Lot n° 35

DELACROIX Eugène (1798-1863). — L.A.S. «Eugène Delacroix», [forêt de Boixe] «à la maison des gardes» 23 octobre 1818, à Achille PIRON, «employé de l'administration des Postes, Hôtel des Postes», à Paris ; 3 pages et quart in-4,...

Estimation : 2000 - 2500
Adjudication : 2 340 €
Description
adresse (petite déchirure au cachet). — Belle et longue lettre lors d'un séjour chez sa soeur Henriette de Verninac en Charente.
Il commence par railler les «doutes injurieux» de son ami sur le retard de ses lettres : «Tu aurais dû remarquer, toi qui fais tant de remarques que : “entre gens séparés, ceux qui par leur déplacement, le mouvement qu'ils se donnent, le pays qu'ils parcourent, les observations qu'ils sont à portée de faire” &c., sont aussi ceux qui par les objets nouveaux qu'ils rencontrent, par le peu de distribution stable qu'ils peuvent faire de leur temps dans les premiers temps d'une excursion et par mille choses très dignes de remarques, sont bien excusables d'un retard involontaire, bien involontaire, envers ceux qui restés paisiblement dans leur taupinière, suivant le fil de leurs travaux habituels n'ont rien de mieux à faire que de penser à leurs amis absents et de leur marquer par un petit mot de lettre qu'ils ne les oublient pas quoiqu'éloignés d'eux. Il faut croire que tu attendais de moi une statistique du dépt de la Charente ; mais comme je n'ai les talents ni la volonté de la faire, je t'ai parlé simplement de ce qui m'intéressait le plus, de toi, de mes amitiés, de nos parties à Paris et des miennes ici»... Quant à la «bouderie» de son ami : «C'est un sentiment que l'on doit passer aux habitans de Paris [...] ils sont habitués à être amusés pour ainsi dire malgré eux. Ils vont au spectacle où on les fait rire quand ils sont tristes, et pleurer quand ils ont envie de rire. Ils sont accoutumés aux caprices de leurs coquettes qui les conduisent comme des enfants volontaires et chagrins qu'on s'amuse à turlupiner. Chaque pas qu'ils font ne fait que renforcer leur humeur chagrine : car sur leur pavé glissant, ils reculent au lieu d'avancer. [...] Ton système de persécution m'atteint jusque dans mes innocentes récréations. Toi qui es un excellent chasseur sans doute, tu ris de mes chétives proies : je regrette infiniment tes leçons, que tu pourras du moins me donner par théorie quand je serai de retour près de toi»... Il va se coucher pour calmer son aigreur contre son ami, «qui vient sans doute de ce que j'ai été malheureux à la chasse».
Il va bientôt rentrer à Paris : «Alors plus de chasse, plus de fusil. Mais en récompense j'y reverrai des amis parmi lesquels tu n'es pas le plus indifférent. Je pense toujours avec un sentiment de plaisir à nos parties passées de natation et de musique. [...] Pourquoi ne sais-je point jouer de la basse ou du piano : ce n'est pas que j'aie pris en dégoût ma chère guitare : mais pour accompagner la flute elle est insuffisante : ses bonnes qualités se perdent et l'on en tire que le mauvais. Avec le temps je compte acquérir quelques connaissances de plus en musique et alors quel concert, quelle révolution chez les chats de la rue de l'Université ou de la rue Simon-le-Franc»...
Après avoir regretté l'accident arrivé à M. Buissonneau, il évoque brièvement «une belle chasse au renard dont je fus hier et les mille tours que ces impertinents nous firent faire. Je dois aujourd'hui disséquer un de ces messieurs, dont un des gardes a déjà pris la peau pour s'en faire un bonnet».
Il termine en évoquant l'accident arrivé au «pauvre Guillemot» [le peintre Alexandre-Charles GUILLEMOT (1786-1831)], priant Piron de «le circonvenir [...] d'une manière flatteuse pour obtenir de lui un petit don», la gravure qu'il a faite à Rome de la Descente de croix de Daniele da Volterra «et qui est fort bonne»...

Lettres intimes (X, p. 54).

L.A.S. "Eugène Delacroix", [forêt de Boixe] "à la maison des gardes" 23 October 1818, to Achille PIRON, "employé de l'administration des Postes, Hôtel des Postes", in Paris ; 3 pages and a quarter in-4, address (small tear in the seal). — Beautiful and long letter during a stay at his sister Henriette de Verninac's in Charente. — He starts by mocking the "injurious doubts" of his friend about the delay of his letters : "You should have noticed, you who make so many remarks that : "between separate people, those who by their displacement, the movement they give themselves, the country they travel, the observations they are within reach of" &c., are also those who by the new objects they meet, by the little stable distribution they can make of their time in the early stages of an excursion, and by a thousand things very worthy of remark, are quite excusable for an involuntary delay, quite involuntary, towards those who remained peacefully in their molehills, following the thread of their usual work, have nothing better to do than to think of their absent friends, and to mark them by a little note in a letter that they have not forgotten them, even though they are far away from them You must believe that you expected me to write a statistic of the Charente department ; but as I have neither the talent nor the will to do it, I spoke to you simply of what interested me most, of you, of my friendships, of our parties in Paris and of mine here... As for his friend's "sulkiness" : "It is a feeling that one must pass on to the inhabitants of Paris [...] they are used to being amused, so to speak, in spite of themselves. They go to shows where they are made to laugh when they are sad, and to cry when they want to laugh. They are accustomed to the caprices of their coquettes, who lead them around like willful and sorrowful children who are amused by being pestered. Every step they take only reinforces their chagrined mood : for on their slippery pavement they go backwards instead of forwards. [...] Your system of persecution reaches me even in my innocent recreations. You, who are no doubt an excellent hunter, laugh at my puny prey : I infinitely regret your lessons, which you will at least be able to give me by theory when I am back near you"... He goes to bed to calm his bitterness against his friend, "which no doubt comes from the fact that I have been unhappy in the hunt". — He will soon return to Paris : "Then no more hunting, no more guns. But as a reward I will see again friends among whom you are not the most indifferent. I always think with a feeling of pleasure of our past swimming and music games. [...] Why do I not know how to play the bass or the piano : it is not that I have grown disgusted with my dear guitar : but to accompany the flute it is insufficient : its good qualities are lost and one only gets the bad from it. In time I intend to acquire some more knowledge of music and then what a concert, what a revolution among the cats of the rue de l'Université or the rue Simon-le-Franc"... — After regretting the accident that befell Mr. Buissonneau, he briefly recalls "a beautiful fox hunt that I was on yesterday and the thousand tricks that these impertinent people made us do. Today I have to dissect one of these gentlemen, whose skin one of the guards has already taken to make a cap. — He ends by evoking the accident that happened to "poor Guillemot" [the painter Alexandre-Charles GUILLEMOT (1786-1831)], begging Piron to "circumvent him [...] in a flattering way to obtain from him a small gift", the engraving that he made in Rome of the Descent from the Cross by Daniele da Volterra "and which is very good"... — Lettres intimes (X, p. 54).
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