvre de Giacometti. Il publia le résultat de ses méditations en 1951, dans les Cahiers d'art dirigés par Christian Zervos, sous le titre Réflexions sur les statuettes, figures et peintures d'Alberto Giacometti, qui furent ensuite recueillies dans Lyres, premier volume du Grand Recueil (Gallimard, 1961), puis dans L'Atelier contemporain (Gallimard, 1977). Ponge fit également paraître au printemps 1964 un choix de notes préparatoires à ces «Réflexions», sous le titre Joca seria (Notes sur les sculptures d'Alberto Giacometti) dans la revue Méditations, recueillies en 1967 dans le Nouveau Recueil (Gallimard, 1967), puis dans L'Atelier contemporain (Gallimard, 1977).
Dans sa critique artistique, ou plutôt ses poèmes sur l'art, Ponge «ne cherche aucunement [...] à placer l'œuvre sous les yeux avec des mots, à éveiller une représentation visuelle. Il propose plutôt une lecture des intentions de l'artiste et de la loi de constitution de son œuvre, c'est-à-dire de la poétique implicite» (Bernard Beugnot, Poétique de Francis Ponge. Le palais diaphane, 1990).

GIACOMETTI Alberto. L.A.S. «Alberto», Paris 17 septembre 1951 (4 p. in-8). Zervos lui a remis une copie de l'article «que j'ai lu avec grand plaisir et intérêt [...] J'aime beaucoup le développement de l'article, ce fil que l'on suit du commencement à la fin»... Mais un passage le gêne, qu'il cite : «“G. naquit en 1901 à S[tampa] (S[uisse]) dans un village de montagne, c'est-à-dire au coeur rude de l'Europe, mais tourné plutôt vers l'Italie. Sa mère, un rocher (il lui ressemble), avait épousé un champ de fleurs [...] Elle en eut trois fils, comme la Suisse elle-même : un rocher et deux pins”. Il y a dans la fin de ce passage quelque chose qui me heurte, que je sens ne pas correspondre à la réalité et qu'il me serait désagréable, même intolérable de voir imprimé. Pas dans la première partie bien que le village soit non pas plutôt mais tout à fait tourné vers l'Italie et de ce fait pas très rude ! Mais ma mère pas rocher du tout, ce mot ne la définie d'aucune manière, et très jolie, cela la fausse (assez vraie et très jolie la définition de mon père) elle a eu 3 fils et une fille, je ne comprends pas le parallèle avec la Suisse qui n'a rien à y voir d'aucune manière [...] et le “un rocher et deux pins” m'est très désagréable ! (Vous ne savez pas à quel point je suis et je me sents peu rocher !) [...] Ne pouvez-vous pas modifier ce passage qui est d'ailleurs à part dans l'article [...] Je vous dis en passant que ma vallée n'est suisse que politiquement et rien de plus, ma famille comme moi aussi peu berger que possible depuis toujours»... Il relève encore un détail concernant la Grande Chaumière, et espère que Ponge lui pardonnera cette lettre...

PONGE Francis. 2 L.A.S. «F.P.», Les Fleurys 19 et 20 septembre 1951 (3 et 2 p. in-4). «Diable ! Cher Giacometti !... En effet, que faire ? Vous pensez bien qu'à mon “article”, tel qu'il est (très médité, je vous l'assure), jusqu'à nouvel ordre je tiens un peu... Imaginez que vous ayez fait le portrait de quelqu'un... C'est d'abord une œuvre de vous, il me semble... Si l'on vous demande de le modifier, quelle sera votre réaction ? Bien entendu, ni vous ni votre mère (ni vos frères, etc.) - que je respecte infiniment - n'êtes rochers, ni bergers, ni pins (ni d'ailleurs champs de fleurs, Jupiter ou Polyphème). Faut-il vous expliquer qu'un rocher qui épouse un champ de fleurs n'est pas un rocher»... Et Ponge de citer le texte d'Antoine Godeau sur Malherbe et la poésie qui «cache sous l'écorce de la fable ce que les autres sciences proposent à découvert, pour rendre les vérités qu'elle publie plus vénérables par ce voile qui les couvre»... Il travaille depuis plus de deux mois sur Giacometti : «J'ai de quoi écrire un livre entier sur votre œuvre. Je vous montrerai les quelques 100 pages manuscrites d'où est sorti le poème incriminé. Peut-être trouverez-vous dans ces feuillets des notations pour vous plaire... mais non l'unité et la vie par rapports internes du texte que j'ai montré. Il me faudrait bien un ou deux mois encore pour tenter de mettre d'aplomb autre chose». Il propose de publier l'article tel quel suivi de la lettre de Giacometti, soit de le retirer et «de le refaire un jour ou l'autre, après d'autres conversations avec vous (disons d'autres séances de pose), et d'autres méditations»... - Le lendemain, Ponge propose une nouvelle version du passage incriminé.

