Lot n° 26
Sélection Bibliorare

JAURÈS (Jean) — Manuscrit autographe signé intitulé « Arbitrage international ». [Septembre 1905]. 11 ff. grand in-folio.

Estimation : 5000 - 6000 €
Description
Pour un socialisme internationaliste et pacifiste. La conférence de la paix de La Haye en 1899 avait mené à l'adoption d'une convention pour le règlement pacifique des conflits internationaux, et à la mise en place d'une « Cour permanente d'arbitrage » chargée de constituer des tribunaux arbitraux (qui existe encore aujourd'hui). Comme député et comme journaliste, Jean Jaurès s'était résolument engagé dans le soutien à cette Cour décriée dans les milieux nationalistes. Article paru dans La Dépêche de Toulouse le 13 septembre 1905, à la suite de la médiation de Théodore Roosevelt qui permit de mettre un terme à la guerre russo-japonaise, ce qui valut au président américain le prix Nobel de la paix en 1906. « ... Aussi bien, c'est chose significative que M. Roosevelt ait été depuis plusieurs années un partisan déclaré de l'arbitrage. Il a fait un accueil excellent à M. d'Estournelle de Constant, qu'il fut de mode naguère de railler et de bafouer, et qui n'en n'aura pas moins contribué, pour sa large part, à un grand mouvement d'idées. M. Roosevelt entrait volontiers en communication avec la conférence interparlementaire de la paix. Il s'appliquait à donner consistance et vie à la Cour de La Haye, première institution, bien débile encore, bien chétive, d'arbitrage international... Ainsi, toute la propagande d'arbitrage et de paix n'a pas été vaine.Quand une grande idée commence à se répandre dans le monde, à s'insinuer dans les esprits et, pour ainsi dire, dans l'atmosphère, elle ne produit pas toujours des effets directs, sensibles, sur les points où l'on attendait plus particulièrement son action. Et ceux qui demandent à une idée à peine naissante, à une institution à peine ébauchée de produire d'emblée de grands effets, ont beau jeu de railler l'apparente inanité de la formule nouvelle. Hercule au berceau étouffait des serpents : mais c'était dans les temps lointains des légendes héroïques. L'arbitrage au berceau ne peut étouffer tous les serpents de discorde et de guerre en qui rampent et sifflent les ignorances, les convoitises, les haines de la pauvre humanité... Après tout, l'état présent des peuples serait assez favorable à cette n[ouv]elle entreprise. L'horreur des massacres mandchouriens pèse encore sur les imaginations et les consciences comme un cauchemar et aussi comme une menace. La joie causée par la conclusion de la paix a été si générale et si vive, elle a si bien manifesté la solidarité morale, la sensibilité commune de la race humaine, que les peuples qui proposeraient d'affermir cette paix rencontreraient sans doute une adhésion universelle. Il n'est pas impossible de réaliser des conditions d'équilibre durable... Il y a donc dans le monde des tendances et comme des éléments de paix, mais disséminés, incohérents, perdus dans un chaos de forces plus aveugles encore qu'hostiles et plus désordonnées que haineuses. Peut-être suffira-t-il, pour transformer la vie générale de l'humanité, de donner à ces éléments de paix des centres de groupement, et, pour ainsi dire, de cristallisation. Si la République américaine et la République française, les deux Républiques "sœurs" comme disait M. [le président Émile] Loubet dans son télégramme de félicitation à M. Roosevelt, prenaient l'initiative de proposer au monde quelques règles générales de sagesse et d'équité, dont un grand Conseil international formé par les délégués de tous les peuples ferait l'application aux litiges qui peuvent survenir entre les nations, cette initiative aurait sans aucun doute un immense retentissement. C'est le devoir des socialistes de tous les pays d'y préparer l'opinion ; c'est leur devoir d'y insister constamment sans peur des anathèmes des patriotes professionnels qui ne comprennent la patrie que comme une force exclusive et barbare... Le journal de M. [le sénateur Jules] Méline va jusqu'à cette phrase monstrueuse : "La guerre, c'est la raison d'être de l'armée. Guerre à la guerre, c'est aussi bien la guerre à l'armée »... Guerre à la paix, voilà la devise de ces forcenés, qui ont peur que dans la certitude de la paix, les peuples, libres de tout autre souci que celui de créer une société meilleure, procèdent à la grande transformation sociale qui éliminera tout privilège de propriété et organisera le travail souverain. Au fond de toute cette campagne contre les internationalistes, contre les pacifistes, il n'y a que la frayeur inavouée des oligarchies possédantes et dirigeantes devant les progrès du socialisme universel, devant l'organisation croissante et la croissante revendication des salariés, ouvriers et paysans. Les privilégiés égoïstes veulent jeter sur leurs privilèges le manteau pourpre de la guerre et de la patrie. leur calcul misérable n'aboutira pas : et le programme de justice et de paix du prolétariat international prévaudra contre toutes les violences et toutes les manœuvres... »
Partager