Description
34 L.A.S. «GBernanos» et un télégramme, [1930-1945], à Maurice
BOURDEL, aux éditions Plon; 106 pages formats divers, quelques en-têtes d'hôtel ou restaurant et enveloppes.
Importante et très intéressante correspondance littéraire à son éditeur.
De nombreuses lettres sont relatives à Un crime (1935), mais aussi au Journal d'un curé de campagne, à Monsieur Ouine, aux Grands
Cimetières sous la lune. Nous ne pouvons donner ici qu'un bref aperçu de cette riche correspondance. [Bernanos publia la plus grande partie de son oeuvre chez Plon, à commencer par Sous le soleil de Satan (1926),
L'Imposture (1927), La Joie (1929), Jeanne relapse et sainte (1934), Un crime (1935), Journal d'un curé de campagne et Nouvelle histoire de Mouchette (1936), Les Grands Cimetières sous la lune (1938).]
Toulon [décembre 1930]. Il regrette de n'avoir vu Bourdel lors de son passage à «la vieille maison de la rue Garancière», devant laquelle il passait enfant. Il demande s'il ne serait pas possible de réduire sa mensualité au lieu de la supprimer... [Palma] mardi [18 décembre 1934], avant l'envoi du tapuscrit d'Un crime: «Je voudrais que le lecteur cherche lui-même la solution du problème, parallèlement à l'enquête. Mais en relisant mon texte, j'ai confiance d'avoir fait quelque chose de mieux qu'un roman d'aventures ou de police. Ganse, Olivier,
Évangeline - ces types-là ne me semblent pas indignes de leurs frères ou soeurs du Soleil de l'Imposture ou de la Joie. Mais je ferai mieux encore. Vous allez voir»... Dimanche [20 janvier 1935]. Il réclame le retour de son manuscrit pour refaire la seconde partie du roman en cinquante pages, «et la rendre accessible à Monsieur Lebrun lui-même (président patriote de la Super-patrie française, championne de la civilisation gréco-romano-tarasconaise en face de la Barbarie orientale et asiatique, dont la frontière est à Sarrebruck et à Sarrelouis, comme nul n'en ignore). [...] En retour, je m'engage à n'utiliser en rien la seconde partie actuelle, dont il me sera ultérieurement facile de tirer un conte de cent pages, pour le volume de nouvelles à paraître ultérieurement chez vous. [...] Du point de vue de mon métier, que j'ai la prétention (ridicule, il est vrai) de connaître peu, mais tout autant que le pou de bénitier Marcel (Gabriel) c'est la seule solution possible. Je ne nie pas qu'ayant commencé un roman policier j'aurais dû persévérer dans cette noble entreprise. C'est toujours le truc de Mouchette qui recommence, et des histoires de Mouchette, je pourrais vous en foutre dix par an».
Il ironise sur le drainage de son cerveau, «organe qui ne m'a jamais donné que du souci, et quand je n'aurai plus qu'une paire de fesses pour penser, j'irai l'asseoir à l'Académie»... 4 février. Il projette d'abréger la première partie, et d'en envoyer une centaine de pages... Lundi [18 février]. Il regrette d'avoir écouté ses censeurs, qui peuvent se tromper en visant le public «indéterminé, cultivé quoique sans préférences très particulières [...] C'est dans ce public que travaillent des écrivains aussi différents, par exemple, que Colette ou Bordeaux, ou Maurois, ou Mauriac. [...] Et puis, il y a des écrivains qui se créent un public»...
