Description
Édition originale, un des 7 exemplaires de tête numérotés sur japon impérial (le n° 1). Le tirage sur grand papier fut restreint à ces exemplaires sur japon et à 10 autres sur hollande seulement. Un bois gravé tiré en brun sur papillon monté sous la justification, représentant un signe de type rongo-rongo de l'île de Pâques, que Victor Segalen décrypte dans un de ses manuscrits conservé à la BnF comme « l'homme et la terre ». Ce même signe n'est qu'imprimé dans les exemplaires sur papier d'édition. Le premier livre de Victor Segalen. Dès le printemps de 1903, Victor Segalen bâtit un premier projet, dont il acheva les premiers chapitres au début de l'année 1904. Il poursuivit sa rédaction de retour en France, et confia l'ouvrage aux éditions du Mercure de France, revue où il avait déjà publié 5 articles. Publié à compte d'auteur, grâce à un prêt de ses parents, le volume fut achevé d'imprimer le 24 septembre 1907, sous le pseudonyme de Max-Anély, composé d'après le prénom de son ami Max Prat et le second prénom de sa femme, Anelly. Envoi autographe signé « Max-Anély » : « À Mavone toute aimée & très amie, cet œuvre qui est nôtre, par l'empreinte d'Elle-même : profonde, sérieuse & enveloppante, comme ses yeux... 29 septembre 1907. » Soit 5 jours après la date de l'achevé d'imprimer. Yvonne Segalen, épouse aimée, interlocutrice indispensable et collaboratrice zélée. Fille d'un médecin de Brest, épousée en 1905, Yvonne Hébert participa en grande partie à l'aventure orientale de Victor Segalen : elle reçut de lui des lettres quotidiennes en 1909 et le rejoignit en 1910, séjournant avec ou sans lui à Pékin et à Tien-Tsin (Tianjin) jusqu'en 1914. Segalen l'aimait d'un amour profond, lui déclarant par exemple le 22 mars 1913 : « tu as été si bien mêlée à ce qui est plus profondément ma vie que [...] je n'ai aucune raison de te reconnaître à côté de moi, mais en moi ». Il accordait par ailleurs un grand prix à son avis critique, affirmant : « quand j'ai fait une bonne page, c'est un peu comme si je te l'avais lue » (28 juillet 1911). Yvonne joua donc un rôle grandissant dans son activité d'écrivain, et contribua même directement à la conception de son ouvrage La Grande statuaire, à la demande expresse de Victor Segalen : « J'ai dessein de ne pas l'écrire seul... C'est ton aide [...] qu'il me faut, Mavone aimée [...]. De ta première écriture se nourrira mon premier texte » (20 janvier 1918). Il lui confia également le travail de publication des Lettres de Paul Gauguin à Georges-Daniel de Monfreid qu'elle conduisit tout au long de l'année 1917. Victor, qui se trouvait en Chine, s'en était remis à elle pour cela, lui écrivant par exemple le 9 mai 1917 : « Je savais que tu expertisais une trame sonore que j'avais, sous ton regard et tes baisers, fiévreusement ourdie ». L'enchantement polynésien : quand Victor Segalen, jeune médecin de marine, arriva à Tahiti en janvier 1903, il relevait d'une grave maladie contractée pendant la traversée. Ébloui par la lumière, tout empli de l'exaltation que lui suscitait de recouvrer la santé, il fut profondément marqué par son premier contact avec le Pacifique. Il mit à profit une tournée d'inspection des îles que le gouverneur de la Polynésie effectua à bord de son navire, La Durance, pour se familiariser avec la civilisation maorie. Victor Segalen dirait néanmoins qu'il en avait davantage appris sur la civilisation maorie par les textes et les croquis de Paul Gauguin, que par sa propre expérience. Conscient d'assister au déclin d'une culture, il s'attacha à réunir une documentation de première main, observant, interrogeant autant qu'il le put. Sur la suggestion du gouverneur, il rédigea alors un texte, « Cyclone des îles Tuoamotu » (publié dans la revue Armée et marine du 12 avril 1903), article d'actualité mais où les principaux thèmes des Immémoriaux apparaissaient déjà clairement. L'œuvre initiatique de Paul Gauguin : Victor Segalen put également aller aux îles Marquises peu après la mort du peintre, et acheter à la vente aux enchères de ses biens divers objets dont des toiles, des bois et des carnets illustrés. Ce fut un choc qui lui ouvrit les yeux sur la véritable nature du monde polynésien, un choc que lui même assimila à une initiation : on retrouve cette idée d'initiation dans les Immémoriaux où le jeune récitant Térii fut initié par le vieux Tupua qui lui transmit trois récits ésotériques lui offrant les clefs culturelles et mythologiques du monde maori. Pour lors, Segalen publia un article, « Gauguin dans son dernier décor » dans Le Mercure de France de juin 1904. Une somme ethnologique dans une langue renouvelée : à partir de bribes patiemment récoltées du parler maori, Segalen parvient à reconstruire tout un monde disparu, à transcrire les rites d'une civilisation orale sur le point de sombrer définitivement. Ainsi le grand paradoxe du livre réside-t-il en ceci qu'il recourt à l'écrit pour ressusciter une culture exclusivement orale, et trouve dans l'imaginaire le plus sûr garant de l'authenticité. Ce que l'on retient alors des Immémoriaux, c'est le voyage, le dépaysement poétique issu de la rencontre entre un langage connu (le français, avec ses règles et sa grammaire) et un langage imaginé, qui restitue le parler maori avec les sonorités des langues européennes. Superbe exemplaire dans une saisissante reliure signée de Paul Bonet. Dans ses Carnets, celui-ci précise « C'est pour la fille de l'auteur que j'ai relié cet exemplaire... maroq. nègre : un mat vertical dans l'axe des plats et du dos ra[p]pelle par ses détails ceux de la Polynésie – des filets noirs sur le fond schématisent un masque. 2-54 6-54. [René] Desmules, rel. [André] Jeanne dor. » (n° 1067). Entièrement conçue par Paul Bonet cette reliure a été réalisée par le relieur René Desmules : celui-ci avait travaillé chez Noulhac, Maylander, Pierre Legrain, Gruel et Marot-Rodde, et mit ensuite son talent au service de grands décorateurs comme Rose Adler, Madeleine Gras, Georges Leroux ou Paul Bonet.