GIACOMETTI Alberto. L.A.S. «Alberto Giacometti», Paris 23 septembre 1951 (3 p. in-8). «Je vous remercie pour la variante du texte mais comme je préfère l’original et cela pour plusieurs raisons […] le poème va être (il l’est peut-être déjà) imprimé sans le moindre changement. […] Non, je n’incriminais pas votre poème ni ne mettais en cause le droit de
s’exprimer par images poétiques ! […] Je ne voulais que vous dire que certains faits sur lesquels vous avez construit en partie votre poème ne correspondaient pas à la réalité mais je pense que je me suis très mal expliqué ». Ils en parleront : « on évitera tout malentendu »…

♦Manuscrits de Francis Ponge. Ils permettent de retracer la genèse et l’élaboration des Réflexions sur les statuettes, figures et peintures d’Alberto Giacometti pour les Cahiers d’art. Ces plans et versions successives, à l’encre noire sur des feuillets in-4, ont été rédigés par Ponge dans sa maison des Fleurys (dans l’Yonne) et sont datés du 8 au 14 septembre 1951.

* Les SCULPTURES d’Alberto Giacometti (Les F. 8-IX-51 ; 5 feuillets numérotés).
Incipit : Pourquoi devenir sculpteur ? Bergers, vous allez nous le dire »… Le mot « SCULPTURES » du titre est disposé en calligramme, pouvant également se lire « SCEPTRES » et « SPECTRES ». Après le début mis au net, avec des additions et corrections, le manuscrit paraît être de premier jet à partir de la 3e page ; trois dessins à la plume sont tracés dans les marges de la p. 4, dont un buisson et une main ouverte.
* « Paragraphes de l’étude pour Giacometti » (Les Fleurys 11-IX-51 ; 2 feuillets).
Paragraphes numérotés de I à X : « I) Bergers – la nuit – apparitions – houlettes. Pourquoi devenir sculpteur » ; en marge du dernier, Ponge note : « Penser au rapport with Braque ». Dans le coin sup. du 1er feuillet, Ponge a dessiné une tête d’homme coiffé d’un chapeau.
* « Plan de l’étude sur G. » (Les Fleurys 11-IX-51 ; 3 feuillets). Paragraphes numérotés de I à VII et IX à XI, le dernier sur la peinture. « I) Parmi ceux de notre génération… II) G. était né à Stampa en 1901. D’une famille d’artistes etc. Rocher montagnard, coeur de l’Europe tourné vers le midi […] III) Pourquoi devenir sculpteur. Bergers vous allez nous le dire »…
* Giacometti. Nouveau début, très corrigé, sur un feuillet : « Parmi notre génération, quelques-uns autant qu’ils l’ont pu différèrent de produire. Ils s’y tenaient au milieu en tige cachée longtemps par de plus brillants et caduques épanouissements latéraux. Peut-être ce ne sont pas les moins forts, ni les moins sensible. Giacometti est de ceux-là »…
* Giacometti (Les Fleurys 11-IX-51 ; 5 feuillets). Incipit : « Quelques-uns parmi notre génération différèrent comme pistils ou étamines de se produire, jusqu’à son épanouissement complet : ils prennent leur importance au moment que les pétales s’écartant exagérément les uns des autres vont se flétrir »… Nombreuses ratures et corrections, avec des additions ou notes marginales.