Malgré des malentendus, des brouilles et des réconciliations, «si l'écrivain ne se décourage pas, s'efforce de se chercher et de se renouveler sans cesse, l'union devient parfaite»... Difficile de déterminer ces liens. «Évidemment vous me direz que depuis la Joie, j'ai bien perdu le contact avec mon public. Et je sens très bien que c'est là votre préoccupation à tous. Mais, je vous assure, mieux vaut rompre le contact, que de décevoir. Quand on a dû tout - même le succès matériel - à une certaine manière (brutale presque) de forcer le lecteur dans ses habitudes, ses préjugés, le pis serait de se mettre à la suite d'exploiter indéfiniment son scandale. Il me semble que mes trois romans font un tout. Après la Joie, on pouvait prévoir que je me recueillerais, pour livrer une autre bataille. Croyez-vous que le public, au fond, ne comprend pas ce silence ?»... Il évoque les erreurs critiques d'un Daniel Halévy et d'un Gabriel Marcel; lui-même estime que La Paroisse morte [Un crime] est «le plus grand effort de ma vie d'écrivain»... Il ajoute: «Vous verrez ce que sera mon Journal de Curé ! Mais qu'on ne m'enfonce pas ! Qu'on me laisse vivre !»... [Vers le 25 avril], sur l'avancement d'Un crime, dont il promet la fin pour le 10 mai: «raconter des histoires aux pauvres types alors que se prépare l'inauguration solennelle (en musique) des prochains charniers, avouez que c'est vraiment “bluffer l'homme” [...] refaire cette seconde partie a été (au point de vue métier) un travail très accablant», dont témoignent ses cahiers de brouillons:: «Quand je serai crevé, vous les lirez en pensant au pauvre vieux zèbre, qui a tant, tant couru»... Il espère donner avant la fin de l'année son Journal de curé, un autre roman arrangé avec les 120 pages de la première «seconde partie» d'Un crime, et son grand roman de Monsieur Ouine. «Autre chose peut-être encore, car je me suis mis à écrire mon journal [...], je crois que ce sera assez beau. Émouvant, du moins»... [Vers le 10 mai]. Il vitupère contre les conseillers littéraires de Plon et leurs critiques sur la nouvelle version de la seconde partie d'Un crime: «Ce qui est idiot, c'est d'avoir refusé la première version, et d'avoir exigé de moi une besogne épouvantable et tâcheron. Des experts littéraires comme Massis, et ce demi-guignol de Gabriel Marcel, il y a de quoi faire rire un cancéreux, cher ami !»... Après le travail de forcené, l'angoisse et l'incertitude de cette année il aura besoin de repos moral: «je ne puis plus me passer d'un peu de sécurité. Je suis à la limite de mes forces»... Jeudi [16 mai]. La perte des pages l'a rendu malade, mais il a refait les pages perdues: «songez que je suis depuis six mois en pleine crise, en pleine transformation [...] Je me suis engagé dans une espèce de roman policier, que j'étais résolu à écrire rapidement, dont je ne savais même pas si je le signerais de mon nom. Et je crois avoir fait beaucoup mieux que ça. [...] J'aurais dû me jeter à corps perdu dans un grand livre, un très grand livre... J'en serais sorti, je le sens bien maintenant - trop tard, hélas»... [29 mai].
Il écrit les dernières pages d'Un crime, et pense terminer rapidement «un second roman» [Un mauvais rêve] en utilisant les pages écartées.
Il ne proteste pas «contre la nécessité de travailler pour vivre», mais contre des conditions de travail «si précaires, si inhumaines»... [Vers le 7 juin]. Il a «grand hâte à reprendre mon Journal d'un curé», et fait le point sur les avances de Plon... [Mi-juillet]. Il donne des précisions sur les fragments envoyés et insiste sur leur qualité, supérieure ? celle d'Un crime, égale au «meilleur de L'Imposture (que Mauriac met si haut) tout en étant beaucoup plus public, beaucoup plus accessible»... Il a commencé avec Un crime «une nouvelle période de ma pauvre vie d'écrivain. Ce livre, entrepris et terminé selon une inspiration et une méthode de travail toutes nouvelles pour moi, ne me satisfait donc qu'à moitié. Mais avec celui que j'écris en ce moment (Un mauvais Rêve) - le
Journal d'un Curé de Campagne, et Monsieur Ouine, revu et retouché à ma manière, vous tenez une série qui, je l'affirme, vous fera honneur.
Il me semble que ce n'est pas le moment de me décourager»... Lundi [7 octobre]: «Je vous en prie, donnez-moi des apaisements, la sécurité au moins jusqu'à l'achèvement de mon Journal d'un curé. Je n'en peux plus»... 31 décembre, annonçant aussi l'envoi de 40 pages du
Journal d'un curé de campagne: «Le chapitre que je viens d'écrire était essentiel - car je veux que ce livre ait tout son sens. À présent mon curé va apprendre qu'il a un cancer, et mourra la nuit même, d'une hémorragie dans des circonstances qui.... enfin, je crois vraiment tout cela assez beau»...
