Lot n° 117

COCTEAU JEAN

Estimation : 15 000 - 20 000 EUR
Adjudication : Invendu
Description
MANUSCRIT autographe signé «Jean», Bacchus,
Comédie dramatique en 3 actes, 1951; 259 pages formats divers, et 170 pages in-fol. et in-4, sous deux couvertures de cahiers de Croquis dessin à reliure spirale.
Important ensemble des études préparatoires et du manuscrit complet de la pièce Bacchus, la plus ambitieuse de Cocteau, qui fit scandale.
Précédée d'une lente maturation, depuis un projet de film en 1946, et d'un abondant travail de documentation, la pièce fut écrite pendant l'année 1951, et créée le 20 décembre 1951 au théâtre Marigny par la troupe Renaud-Barrault, mise en scène par Cocteau et Jean-Louis
Barrault, qui jouait le rôle du cardinal Zampi aux côtés de Jean Desailly (Hans, le Bacchus), dans des décors et costumes de Cocteau luimême.
Bacchus provoqua une violente polémique entre le catholique François Mauriac et Cocteau. Publié en 1952 par Gallimard, Bacchus fut dédié à Francine Weisweiller.
«Dans une petite ville allemande, au début du XVIe siècle, l'arrivée d'un envoyé extraordinaire du Saint-Siège, le cardinal Zampi, venu pour enquêter sur les agissements des Luthériens, coïncide avec l'élection d'un “Bacchus”, roi de Carnaval qui, selon une antique tradition, jouit pendant une semaine d'un pouvoir absolu. L'élu est un jeune paysan qui passe pour un idiot. C'est en fait, sous ce masque, une sorte d'anarchiste idéaliste qui veut faire régner l'amour. Son attitude engendre une haine féroce qui le menace du bûcher. Le cardinal, ému par sa sincérité, tente de le sauver, en lui proposant d'entrer dans les ordres. Ce que Hans refuse. Une flèche envoyée par le fils du duc, devenu son ami, lui évitera in extremis le supplice du feu» (Jacques Brosse). Pour Cocteau, Bacchus était «une pièce à idées. (Le contraire d'une pièce à thèse)».
Le manuscrit se présente sous la forme de deux grands ensembles, chacun sous couverture titrée d'un cahier de Croquis dessin à reliure spirale.
A. «Études pour Bacchus». Brouillons, ébauches et notes préparatoires, en tout 259 pages.
Important ensemble de feuillets disparates, tant au niveau des supports (papier à lettres, papier dessin, cartons, couvertures de bloc-lettres, enveloppes, etc.), des formats (du grand in-fol. à in-8, bords effrangés à quelques ff. de très grand format), des outils (encre bleue ou bleunoir, stylo-bille rouge ou bleu, crayon de papier...), que du contenu même de ces pages: répliques à insérer, ébauches de scènes, dialogues, brouillons de scènes, notes documentaires, dessins, etc.
On remarque notamment: «Scène finale du 3e acte» (1 f. grand in-fol. encre bleue; au verso, grand dessin au crayon (visage aux formes géométriques). * «Conduite de l'acte III en très gros» (3 ff. in-4 au crayon); aux versos, trois portraits de Jean Marais au crayon. * «Scène acte I» (1 f. in-4 au stylo-bille rouge, notes pour 2 scènes de l'acte I); au verso, portrait de Jean Marais au crayon. * Fragment d'une scène entre le duc et l'évêque (2 ff. in-fol., stylo-bille rouge). * Ébauche d'une scène de Christine (1 f. in-fol. au crayon). * «Premier brouillon de la scène de Hans et du cardinal» (11 ff. in-fol., stylo-bille rouge). * «Scène de Hans et de Christine» (1 p. in-8 au stylo rouge). Scène Hans-Lothar (1 p. in-fol. encre bleue). * «Scène du Cardinal et d'Ulrich acte II» (1 p. in-4 au crayon; au verso, dessin au crayon: scène de pilori). * «Scène Évêque-Ulrich, acte 2» (10 ff. in-8 au crayon). * «acte 2 scène
Ulrich le Cardinal» (9 ff. in-4 au crayon). * «avant le péché originel» (1 p. in-8 l'encre bleue). * Notes pour une scène entre Bacchus et le Cardinal (6 ff. in-fol. stylo bleu). * Scène Cardinal-Ulrich (21 ff. in-4 ou in-8, crayon). * 7 ff. in-8 au crayon sur papier fort, notes diverses et dialogues. * «Scène évêque-Guillaume» (7 ff. in-4 au crayon). *
Fragment de la scène Cardinal-Ulrich (1 f. in-4 au crayon); au verso, portrait de Francine Weisweiller de profil au crayon. * Plan du 2e acte (1 f. in-fol. stylo bleu); dialogue au verso.* «Marche de la scène
Hans le cardinal» (1 p. in-8 encre bleue). * «Esquisse de la 1ère scène» (13 ff. in-4, encre bleue, pag. 1-12). * Brouillon de la scène 2 de l'acte
I (9 ff. in-4, encre bleue, pag. 1-9). * «Études pour l'acte II» (12 ff.
in-4, à l'encre bleue et au crayon, correspondant à la scène 8 de l'acte II). * Fragment de scène «Christine-Ulrich» (1 f. in-4, crayon); au verso, portrait au crayon d'Édouard Dermit endormi. * «Premier brouillon de la scène du conseil des édiles» (47 ff. in-4 au crayon et à l'encre bleue), contenant également un brouillon de la «scène de l'interrogatoire» et un de la scène entre le duc et l'évêque. Etc.
