Description
Manuscrit complet de ce bref opéra, une des meilleures œuvres lyriques de Milhaud.
Commande de la mécène la princesse Edmond de POLIGNAC, à qui il est dédié, ce bref opéra en trois actes a été composé par Milhaud en septembre-novembre 1924, sur un livret de son ami l’écrivain Armand LUNEL (1892-1977).
« Il y avait longtemps que je désirais interpréter un mythe classique en le transposant dans une époque moderne. J’étais attiré par la légende d’Orphée ; je me le représentais comme un paysan de Camargue, vivant dans cette plaine admirable dont les horizons bleutés esquissent des mirages ; je voulais aussi qu’Eurydice n’eût rien de commun avec lui, qu’elle fût étrangère à son pays, à ses coutumes sédentaires. Je l’imaginais comme les bohémiennes qui évoluaient aux Saintes-Maries-de-la-Mer pendant le pèlerinage et qui appartenaient à une race ardente, emportée, mystérieuse. Armand Lunel […] se plia admirablement à mes exigences : Orphée charmeur d’animaux devint Orphée guérisseur des hommes et des bêtes. L’action est brève et dramatique. Orphée habite dans un petit village de Camargue dont il s’absente souvent pour soigner les animaux jusque dans leurs antres ; ses amis villageois, le Charron, le Vannier, le Maréchal-Ferrant s’en inquiètent ; Orphée les rassure et il leur annonce qu’il va bientôt se fixer définitivement au village parce qu’il va épouser Eurydice, une des quatre bohémiennes qui étaient venues au village quelques jours auparavant. Eurydice arrive subitement, traquée par ses parents nomades, que son mariage révolte et qui sont décidés à la reprendre, morte ou vive. Les villageois conseillent aux jeunes gens de s’enfuir. Le deuxième acte se passe dans la montagne où les jeunes amoureux ont trouvé un abri, mais Eurydice est atteinte d’un mal mystérieux qu’Orphée, malgré sa science, ne peut parvenir à soulager. Elle meurt après avoir recommandé son époux au vieil Ours, au Sanglier, au vieux Renard boiteux et au Loup “qui a perdu le goût du sang”. Les animaux emportent sa dépouille mortelle en chantant un chœur funèbre. Au troisième acte, Orphée est de nouveau dans sa maison, mi-pharmacie, mi-cabinet d’histoire naturelle, ornée d’ex-voto, de béquilles, de jambes de plâtre. Tout le monde le croit consolé, mais il chante son désespoir que rien ne peut atténuer. Aveuglées par les fausses apparences, les trois sœurs d’Eurydice, semblables aux Bacchantes du mythe antique qui déchirent le corps d’Orphée, viennent reprocher à Orphée la mort de leur sœur et elles le transpercent à coups de ciseaux. Lorsque le malheureux expire, en tendant tout son être et son âme vers sa bien-aimée, elles comprennent qu’elles se sont trompées. Lunel donna d’excellentes proportions à son livret ; il le composa de courtes scènes, d’airs séparés, de duos, d’ensembles ; il facilita ainsi ma tâche et j’écrivis Les Malheurs d’un trait. […] Les Malheurs d’Orphée est le premier d’une série de petits opéras de chambre que j’écrivis par la suite ; les éléments sonores y sont réduits au minimum ; les personnages, en dehors d’Orphée et d’Eurydice, sont traités par groupes et, tout en conservant leur individualité propre et leur caractère, chantent souvent ensemble, formant un petit chœur »
(Darius Milhaud, Ma vie heureuse).