[Avril ? 1936], envoyant la fin du Journal d'un curé de campagne: «J'ai l'impression d'avoir exprimé quelque chose de ce que j'avais, dès le premier jour, rêvé d'y mettre»... Il s'est remis à Monsieur Ouine... [Mai ?], envoyant 40 pages de Monsieur Ouine, il proteste d'être jugé par Gabriel MARCEL, «ce philosophe musicographe que le bon Dieu ne réussirait même pas à détortiller [...] ce pou me hait depuis la publication de La Grande Peur des bien-pensants, sur laquelle il a écrit un article fiel-vinaigre et eau bénite»... [Fin 1936 ?], il réfléchit beaucoup à un projet: «J'imagine une Vie de Jésus racontée à ses paroissiens par mon curé - ou par le Curé de Torcy ?... Mais ce n'est pas encore très clair dans ma tête, et je travaille à ma nouvelle. La Vie de Jésus de MAURIAC m'a soulevé de colère. Quelle machine à torpiller les âmes !»...
25 janvier 1937: «Je crois qu'on pourrait garder son nom de Mouchette à l'héroïne de ma nouvelle et intituler celle-ci Une Nouvelle Histoire de Mouchette ou Une Autre Mouchette ou simplement Une Autre»...
Toulon 20 novembre. Il ne cesse de réorganiser les chapitres de son manuscrit. «Lorsqu'il n'y a pas de trame romanesque, il faut bien choisir l'ordre logique le plus capable de s'accorder avec le rythme et l'élan du livre, sans le briser»...
Toulon mardi [1er mars 1938]. Il approuve la bande pour les
Grands Cimetières: «La guerre d'Espagne est un charnier»; suppression d'un paragraphe concernant le C.S.A.R.
[Comité secret d'action révolutionnaire, «la Cagoule»].
«Ce n'est pas le C.S.A.R. qui m'étonne, c'est l'extrème indulgence qu'on montre à ces sinistres guignols dont la police italienne tient les ficelles, et qu'elle a d'ailleurs pris soin de brûler, lorsqu'elle a cru juger que le scandale serait assez grand pour déclencher, par contre-coup, la révolution de gauche qu'elle appelle ardemment de ses voeux. Car vous ne me ferez tout de même pas croire que M. MUSSOLINI souhaite une
France grande et prospère»... Mardi. Il renvoie des épreuves et termine sa conclusion. Il veut bien supprimer le nom de Massis, mais pas celui de BRASILLACH: «Je ne vois pas d'ailleurs ce qu'il y a de méprisable à faire l'oraison funèbre d'un ennemi mort au champ d'honneur. Ça me paraît beaucoup plus dégoûtant de lécher les bottes de Franco. D'ailleurs
Brasillach est un petit salaud»... - Il demande 6000 francs pour fêter la publication des Grands Cimeti?res... - Mercredi [11 mai]. Il ne craint pas la publication de son livre dans le journal de Buré [L'Ordre], cela servira ses idées, exprimées avec modération: «la part de polémique personnelle a été réduite à l'extrême. Que désirer de plus ? Je ne veux pas avoir l'air d'être dupe, ou solidaire, de prétendus amis politiques nourris à la gamelle romaine, ou qui, trop pauvres garçons pour intéresser
Mussolini, se contentent d'un petit pourboire du général FRANCO.
Je sais d'autre part, que l'épuration continue de plus belle en Espagne.
Un jésuite éminent de là-bas disait publiquement, voilà 15 jours, qu'une véritable restauration du catholicisme en Espagne devrait être précédée de l'extermination des éléments irréductibles, dont il évaluait le chiffre à deux millions. Comment pourriez-vous espérer que je me taise, en de pareilles conjonctures ? [...] À la grâce de Dieu ! Le jour, peut-être prochain, où l'on publiera les fonds secrets de M. Mussolini - comme on a publié ceux du gouvernement tsariste - tous les salauds ne seront peut-être pas morts»... Il espère que si Maurois aime le livre, il écrira une préface à l'édition anglaise: «Il expliquerait si bien ce qu'un pauvre type comme moi représente de la France incorrigible»... Etc.
On joint une l.a.s. de Robert Vallery-Radot concernant des livres dédicacés de Bernanos.