Lot n° 92

HUYSMANS (Joris-Karl) — L'Oblat. Paris, P.-V. Stock, 1903. In-18, (4)-448 pp., catalogue de l'éditeur, demi-basane chagrinée à coins marron, tête dorée, couvertures conservées (René Kieffer).

Estimation : 1000 - 1500 €
Description
Édition parue la même année que l'originale. De la bibliothèque de Victor Segalen, avec inscriptions autographes : monogramme personnel « VS » et date « Tahiti oct. 03 » sur la couverture, ainsi que la mention « R-b-34 » sur le titre (sans doute une cote de sa bibliothèque personnelle d'alors). Exemplaire enrichi d'un manuscrit autographe de Victor Segalen, critique assassine du livre de Joris-Karl Huysmans, Les Foules de Lourdes (1906), dans laquelle il imite son style en mettant cette critique dans la bouche du personnage de Durtal : « Lourdes. Durtal ferma, en vomissant un soupir éculé d'étonnements, le livre. – Non ! bomba-t-il, du tréfonds de son ennui : ce qu'il faut, tout de même, que cet excellent J.-Karl soit décati & bassement pieux, pour gâcher tout à son aise, cette crème sûre & ce divin petit lait ! Il est inouï de le voir donner à mon Là-bas, cette péroraison fade. Ou bien non, – et voici où le miracle éclate, où la transsupernaturalité s'avère, et gueule : aucun artiste dans ces temps d'incongrue bassesse, n'a pu impunément piétiner les sentiers où l'aiguillait l'appel du Très-Haut, sans voir en même temps son art s'effriter, se concrétionner, et se déculotter par lambeaux aux ronces & aux tessons embuscateurs d'âme, déposés – en ordures spirituelles – sur la marge du chemin, par le Très-bas ! Le miracle ! mais il s'impose & rugit dans chacune de ces pieuses historiettes d'où s'égoutte, ainsi que d'un pot-au-feu manqué, le jus. [Victor Segalen a écrit puis biffé « Le titre seul incite à la bonification, et réclame "Les Foules à Lourdes »]. Le premier chapitre tombe de lui-même, s'affale ainsi qu'une chronologie flasque de faits, celui des cierges jaillit avec des éclats presque continus, de la cathédrale, en une symbolique pas trop court-bouillon, pas trop récurée. Mais l'on s'égausse et l'on se trémousse à des affirmations qui se lisent telles : "Tout le monde, je crois, se mesure à ce même étalon de sensibilité" !!! (p. 80). Puis, l'art à Lourdes donne libre ébat à l'ami Joris de caramboler dans les bondieusarderies sulpiciennes... mais il a vu, et, lui seul peut-être, dit, deux incompréhensibles artifices de l'adorable Rouée Deipare les incomplètes guérisons, les guérisons à reprises..., à rechutes – et surtout, les contrefaçons belge & turque, meilleures que l'original, de Lourdes. Durtal s'étant récupéré, alluma une cigarette, s'apprêtait, une fois encore, à se fouailler la conscience, à s'épucer, de ses scrupules comme d'une vermine obscène, à se tripatouiller l'âme dont il désespérait de vidanger jamais, la fosse, quand on sonna. Hyacinthe Chantelouve entrait. Il jeta sa cigarette, & regretta qu'elle vînt si vite, car il était encore en pantoufles »(1 p. 1/2 in-folio, ratures et corrections à l'encre et au crayon, avec note marginale au crayon rouge, replié et monté en tête du volume). Victor Segalen a utilisé ici, comme souvent pour ses manuscrits littéraires et sa correspondance, un papier calque légèrement sulfurisé, fabriqué par les établissements Morin, qu'il appelait parfois « papier d'architecte ». Sur Victor Segalen et Joris-Karl Huysmans, cf. supra le n° 91.
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