Lot n° 99

ALAIN (Émile-Auguste Chartier, dit) — Manuscrit autographe signé « Alain », intitulé « Propos d'un Normand ». 2 pp. in-8 au crayon, préparé pour l'impression, quelques reports d'encre.

Estimation : 150 - 200 €
Description
Réflexions sur la face sombre du mariage, inspirées par l'argument de l'opérette de Franz Lehár Le Pays du sourire. « Il est très bon que l'on ait publié cette aventure, d'une brillante jeune fille qui épousa un Chinois. La jeune fille était belle et intelligente ; elle était reine dans le monde ; elle y traçait son sillage comme le cygne sur un lac. Seulement elle était presque pauvre ; aussi elle pensait plutôt à se faire aimer qu'à aimer elle-même. En somme elle était à vendre, et promise au plus offrant ; mais ce n'est pas ainsi qu'on dit les choses, dans le monde. Un diplomate chinois devint amoureux d'elle ; comme il était très riche, on lui livra la marchandise, je veux dire qu'on se laissa adorer, voiturer, habiller, parer et pomponner, par devant notaire. Elle fut la princesse Sou-Chong, ou quelque chose comme cela, et promena sa gloire dans les plus brillantes cours de l'Europe... Le prince Sou-Chong... se laissa passer la bride, et connut les roueries de la diplomatie femelle. Personne ne put savoir ce qu'il pensait ; mais ses yeux bridés riaient de plus en plus, à mesure que, de fête en fête, il se rapprochait de Pékin. Quand ils y furent, loin des puissances d'opinion, loin des chevaliers servants, loin des salons où règne l'éventail de Célimène, alors la pauvre princesse connut qu'elle était esclave ; elle fut traitée comme une machine à plaisir ; elle fut enfermée, elle fut battue ; elle fut plus misérable que les filles de maisons publiques, qui trouvent quelquefois un matelot saoul à qui elles racontent leurs grandeurs et leurs misères. Après des mois de torture, elle fut délivrée et obtint le divorce. Oui, cette histoire est utile à raconter. Mais il faut que les jeunes filles en saisissent le sens. car il n'est pas bien difficile, quand on chasse au mari, d'éviter les Chinois et Pékin. Mais il y aura toujours un mauvais moment à passer, le jour du mariage, et tous les jours ensuite, quand les chandelles seront éteintes : il faudra être esclave après avoir été reine... »
Partager