Lot n° 38

DELACROIX Eugène (1798-1863). — L.A.S. «E. Delacroix», [forêt de Boixe] 8 octobre 1819, à Achille Piron, «employé des Postes, Hôtel des Postes» à Paris ; 3 pages in-4, adresse (adresse biffée avec corrosions de l'encre, réparations aux...

Estimation : 2000 - 2500
Adjudication : 6 240 €
Description
parties corrodées, sur les bords et au petit manque à l'emplacement du cachet). — Longue lettre à son ami sur son séjour en Charente chez sa soeur Hen­riette de Verninac, la chasse, et son amour des livres et de la lecture.
Il plaint son ami : «quels détestables tours : ces turcs n'ont donc point de conscience... bah ! oui... de la conscience à un turc ! [...] j'ai vivement regretté que mon absence m'empêchât de me joindre à toi pour leur faire comprendre à grands coups de trique que nous ne sommes plus au temps des Scapins et des Pantalons [...] Dépêches toi donc de sortir de ce mauvais pas : jettes leur vite au nez un grand normand bien construit, aux épaules quarrées et au jarret tendu, dont le nez enfin, puisqu'ils le veulent ainsi, soit propre à déchirer la cartouche. Je ne vois que trop ici de ces grands diables de braconniers, de paysans de toutes couleurs, avec leurs figures en dessous et leurs airs calins. Pas une figure ouverte qui vous envisage : ils ont tous la mine de criminels qui redoutent les coups de baton»...
Il espère que Piron pourra vite se remettre à étudier l'italien : «L'étude console de tout. Les livres sont de vrais amis, leur conversation silencieuse est exempte de querelles et de divisions. Ils vous font travailler sur vous-même : et, chose rare dans les discussions avec les amis de chair et d'os, ils vous insinuent tout doucement leur avis, et vous font goûter la raison, sans que vous vous regimbiez contre son évidence et sans que vous ayez l'air d'être vaincu à vos propres yeux. Si le livre ne vaut rien, bien qu'avec des dehors spécieux, un bon esprit ne s'y trompe pas. S'il est bon, c'est un inestimable trésor, c'est une félicité de tous les moments. Combien les livres ne nous font-ils pas oublier de chagrins, par le spectacle des hommes vertueux livrés au malheur. Combien ne nous élèvent-ils pas, en nous montrant leur constance et leur grand caractère. C'est une chose qui m'étonne, de voir si peu de gens qui lisent dans ce sens. Ils ne cherchent dans la lecture qu'à repaître le vide de leur esprit. Les lignes leur passent devant les yeux comme des aliments dans un gosier, pourvu qu'ils passent c'est assez. Moi, je trouve dans les livres des passages, que je voudrais saisir avec autre chose qu'avec les yeux : je sens si bien ce qu'ils me disent, je vois si bien ceux qu'ils me peignent, que je m'indigne à la fin contre cette page muette d'un vil papier qui m'a remué si fortement et qui me reste seule entre les mains et sous les sens, au lieu des êtres qu'elle m'a fait passer en revue et que j'aimais, que je connaissais. Aussi je m'afflige en voyant arriver la fin d'un livre qui m'intéresse : je dis un éternel adieu à des amis». Il va bientôt rentrer à Paris et retrouver ses amis, notamment PIERRET qui s'occupe de son père malade... «Voici déjà les premières gelées qui ont jauni la feuille de la vigne. Le matin quand je sors pour chasser, un brouillard épais comme un nuage s'élève sur les bois. On est tout saisi d'un froid agréable qui vous réveille et vous ranime aux premiers rayons du soleil. Les chiens craignent d'entrer dans les buissons couverts de rosée et ils en sortent tout humides et le poil hérissé. Ces pauvres animaux ne s'en acquittent pas moins fidèlement de leur devoir. Quand ils ont saisi la trace, on les voit se précipiter avec une ardeur inconcevable : ils courent, ils volent, ils franchissent, ils se marchent sur le nez qu'ils ont toujours collé à la boue en flairant précipitamment l'odeur du lièvre. Ce spectacle m'amuse plus que la chasse elle-même. Elle n'est pourtant point si ennuyeuse qu'on pourrait croire quand on a de bons chiens. Souvent ils nous font voir deux ou trois lièvres dans moins d'une demie heure. Il ne faut qu'avoir du sang-froid et ne pas se presser. Aussi bien la saison où nous nous trouvons n'est pas favorable [pour cette] sorte de chasse. Elle est vraiment délicieuse au printemps et une partie de l'été, et puis lorsque les feuilles seront tout à fait tombées. Mais malheureusement je n'en jouirai pas car je compte partir au plus tard le 25 ou le 28. [...] Je vois déjà Paris dans un prochain éloignement : je ne vois pas sans une sorte d'effroi l'hyver que j'y vas passer tout seul ; car je serai décidément garçon, et ne reviendrai qu'avec mon neveu»...