* Giacometti (Les Fleurys mercredi 12 sept. 51 ; 6 feuillets). Incipit : « Voici le moment venu, je crois, de constater que notre génération est à son complet épanouissement. Le succès de Giacometti qui m’en donne l’occasion en est l’indice »… Les six autres feuillets, dont un daté « 12 sept. 51 (Le soir) », présentent des élaborations successives de ce début.
* 3 feuillets écartés du manuscrit définitif, le premier, daté « Les Fleurys Nuit du 13 sept. au 14 sept. 51 », donnant le début (presque définitif) : « Voici le moment venu, je crois, d’interloquer notre génération, en lui proposant une vérité saisissante dont nous dûmes attendre pourtant qu’elle la produise strictement d’elle-même. La moindre statuette de
Giacometti nous en fournit le signe formel »… Le dernier feuillet, signé et daté « Francis Ponge 1951 », donne une version presque définitive de la fin, sauf les deux dernières phrases, ici biffées.
* Statuettes, Figurines et Peintures d’Alberto Giacometti. Manuscrit en partie autographe (le reste par sa femme Odette et sa fille Armande), sur 9 feuillets (numérotés par Ponge). En tête, Ponge a noté : « copie de l’article Expédié recommandé à C. Zervos le 14 septembre 51 F.P. ». Les pages 3, 6 et 9 sont de la main de Ponge (qui ajoute également une note au bas de la page 5) ; la dernière est signée et datée : « Francis Ponge Août 1951 ».

— On joint :
3 télégrammes adressés à Francis Ponge : un par Christian Zervos (3.IX), deux par Giacometti (10 et 20.IX).
Liste par Diego Giacometti des œuvres destinées à illustrer le texte de Ponge, annotée par Francis Ponge avec 2 croquis : « platre / platre / platre et bronze / Rue de l’Échaudé, bronze », etc. Épreuve mise en pages des Réflexions… pour les Cahiers d’art (p. 75-90
[le f. 79-80 manque]), avec corrections autographes et additions (références des citations).
Jeu d’épreuves de Joca seria (pour la revue Médiations), 35 ff. in-8 non paginés.
Catalogue de l’exposition Alberto Giacometti. Exhibition of sculptures, paintings, drawings, Introduction by Jean-Paul Sartre and a letter from Alberto Giacometti, Pierre Matisse Gallery, New York, 19 janvier-14 février 1948 (in-4, richement illustré), avec envoi autographe signé : « A Francis Ponge très amicalement Alberto Giacometti Paris, octobre 1948) ; Catalogue de l’exposition Alberto Giacometti, Pierre Matisse Gallery, New York, novembre 1950 (in-4, richement illustré) ; Tirage à part de l’article de Jean LAUDE, Le combat solitaire d’Alberto Giacometti, dans Critique, décembre 1963, avec envoi a.s. : « à Francis Ponge qui, mieux que moi, sait parler de Giacometti, en hommage très
respectueux et admiratif, J. Laude ».

BIBLIOGRAPHIE
François Chapon, Francis Ponge. Manuscrits, livres et peintures (Centre
Georges-Pompidou, 1977, p. 56-57).
Francis Ponge, Œuvres complètes (Bibl. de la Pléiade), t. II, p. 578-581
et 1551-1553.

