Lot n° 554

STENDHAL (Henri Beyle dit) — Correspondance manuscrite à Sophie Duvaucel. — Paris, Trieste, Corfou, Civitavecchia, janvier 1830-mars 1835. — In-4 (28 x 22,5 cm), reliure janséniste, maroquin bordeaux, dos à nerfs, doublures de maroquin rouge...

Estimation : 30 000 - 50 000 €
Adjudication : Invendu
Description
avec jeu de filets dorés en encadrement, gardes de soie moirée bordeaux, étui bordé (G. Mercier Sr de son père - 1929). — 52 p. sur 28 ff. in-12 et in-4 montés sur onglets.
Très importante correspondance de 14 lettres autographes de Stendhal (11 L. A. S. et 3 L. A.) adressées à Sophie Duvaucel et à la mère de celle-ci (une lettre).

Elle présente quelques petits croquis originaux de la main de Stendhal.
Sophie Duvaucel (1789-1867) était la belle-fille du naturaliste Georges Cuvier, avec qui sa mère s'était remariée.

Elle faisait les honneurs du salon de son beau-père au Jardin des plantes, ce que Stendhal évoque avec plaisir dans ses Souvenirs d'égotisme. Courtisée par l'ami de Stendhal, Sutton Sharpe, elle épousa finalement l'amiral Ducrest de Villeneuve.

Cet ensemble exceptionnel rassemble de lettres-clés sur Le Rouge et le Noir et Lucien Leuwen. Stendhal se livre à une analyse psychologique et sociale approfondie de Julien Sorel, en soulignant à quel point il est représentatif des arrivistes de son temps, insistant sur le fait qu'il n'a lui-même jamais été ce personnage du Rouge et le Noir (1830) :

« Je vous assure que personne n'a fait une grande fortune sans être Julien. » Il évoque aussi sous son surnom de « madame Azur » son ancienne amante Alberte de Rubempré, cousine de Delacroix, dont il s'inspire en partie pour peindre Mathilde de la Mole dans Le Rouge et le Noir. Il évoque la parution de ce roman :

« J'espère qu'on vous aura
envoyé une rapsodie de ma façon. Cela vous fera horreur et à MM. les membres de l'Académie. Je ne vous engage point à lire ce plaidoyer contre la politesse qui use à force de vouloir. Ne voyez dans ce livre qu'un hommage, et un remerciement pour les soirées aimables que j'ai passées au Jardin. Tous vos hommes puissans ou plutôt au pouvoir doivent être bien polis, car leur faculté de vouloir est furieusement usée. » (Trieste, 20 janvier 1831). Son personnage de Julien Sorel sert de fil rouge pour dépeindre des situations sociales :
« […] Je méprise sincèrement et sans haine, la plupart des gens que vous estimez. […] Vous avez vu quelques très jeunes gens faire de grandes fortunes, soyez convaincue que quelles que soyent les phrases et les apparences, pendant 2 ou 3 mois de leur vie, ils ont été comme Julien. De 1806 à 1813, j'ai été à peu près ayde de camp de M. le c[om]te Daru. Il était très puissant à Berlin en 1806, 7, 8, à Vienne en 1809. J'étais dans une sorte de faveur à Saint-Cloud en 1811. Je vous assure que personne n'a fait une grande fortune sans être Julien. La forme de notre civilisation exclut les grands mouvements, tout ce qui ressemble à la passion. » (s. l., 28 avril 1831).

La correspondance est également riche en informations sur Lucien Leuwen. Stendhal y dévoile la rédaction de son roman dans sa lettre du 4 mars 1835 signée « Anastase de Serpière ».

Écrit avec interruptions de mai 1834 à novembre 1836, Lucien Leuwen parut de manière posthume : sa première partie, « Le Chasseur vert », parut en 1855 dans les Nouvelles inédites, et l'ensemble en 1894.
« […] Je finis un roman où je peins (comme disent les hommes de lettres vos protégés), où je peins une ville de province de 30000 vers Metz ou Nancy. Je l'appelle Montvallier. Là mon héros devient amoureux. Dites-moi quelque chose de la province. Vous m'intéresserez doublement ou triplement… » (s. l., 4 mars 1835). Il évoque également à plusieurs reprises la comtesse de Sainte-Aulaire, dont il fréquenta le salon à l'ambassade de France à Rome : il la prit comme modèle pour sa nouvelle Une position sociale, écrite en 1832, qu'il pensa un temps développer pour former une troisième partie à Lucien Leuwen. Il fait également mention des Mémoires et voyages d'Astolphe de Custine, son ami : « J'ai remis chez mon portier… le premier volume de M. de Custine. C'est le voyage en Italie et celui qui convient le mieux à ces jolies âmes françaises pour lesquelles il faudrait écrire avec les couleurs de l'arc-en-ciel. Quels que soient les torts de M. de Custine, il n'est point charlatan. Il n'est point vaudevilliste courant après la pointe, il peint vrai ; trois petites qualités assez rares. Il a 18 ans, dans le volume… Il est quelquefois enfant. Son grand défaut est d'avoir peur du public, qui, sauf votre respect, n'est qu'une bégueule crevant d'ennui et mettant à son amusement des conditions impossibles à remplir… » (janvier 1830). Il parle aussi de son ami Mérimée, vante son article sur Byron (« où il y a plus de philosophie et de véritable esprit que dans 1830 numéros du Globe ») mais pointe « le manque d'élan du personnage de sa nouvelle Histoire de Rondino » (7 mars 1830). On voit également défiler Chateaubriand, Fielding, Hoffmann ou Lamartine.

♦ Très bel ensemble autographe.

─ Bibliographie :
Stendhal, Correspondance, Pléiade, n° 891, 895, 897, 899, 902, 935, 945, 979, 1060, 1373, 1380, 1393, 1402, 1429.

Petits frottements au dos, quelques petits manques de papier sur 7 lettres perdus au moment du décachetage (avec perte de quelques lettres), traces de pliures, menues taches et rousseurs affectant quelques lettres.
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