Le dossier du chantier de Bacchus illustre bien la nouvelle méthode de travail de Cocteau, comme il l'écrit dans son journal: «Sans que je m'en aperçoive, peindre a complètement changé ma méthode de travail d'écrivain. Au lieu d'écrire Bacchus du début, je m'acharne sur des scènes à droite et à gauche, comme si je devais couvrir une toile. Je les retouche et les recouvre sans cesse. Je procède donc par “valeurs” au lieu de procéder par “lignes”. Peu à peu l'ensemble prend forme et relief La pièce, encore couchée, ajuste ses membres.
Lorsqu'elle vivra, je la soignerai pour qu'elle marche toute seule».
Tous ces fragments de scènes, inlassablement reprises, sont autant de couches que le dramaturge reprend l'une après l'autre. Les feuillets épars, sur lesquels ne se trouvent parfois qu'une ou deux répliques, sont comme les premiers traits de crayon. Entre cent exemples, on peut relever ce dialogue: «- C'est un crétin. - Non, un idiot. - C'est pareil. - Non, le crétin est un idiot pensant»... Ces répliques acquièrent du volume dans les esquisses de deux ou trois pages, où l'on voit le dialogue prendre forme, se ramifier, la scène s'ébaucher.
Dans ces premiers brouillons, le héros s'appelle encore Ulrich. Des personnages qui ne seront pas retenus surgissent, comme un curé, et l'on voit que Cocteau a même songé à introduire dans sa pièce le Diable en personne. La scène du conseil des édiles, celle entre Ulrich et l'évêque émergent particulièrement de ce maquis d'ébauches.
On relève également plusieurs pages de «phrases», où Cocteau a noté plusieurs de ces formules géniales dont il avait le secret: ainsi «Les murs ont des oreilles. Les oreilles ont des murs», que l'on retrouvera à la scène 6 de l'acte II, ou «- La foule m'aime. - Elle est bien la seule».
Sept beaux dessins au crayon viennent orner ce manuscrit: quatre portraits de Jean MARAIS, à qui Cocteau pensait confier le rôle de Hans; Francine Weisweiller, chez qui Cocteau écrivit la pièce dont elle sera la dédicataire; enfin Édouard Dermit, dont Cocteau a fait son fils adoptif.
B. «Manuscrit de Bacchus». Manuscrit complet de la pièce, à partir duquel Cocteau a dicté son oeuvre à une dactylographe. Il comprend 170 pages in fol. et in-4, les actes I et II sur feuillets in-fol.
(35 x 27 cm) arrachés d'un cahier de dessin.
Le manuscrit de la pièce est précédé de 4 feuillets. * Page de titre, portant une double dédicace: «à Francine. À bord de l'Orphée II» (le yacht de Francine Weisweiller), et «à Francine, qui pense avec son coeur Jean * Noël 1951»; et les titres des actes: «1. L'idiot. 2.
L'innocent. 3. [Le martyr biffé]. Le pieux mensonge». * «Note du 3 avril 1951» (1 p. in-4) concernant la proximité du sujet de Bacchus avec Le Diable et le Bon Dieu de Sartre. * Liste des Personnages. *
Note sur le décor.
Acte I. 16 pages in-fol. à l'encre bleue, chiffrées 1-16, correspondant aux scènes I et II. - 42 pages in-fol. au stylo-bille rouge, chiffrées 1-42, correspondant à fin de l'acte (scènes III à VIII). * Acte II. 56 pages in-fol. pour la plupart (6 p. in-4), au stylo-bille rouge et à l'encre bleue; numérotation discontinue, recommençant à 1 à certains changements de scènes. * Acte III. 48 pages in-4 (26,5 x 20,5 cm), au stylo-bille rouge et à l'encre bleue, sur autant de feuillets de papier vélin filigrané Paris Renage.
Abondamment corrigé, ce manuscrit présente d'innombrables variantes de détail avec la version imprimée, mais aussi plusieurs variantes intéressantes. À l'acte I, par exemple, on trouve cet anachronisme que Cocteau a finalement décidé de supprimer: «Hélas, les événements ne sont pas si simples. Les revendications ouvrières deviennent inadmissibles.» Acte II, scène 6, un long échange entre Hans et le cardinal, sur le bonheur, la chasteté et la guerre, a disparu dans la version imprimée, remplacée par cette simple annotation: «Court silence»; dans la même scène, une autre réplique de Hans a disparu dans l'édition: «Il a fallu longtemps pour que le roi des Juifs devienne celui des antisémites». Acte III, scène 5, Cocteau a atténué l'anticléricalisme de la pièce, biffant une partie de la phrase: «la cause de hommes libres finira peut-être par vaincre le Diable, qui se déguise en bon Dieu, en pape ou en moine rebelle» pour ne garder que «en moine rebelle».
La toute dernière scène, après la mort de Hans, est particulièrement retravaillée; entre autres répliques supprimées, à l'évêque qui menaçait
Christine: «Nous avons les couvents pour apaiser les vierges folles», elle répliquait: «Je ne suis ni vierge ni folle».
Provenance: Francine, puis Carole WEISWEILLER
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