L’opéra fut créé au Théâtre de la Monnaie de Bruxelles, le 7 mai 1926, sous la direction de Maurice Corneil de Thoran, avec Charles Thomas et Mme Bianchini ; il fut redonné à Paris le 27 février 1927 par le Théâtre Fémina de Marguerite Bériza, dans de très beaux décors et costumes de Jean Hugo, et salué par Maurice Ravel :
« Voici une œuvre touchante, magnifique, la meilleure de son auteur et l’une des plus accomplies que notre jeune école ait produites depuis longtemps ». Par sa sobriété et sa concision, par sa force dramatique, c’est un retour aux sources du drame lyrique, dans la droite lignée de Monteverdi et Purcell ; l’opéra, découpé en airs et en scènes, avec des chœurs, mais courts et ramassés, ne dure pas plus d’une quarantaine de minutes, et emporte et frappe « par la beauté de la mélodie, la justesse des accents et la sobriété du lyrisme » (Paul Collaer). L’œuvre a été publiée par Heugel en 1925 (la page de titre porte le cachet encre des Archives Heugel) ; c’est l’opus 85 du compositeur.
Le manuscrit, pour chant et piano, est noté à l’encre noire sur papier à 24 lignes, signé et daté en fin « L’Enclos 22 septembre-2 novembre 1924 ». Il a servi pour la gravure de l’édition. La page de titre porte la dédicace : « à Madame la Princesse Edmond de Polignac ».
Au verso, Milhaud a dressé la liste des personnages : « Un Orphée (il porte les cheveux longs et, sur les épaules, une peau de chèvre) Baryton. Son Eurydice (une jeune Bohémienne avec un jupon à raies qui la rend pareille à une abeille) Soprano. Chœurs.1er acte. Chœur des métiers : Le maréchal Ténor, Le charron Baryton, Le vannier Basse (ce sont de vieux artisans comme on en voit dans les images populaires). 2e Acte. Chœur des Vieux Animaux : Le Renard Soprano, Le Loup Contralto, Le Sanglier Ténor, L’Ours Basse (des animaux, comme un carnaval de village, avec des masques, et, parce qu’ils sont vieux et malades, les uns se traînent sur des béquilles, les autres ont des bandages, des emplâtres ou la patte en écharpe). 3e Acte. Chœur des Bohémiennes : La Sœur jumelle Soprano, La Sœur cadette Mezzo, La Sœur aînée Contralto (ce sont les sœurs d’Eurydice moins jolies et plus coquettes) ».
Le manuscrit (avec la description du décor en tête de chaque acte) est ainsi divisé :
-Acte I. I Chœur des Métiers (p. 1), Animé ; II Air d’Orphée (p. 5), Modéré ; III Dispute du Chœur et d’Orphée (p. 6), Vif ; IV Air d’Eurydice (p. 9), Violent ; V Réconciliation du Chœur et d’Orphée (p. 12), Lent ; VI Duo d’amour d’Orphée et d’Eurydice (p. 15), Modéré, sans lenteur ; VII Reprise du Chœur et départ des amants (p. 18).
-Acte II. I Chœur des Animaux (p. 21), Douloureux et intense ; II Duo d’Eurydice et d’Orphée dans la cabane (p. 24), Doux et modéré ; III Dernières recommandations d’Eurydice aux animaux (p. 26), Lent ; IV Serment des Animaux (p. 29), Animé ; V Lamentations d’Orphée (p. 30), Lent ; VI Dernières paroles d’Eurydice (p. 31), Très lent ; VII Chœur des Funérailles (p. 32), Lourd.
-Acte III. I Chanson d’Orphée au travail (p. 35), Rude ; II Le Chœur des Bohémiennes (derrière la scène) (p. 38), Violent, funèbre ; III La Sœur Aînée (p. 40), Vif ; IV La Sœur Cadette (p. 42), Modéré et Très Vif ; V La Sœur Jumelle (p. 43), Assez Lent ; VI Grand Air d’Orphée (p. 45), Sans lenteur ; VII La mort d’Orphée (p. 46), Brusque.
─ Bibliographie :
- Paul Collaer, Darius Milhaud (Slatkine, 1982), p. 130-141.
─ Discographie :
- Darius Milhaud, Orchestre de l’Opéra de Paris (Accord 2004).