Description
Édition originale, un des 30 exemplaires de tête numérotés sur grand papier de tribut de Corée (le n° 1, un des 15 à grandes marges sur ce papier) avec seconde épreuve du frontispice sur papier bleu ; seul grand papier. 8 bois gravés dans le texte par George-Daniel de Monfreid. Avec un frontispice hors texte, gravé sur bois par un autre artiste d'après une composition de Gustave Moreau. Sur l'amitié de George-Daniel de Monfreid avec Victor Segalen, cf. infra le n° 79. Un drame lyrique envisagé en commun avec Claude Debussy. Musicien lui-même, Segalen avait pratiqué le violon, le piano, et avait composé des mélodies sur des textes d'Albert Samain, Remy de Gourmont ou encore Gustave Flaubert. À l'écoute de Pelléas et Mélisande, il était devenu un admirateur fervent de Claude Debussy, et avait fait tous ses efforts pour le rencontrer en 1906, nouant alors une relation amicale. Souhaitant collaborer avec lui sur une œuvre lyrique, il fut d'abord déçu de se voir refuser un premier texte, Siddhârta, mais un article qu'il fit paraître dans le Mercure de France du 16 août 1907, « Dans un monde sonore », et qui évoquait la figure d'Orphée, intéressa le compositeur qui lui fit cette remarque en forme d'avance : « Ne pensez-vous pas qu'il y aurait quelque chose d'inouï à faire entendre dans ce nouveau mythe, d'Orphée ? » (26 août 1907). Victor Segalen s'attela à la tâche de concevoir une pièce sur le thème d'Orphée, de novembre 1907 à avril 1908, mais dans une perspective très personnelle, qu'il résuma ainsi dans ses notes : « Orphée ne sera pas tel soleil, ni tel principe générateur, ni tel aspect du monde [...] mais un homme créateur, inventeur, progénéré, en lutte et en opposé avec d'autres hommes ; avec "les autres". Le drame de l'incompréhension lyrique, sensorielle surtout ; religieuse aussi peut-être. Rien que d'humainement possible » Cette première version, intitulée Orphée-triomphant fut adressée à Claude Debussy qui répondit le 27 août 1908 : « Les deux actes que vous m'avez envoyés me semblent presque définitifs. Il n'y aura plus qu'à les dégager de phrases parasites ; quelquefois aussi le rythme est plus littéraire que lyrique [...]. Ne doutez pas que quelques heures à nous deux ne mettent tout en place [...] Il faudra que nous élargissions le rôle de la foule [...] Le personnage d'Orphée ne pourra qu'en grandir ; cela fera mieux sentir, au surplus, l'animosité naturelle de la foule pour le génie. » Après ce travail en commun, Victor Segalen établit une seconde version en octobre 1908, qui fut également lue et corrigée par Claude Debussy, toujours dans le sens d'un allégement du style, d'une modération du lyrisme, l'écrivain mit au point l'ultime version entre la fin de 1915 et mars 1916. Malheureusement, Claude Debussy, dont la santé se détériorait gravement (il mourut en mars 1918), avait entre temps renoncé à ce projet, comme il l'écrivit à Victor Segalen le 5 juin 1916 : « Quant à la musique qui devait accompagner le drame, je l'entends de moins en moins. D'abord, on ne fait pas chanter Orphée parce qu'il est le chant lui-même ». Le compositeur avait cependant accepté le principe d'une publication, et Victor Segalen rédigea en 1918 un magnifique avant-prologue de présentation en vue d'une édition prochaine : « [...] Dans la collaboration authentique d'un musicien et d'un poète, on doit réclamer et subir le don de chacun. Or, ce qui se joue ici ne comporte que les mots sourds volontiers, les mots seuls, les mots sans plus du poète demeuré seul. Voilà pourtant onze années que, d'un accord réfléchi, le poète ayant écrit en l'honneur secret du musicien : "Orphée... Orphée ne fut pas un homme, ni un être vivant ou mort. Orphée : le désir d'entendre et d'être entendu. Le pouvoir dans un monde sonore..." Le musicien répondit : "Orphée ?... celui de Gluck en représente le côté anecdotique et larmoyant. Le monde "sonore" est un domaine inexploré. Ne pensez-vous pas qu'il y aurait quelque chose d'inouï à faire entendre dans ce nouveau mythe, d'Orphée ?" C'est de là que le germe grandit. De fréquentes causeries s'en suivirent, moins bavardes que taciturnes ; pénétrantes plus que dialoguées. ce qui n'était pas dit agissait. Ce qui se tut ourdissait le silence. Nous cherchions l'incantation des syllabes [...] Les contours verbaux se sacrifiaient à l'hymne futur. Le lyrisme des mots, – mot lui-même si équivoque, – se renonçait en faveur de l'autre, lyrisme musical, lyrisme de la Lyre : – le chant [...]. La mise en œuvre dura plus de deux années. Ce fut un temps non mesurable, marqué du seul rythme intérieur. Un jour dans une lumière sonore dont le poète garde l'éblouissement, il entendit : "... claire, triomphante en l'inaccessible lointain, une voix chantant toute seule, singulière, avec de grands ébats sauvages..." et le musicien de s'écrier "ce sera mon testament lyrique" [...] » Victor Segalen mourut à son tour en 1919 avant d'avoir vu la mise au jour de ce livre.