Lot n° 127

CÉLINE Louis Ferdinand (1894 1961)

Estimation : 2 500 - 3 000 EUR
Adjudication : 2 372 €
Description
5 L.A.S. «LF Céline», Copenhague [1947-1948], à Henri PHILIPPON; 11 pages in-fol.
Bel ensemble au journaliste et ami qui lui rendit visite à Copenhague, notamment sur l'épuration et la réédition de ses oeuvres.
Il y est question de Jean VOILIER (Jeanne Loviton), successeur de l'éditeur
Denoël et détenteur des droits, et de Maximilien VOX, administrateur de la maison d'édition, des avocats Thorvald MIKKELSEN et Albert NAUD, mais aussi d'autres personnalités visées par la Justice: Lucien REBATET, qui avait vu sa condamnation à mort commuée en travaux forcés à perpétuité; Xavier VALLAT, ancien commissaire aux Questions juives, et Paul MARION, ancien secrétaire d'État à l'Information et à la Presse, puis auprès du Chef du gouvernement, condamnés par la Haute Cour de Justice à dix ans de détention; Adrien MARQUET, ancien ministre de l'Intérieur et maire de Bordeaux, condamné à dix ans de dégradation nationale; Fernand SORLOT, directeur des Nouvelles Éditions latines, condamné à vingt ans de dégradation nationale.
Vendredi [1947 ?]. Il n'a pas très bien compris les nouvelles que lui rapporte Mikkelsen, au sujet de Voilier, Fasquelle, des rééditions possibles, etc. «Vous êtes au courant je le sais et vous jouez un rôle fort amical et actif, dont je vous suis bien reconnaissant... Mais encore que se passe-t-il ? Vous connaissez mes sentiments. Entendu pour Féerie mais à condition qu'on me réédite mes vieux titres. [...] C'est la manie des éditeurs de vouloir toujours du nouveau et la rage des auteurs de se cramponner à leurs vieux ours»... Vendredi 19 décembre [1947]. «Très bien vu ! Très bien agi ! Comme vous vous êtes heureux de recevoir les lettres de Marion ! [...] Il me semble qu'il va s'en sortir sans trop en crever. - Vu les temps, vu Marquet, vu Vallat... Quant au malheureux
Rebattet il n'avait pas mérité cet enfer - loin de là. Ambitieux, imprudent, inconscient, crédule aussi... Que cette vengeance est infecte et à froid. 4 ans après le feu ! Comme tout ceci fait présager des lendemains encore plus ignobles»... En ce qui concerne Voilier, Céline comprend qu'elle aurait bien voulu, commerçante, réserver l'avenir, et «après le plongeon me rattrapper au nom de l'illusoire contrat !.. Nenni ! Précisément il faut par cela que je rompe à présent. Lui mettre le nez dans le fait. Rupture article XI - et vogue la galère ! D'ailleurs la maison est en déconfiture -
plus un sol en caisse. Vox et elle ont tout gouloufé !» On lui parle des éditions du Rocher à Monte Carlo; il préférerait Fasquelle, «mais il faudrait qu'il se presse ! Je voudrais montrer ici à mon avocat Mikkelsen autre chose que des babillages - de francs suisses en Suisse. C'est lui mon banquier ! Et depuis 4 ans que je ne gagne plus un sol... [...] Je peux parfaitement signer un contrat à Copenhague - sous la loi danoise.
J'emmerde des lois françaises - ici j'ai parfaite personnalité civile.
Il y a un petit hic - les peintres dont nous occupons l'atelier ici menacent de rentrer de Nice - dans ce cas nous évacuerons par la campagne !
Chez Mikkelsen précisément»... 2 mars [1948]. «Parfait. Que Fasquelle m'édite en Suisse sous mon nom - et on attendra la Voilier de pied ferme - avec une contre-lettre entre moi et Fasquelle lui donnant des droits de reprise. [...] La Voilier-Denoël passe à l'Épuration le 12 mars. J'espère qu'ils crèveront la boîte. Lorsque
Fasquelle aura tiré en Suisse de mes livres - alors bien sûr que prendrai ses avances ! Mais pas avant - ces michés vous soupçonnent toujours de crapuleries. Ils ont l'habitude d'être “tapés”. Je ne tape personne - JAMAIS. Homme à homme - c'est ma loi - en homme. PAULHAN va sortir un premier chapitre de Casse-Pipe dans ses Cahiers. Et Sorlot, un petit ballet anodin - Foudres et flèches. L'avenir est à Fasquelle !
Quant à Naud mon Dieu tu connais la Justice»... Le 17 [1948]. «Tout ceci me semble parfaitement emmanché - mais il faut suivre Fasquelle et Naud - qu'ils se décident. - Écrivez donc cet article pour l'Agence-
Presse dans le ton misérable. On a que trop intérêt et passion à me faire figurer nabab en exil, régalé etc. Dites bien prison et non internement.
Je vois rouge lorsqu'on a l'air de confondre. Pour l'Amérique Sur - faites remarquer que j'ai été le chef d'une mission médicale de la SDN - en 1924 - et pendant 8 mois nous avons parcouru l'Amérique et l'Europe avec ces charmants et savants confrères [...] Tous à présent professeurs et praticiens distingués dans leur patrie. Quels charmants amis ! Les plus beaux mois de mon existence en leur compagnie ! Ils m'ont offert une montre que j'ai gardée toujours précieusement. Elle a compté toutes mes heures depuis 1924, et d'exil, et de prison. Dites aussi que je suis encore admirablement défendu en Amérique du Nord - par Cornell le grand avocat de New York et Milton Hindus professeur à l'Université de New York grâce auquel mes livres sont réédités en Amérique - (et interdits en France). Vive la démocratie véritable nom de Dieu !»... Le 19 [1948], sur son oncle Louis GUILLOU, «un excellent homme, mon dernier parent vivant (74 ans !) mais qui ne comprend rien à mon état.
Il fait tout son possible pour sauver les ultimes bribes de mon archimenacé et pillé patrimoine... Quelques chemises de ci et là... Maître C.
m'écrit ce matin que Naud travaille Voilier pour qu'elle résilie mon contrat.
Mais il est tout résilié que diable ! Je me fous pas mal de leurs cas de force majeure ! Et bouffer est-ce une force majeure ? Qui me nourrit depuis 4 ans ? Une belle histoire ! Si elle n'est pas contente elle fera un procès à mon cul ! Ils ont imprimé 30 auteurs depuis la libération ! Il serait trop commode de me garder sous cloche... à tout hasard... On ne sait jamais etc. Salut ! Il faut les mettre devant le fait accompli»...
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