Lettres intimes (XVI, p. 86).

L.A.S. "E. Delacroix", [forêt de Boixe] 8 October 1819, to Achille Piron, "employé des Postes, Hôtel des Postes" in Paris ; 3 pages in-4, address (address crossed out with ink corrosions, repairs to corroded parts, on edges and to the small lack at the place of the seal). — Long letter to his friend about his stay in Charente at his sister Henriette de Verninac's, hunting, and his love of books and reading. — He pities his friend : "what detestable tricks : these Turks have no conscience... bah! yes... conscience to a Turk! [...] I deeply regretted that my absence prevented me from joining you to make them understand with a hard cane that we are no longer in the time of the Scapins and the Pantalons [...] Hurry up and get out of this bad situation : quickly throw them a large, well-built Norman, with square shoulders and taut hocks, whose nose, since they want it that way, is suitable for tearing up the cartridge. I see only too many of these big devils of poachers, of peasants of all colours, with their figures underneath and their cuddly airs. Not an open face that considers you : they all look like criminals who fear the blows of a stick"... — He hopes that Piron will soon be able to study Italian again : "Study consoles everything. Books are true friends, their silent conversation is free from quarrels and divisions. They make you work on yourself : and, a rare thing in discussions with flesh-and-blood friends, they gently insinuate their opinion, and make you taste reason, without you rebelling against its evidence and without you looking defeated in your own eyes. If the book is worthless, though with a specious exterior, a good mind is not deceived. If it is good, it is a priceless treasure, it is a constant delight. How many sorrows do books not make us forget, by the spectacle of virtuous men delivered to misfortune. How much they elevate us, by showing us their constancy and their great character. It surprises me to see so few people who read in this way. They seek in reading only to fill the emptiness of their minds. The lines pass before their eyes like food in a gullet, as long as they pass it is enough. As for me, I find passages in books that I would like to grasp with something other than my eyes : I feel so well what they tell me, I see so well those whom they paint, that I am indignant at the end against this silent page of a vile paper that has moved me so strongly and that remains alone in my hands and under my senses, instead of the beings that it made me review and that I loved, that I knew. So I grieve as I see the end of a book that interests me : I say an eternal farewell to friends. He will soon return to Paris and meet up with his friends, especially PIERRET who is looking after his sick father... "Here are already the first frosts which have yellowed the leaves of the vine. In the morning when I go out to hunt, a fog as thick as a cloud rises over the woods. One is all seized by a pleasant cold that wakes you up and revives you at the first rays of the sun. The dogs are afraid to enter the dew-covered bushes and come out all wet and bristly. These poor animals do their duty no less faithfully. When they have grasped the track, one sees them rushing about with inconceivable ardour : they run, they fly, they cross, they step on the nose which they have always stuck to the mud, sniffing hastily at the scent of the hare. This spectacle amuses me more than the hunt itself. It is not as boring as one might think when one has good dogs. Often they make us see two or three hares in less than half an hour. You only need to be cool and not in a hurry. Also the season in which we find ourselves is not favorable [for this] kind of hunting. It is really delightful in the spring and part of the summer, and then when the leaves have completely fallen. But unfortunately I will not enjoy it because I intend to leave at the latest on the 25th or 28th. [...] I can already see Paris in the near future : I cannot see without a sort of fear the winter I will spend there alone ; for I will be a boy, and will return only with my nephew"... Lettres intimes (XVI, p. 86).
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