2 L.A.S. from Alberto GIACOMETTI to F. Ponge, 2 L.A.S. from Francis PONGE to Giacometti, and 8 autograph MANUSCRITS from Francis PONGE.
Precious exchange between the sculptor and the poet, and a set of manuscripts tracing the genesis and elaboration of Francis Ponge's texts on Giacometti. — Francis Ponge, who wrote several texts on artists such as Braque, Fautrier or Fenosa, devoted a lot of time to studying Giacometti's work. He published the results of his meditations in 1951, in the Cahiers d'art directed by Christian Zervos, under the title Réflexions sur les statuettes, figures et peintures d'Alberto Giacometti, which were later collected in Lyres, the first volume of the Grand Recueil (Gallimard, 1961), and in L'Atelier contemporain (Gallimard, 1977). In the spring of 1964, Ponge also published a selection of preparatory notes for these "Réflexions" under the title Joca seria (Notes on the sculptures of Alberto Giacometti) in the journal Méditations, which were collected in 1967 in the Nouveau Recueil (Gallimard, 1967), then in L'Atelier contemporain (Gallimard, 1977). — In his art criticism, or rather his poems on art, Ponge "does not in any way seek [...] to place the work before the eyes with words, to awaken a visual representation. Rather, he proposes a reading of the artist's intentions and of the law of constitution of his work, that is to say, of the implicit poetics" (Bernard Beugnot, Poétique de Francis Ponge. Le palais diaphane, 1990). — GIACOMETTI Alberto. L.A.S. "Alberto", Paris 17 September 1951 (4 p. in-8). Zervos gave him a copy of the article "which I read with great pleasure and interest [...] I like very much the development of the article, this thread that one follows from beginning to end"... But a passage bothers him, which he quotes : ""G. was born in 1901 in S[tampa] (S[uisse]) in a mountain village, that is to say in the rough heart of Europe, but rather turned towards Italy. His mother, a rock (he looks like one), had married a field of flowers [...] She had three sons, like Switzerland itself : a rock and two pines". There is something in the end of this passage that offends me, that I feel does not correspond to reality and that it would be unpleasant, even intolerable to see printed. Not in the first part although the village is not rather but quite turned towards Italy and therefore not very rough! But my mother not rock at all, this word does not define her in any way, and very pretty, it distorts her (true enough and very pretty the definition of my father) she had 3 sons and a daughter, I do not understand the parallel with Switzerland which has nothing to do with it in any way [...] and the "a rock and two pines" is very unpleasant to me! (You don't know how little rock I am and feel!) [...] Can't you modify this passage which is in fact separate from the article [...] I tell you in passing that my valley is Swiss only politically and nothing more, my family like me as little shepherd as possible since always"... He notes another detail concerning the Grande Chaumière, and hopes that Ponge will forgive him this letter... — PONGE Francis. 2 L.A.S. "F.P.", Les Fleurys 19 and 20 September 1951 (3 and 2 p. in-4). "Devil! Dear Giacometti!... Indeed, what to do? You can be sure that with my "article" as it is (very well thought out, I assure you), until further notice I am holding on a little... Imagine that you have made a portrait of someone... It is first of all a work of you, it seems to me... If you were asked to change it, what would your reaction be? Of course, neither you nor your mother (nor your brothers, etc.) - whom I respect infinitely - are rocks, nor shepherds, nor pine trees (nor, for that matter, fields of flowers, Jupiter or Polyphemus). Do I have to explain to you that a rock that marries a field of flowers is not a rock? And Ponge quotes Antoine Godeau's text on Malherbe and poetry, which "hides under the bark of the fable what the other sciences offer in the open, to make the truths it publishes more venerable by the veil that covers them"... He has been working for more than two months on Giacometti : "I have enough material to write a whole book on your work. I'll show you the hundred or so handwritten pages from which the incriminating poem came. Perhaps you will find in these pages some notations to please you... but not the unity and the life in relation to the text that I have shown. I would need another month or two to try to put something else together. He proposed publishing the article as it stood, followed by Giacometti's letter, or withdrawing it and 'doing it again some day, after other conversations with you (let's say other posing sessions), and other meditations'... - The next day, Ponge proposes a new version of the incriminated passage. — GIACOMETTI Alberto. L.A.S. "Alberto Giacometti", Paris 23 September 1951 (3 p. in-8). "I thank you for
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