Lot n° 137

GIRAUDOUX (Jean) — Lettre autographe à Anita Fesser de Madero. Porto-Rico, 4 avril [1936]. 4 pp. in-8 carré.

Estimation : 500 - 600 €
Description

Superbe et longue lettre d'amour. « Anita, mon cœur malgré tout, Anita chérie, mon bonheur malgré tout, malgré ce que tu m'as fait et ce que je te ferai, je suis arrivé à Porto-Rico après un voyage interminable de New York, sur une sorte de cargo qui avait quarante ans, et où il n'y avait comme passagers intéressants que quelques enfants mulâtres et un moineau, que Job et moi avons soigné deux jours et qui s'est envolé du bateau alors que nous étions à 200 miles de toute terre. J'espère qu'il s'est posé sur une mouette... Six jours nous sommes restés ainsi... sur une mer mauvaise, et le pont n'était pas assez large pour qu'on mît les fauteuils face à la mer. Mais c'était vraiment de la navigation, et cela m'a rapproché de toi, d'un coup, de deux mille cinq cents kilomètres. Depuis avant-hier, je suis presque sur ton Amérique du Sud. La dernière nuit, je l'ai passée à rêver de toi... Comme nous nous sommes aimés, pour que le souvenir en soit aussi douloureux, aussi... douloureux ! Comme je t'ai aimée, du moins ! Toi, qu'as-tu fait ? Qu'éprouves-tu ? Que te sens-tu ? Peut-être m'aimerais-tu, maintenant ?... Dis-moi si tout cela est fini, ou ne sera plus qu'une rencontre gâchée et inutile ! Que de coups on a donné à ce pauvre amour, pour l'avilir ou l'amoindrir ! Est-ce que je suis toujours la raison de ta vie, comme tu disais ? Tes cocktails chez Malena, ton travail à la Légation, tes promenades sur ta voiture, est-ce à moi, est-ce inondé de moi ? Souris-tu pour montrer tes dents, ou pour me sourire ? Et pleurer, as-tu même pleuré, depuis ton mariage, en pensant non à moi, mais à nous, au couple malheureux que nous allions devenir... Pourquoi ? Parce que tu te sentais indigne, ou parce que tu ne m'aimais pas ? Maintenant que je ne rentrerai plus dans ma maison, tu peux me dire tout cela. Tu peux voir ce que nous avons perdu. L'as-tu trouvé là-bas ?... » Il annonce aussi la suite de son voyage, évoque « la môme Moineau », Lucienne Suzanne Dhotelle, qui se « sent un peu loin du Bœuf sur le toit », Petite-fille de Joséphine Fesser, la compagne du peintre Jongkind, Anita Fesser de Madero venait de quitter l'écrivain pour épouser un homme d'État argentin. Jean Giraudoux se rendait pour la troisième fois aux États-Unis, cette fois en qualité d'inspecteur général des postes diplomatiques.

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