Lot n° 90

GAULTIER (Jules de) — 4 volumes.

Estimation : 4000 - 5000 €
Description
« Le sens spectaculaire chez Flaubert... » – Les Raisons de l'idéalisme. Paris, Société du Mercure de France, 1906. In-18, 258-(2 dont la dernière blanche) pp., catalogue d'éditeur, demi-chagrin brun, dos à nerfs, tête dorée, couvertures et dos conservés ; dos passé un peu frotté, papier jauni (S. David). Édition originale. Envoi autographe signé « À Victor Segalen. En entente parfaite et entière sympathie... » Victor Segalen a apposé une mention autographe en marge du chapitre vii (« La fin esthétique et le sens spectaculaire «), intitulée « Le sens spectaculaire chez Flaubert », citation d'un passage de la préface de Gustave Flaubert aux Dernières chansons de Louis Bouilhet : « "... Enfin, si les accidents du monde, dès qu'ils sont perçus, vous apparaissent transposés comme pour l'emploi d'une illusion à décrire, tellement que toutes les choses, y compris votre existence, ne vous sembleront pas avoir d'autre utilité"... » (feuillet autographe monté sur onglet face à la p. 460). « Ou bien la connaissance du néant est-elle acceptatrice de la vie donnée... ou bien elle est révélatrice silencieuse d'un Divers, d'un Mystère... » – De Kant à Nietzsche. Paris, Mercure de France, 1910. In-18, 354-(4 dont les 2 dernières blanches) pp., catalogue d'éditeur, bradel de chagrin marron à fines bandes, couvertures conservées ; les 6 premiers feuillets remontés sur onglets, plusieurs feuillets se détachent dont le titre, volume rogné un peu court avec atteinte à une note de Victor Segalen (reliure postérieure). Ouvrage originellement paru en 1900. De sa main, Victor Segalen a annoté 7 pages , situées dans l'introduction et la première partie (« Le non-vrai étant posé comme condition de vie, comment une science de la connaissance est-elle possible ? ») du premier chapitre (« L'instinct vital, Platon, le judaïsme »). Quand Jules de Gaultier parle d'une « antinomie entre existence et connaissance », Victor Segalen écrit en marge : « ... Ne peut-il y avoir, pour certains, justification et renforcement de la vie de par la connaissance ? (7 avril 1915)... » (p. 15). Quand Jules de Gaultier dit de « l'instinct de connaissance » que « son essence est nihiliste : il n'apparaît point qu'il ne ruine », Victor Segalen répond en marge : « Non. Il ne ruine que les maquettes & ficelles de la vie » (p. 18). Dans les parties suivantes, plusieurs passages soulignés au crayon ; une note liminaire à l'encre renvoie aux divers auteurs cités par Jules de Gaultier. De sa main, Victor Segalen a rédigé un commentaire général sur l'ouvrage, « Nouveau comment[aire] à J[ules] de G[autier]. L'i[nstinct] de connaissance acceptateur & magnifiant [la] vie [pour] qques-uns » (4 pp. in-8, sur 2 ff. montés en tête). Face aux notions d'erreur, d'illusion, qui participent d'une valeur vitale chez Friedrich Nietzsche mais qui conduisent au pessimisme chez Arthur Schopenhauer, Segalen met en avant la notion d'« illusionnisme » : « ... Réconciliation synthétique de la connaissance & de la vie. Dérivant [d'un] point de vue spectaculaire, & de cet axiome [que] l'acteur est supérieur au vivant. L'acteur garde son ironie et sa connaissance que, le rideau tombé, [tout] est fini... Affaire de tempérament : le génie est donc de joindre un esprit de connaissance à un tempérament actif... » Et il critique cette phrase de Jules de Gaultier, « L'état de connaissance va à détruire la vie » : « Mais justement je prétends que pour moi, & quelques-uns, l'instinct de connaissance est garant & soutien de la vie. Il permet d'accepter comme inexistants, conventionnels & transitoires, les moments odieux, il permet d'exalter & de magnifier les acceptables et les beaux. Pour certains êtres, [pour] certains tempéraments vivaces, mais répugnés [par la] vie, et qui ne trouveraient dans aucun dogme une raison de vivre, [pour] cela, la connaissance peut être l'acceptation et la conquête de la vie. Un acteur, sachant qu'il joue, peut assumer provisoirement un rôle bas, l'élevant en tant que rôle... Il fuirait s'il y mettait du sérieux & du convaincu... Je crois donc tout d'abord en une Vie qui est donnée. Le reste vient la renforcer ou la diminuer, [selon le] tempérament, le reste, y compris [l']instinct de connaissance, [tout], [pour] certains peut-être, autant qu'une fiction, acceptateur de la vie... L'état de connaissance, ayant [tout] mis à bas, permet à quelques-uns de constituer une fiction rare et propre à eux : [faire de] la fiction [une] esthétique fondamentale, universelle. » En 1917, encore, le 24 septembre, Victor Segalen écrivait à Jules de Gaultier que De Kant à Nietzsche faisait partie « de ces livres [...] qui ne [le] quittent pas ». Joint, une note autographe de l'épouse de Victor Segalen, Yvonne, qui a relevé quelques passages de l'ouvrage soulignés par son mari. « Des attitudes ! Savoir prendre des attitudes » pour en tirer « un spectacle nouveau » – Comment naissent les dogmes. Paris, Mercure de France, 1912. In-18, 412-(4 dont les 2 dernières blanches) pp., demi-chagrin marron, dos à nerfs avec mention « V.S. 1912 » dorée en queue, tête dorée, couvertures et dos conservés ; dos passé (S. David). Édition originale. Envoi autographe signé « à Victor Segalen. En souvenir très amical... » Dans l'entretien intitulé ici « Le Bovarysme de l'histoire », Jules de Gaultier fait un éloge marqué des Immémoriaux (pp. 179-181) : « L'étude de M. Max Anély a mis en relief avec une clarté saisissante un cas de dissociation nationale et ethnique dont l'exemple peut servir de fanal à des sociétés plus vastes. Il nous a montré la mentalité instinctive et physiologique d'un groupe, sa réalité profonde, son grand soi, selon l'expression nietzschéenne, vaincu par une mentalité étrangère pour avoir prêté l'oreille aux conseils de la petite raison. » Victor Segalen lui en fit ses remerciements par lettre du 13 mars 1913. Victor Segalen a porté de sa main des annotations autographes sur une dizaine de pages. Tout d'abord dans l'introduction, intitulée « La critique égoïste » : « Critique égoïste  : Je conçois, mais n'admets pas, qu'on en fasse d'autre sorte. Un point de vue est nécessaire : ne pas le placer ailleurs qu'en soi. – C'est ainsi que je ferai plus tard sans doute : – tout, du point de vue "exotisme" – ou encore, tout, d'après cette donnée : rapports de l'auteur avec le "texte scénique", – ou bien en fonction de ce qui, à ce moment, fera le centre de mon attention... » (p. 7). Quand Jules de Gaultier explique qu'il a choisi d'appeler « entretiens » les essais réunis dans son volume, Victor Segalen écrit : « C'est ainsi que se caractérisent les efforts personnels : l'attitude "Entretien" ne date pas d'hier ! Mais voici J. de G. qui la reprend, – ou plutôt l[a] reconnaît spontanément comme sienne, la développe, en tire un spectacle nouveau. – Des attitudes ! Savoir prendre des attitudes. » (p. 9). Cette notion d'attitude fut fructueuse dans son œuvre personnelle, où Peintures, par exemple, a été écrit dans « l'attitude » du bonimenteur de tréteaux. Les autres notes ont à voir avec la mémoire (« [toutes] choses capitales, personnelles, les formules primordiales, s'oublient comme celles de la pharmacopée – et davantage »), la question des contradictions intérieures qui fonderaient une réalité, le fait « qu'on ne pourrait [jamais] saisir un élément simple au moyen d'une introspection toujours compliquée... » (p. 148), ou les synesthésies : « ... Changer de plan est la faute impardonnable : la faute contre l'Esprit. La seule obscurité déplorable est celle qui en résulte. Et le galimatias, si la discussion est artistique & si les vocables [appartenant à des] arts différents s'entremêlent. Réprobation des synesthésies. » (p. 143) Ceci marque une évolution dans sa pensée, car dans l'article qu'il avait consacré à ce sujet, en avril 1902 dans le Mercure de France, « Les synesthésies et l'école symboliste », il affirmait encore « Nous les croyons fécondes en plaisirs esthétiques ». « Mon Essai sur l'exotisme sera un pur et sincère et avoué démarquage du Bovarysme » – Le Génie de Flaubert. Paris, Mercure de France, 1913. In-18, (2 blanches)-292-(2 dont la dernière blanche) pp., demi-chagrin bleu, dos à nerfs avec mention « V.S. 1913 », tête dorée, couvertures et dos conservés ; dos un peu passé et légèrement frotté (S. David). Édition originale. Envoi autographe signé « à Victor Segalen, au subtil et parfait mandarin des "Stèles", à l'ami, ingénieux inventeur de "la Lettre", son ami... » Victor Segalen lui écrivit le 26 janvier 1916 : « Ces jours-ci, Le Génie de Flaubert m'a reporté aux plus beaux jours de votre enseignement sur moi ; des jours de jeunesse sans fin ; et de toujours nouvelles découvertes [...]. Mon Essai sur l'exotisme sera un pur et sincère et avoué démarquage du Bovarysme. » Penseur du « bovarysme » et spécialiste de Nietzsche, Jules de Gaultier joua un rôle de mentor auprès de Victor Segalen. Collaborateur du Mercure de France et de la Revue blanche, le philosophe Jules de Gaultier de Laguionie (1858-1942), fut l'introducteur des thèses de Nietzche en France, et s'intéressa également à Gustave Flaubert, publiant en 1882 un ouvrage sur Le Bovarysme, « ce pouvoir départi à l'homme de se concevoir autre qu'il n'est ». Victor Segalen le lut en 1902 et s'en inspira pour écrire son essai « Les Hors-la-loi. Le double Rimbaud », paru dans le Mercure de France en 1906. Victor Segalen fut très influencé par Jules de Gaultier dans ses débuts littéraires, et, quoique marquant sa différence sur certains points, lui conserva une admiration sans faille : il lui fit l'hommage de ses ouvrages successifs, dont Stèles, et lui dédia Équipée.
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