Lot n° 327

LACENAIRE (Pierre-Franfois, 1803-1836) assassin et écrivain. Manuscrit autographe, décembre 1836. 36 pages in-4, foliotées 52-54, 57-63, 65-67, 72-76, montées sur onglets en un cahier, dans une chemise-boite demi-maroquin rouge, étui. IMPORTANT...

Estimation : 8000 / 10000
Adjudication : 1000 €
Description
ET RARISSIME FRAGMENT DE SES MEMOIRES QUI FURENT REDIGES EN PRISON. Ce manuscrit, qui présente quelques ratures et corrections, a servi pour l'impression des Mémoires, révélations et poésies écrits par lui-même, à la Conciergerie (Ollivier, 1836), quelques mois après l'exécution de Lacenaire le 9 janvier, dans une version très censurée qui dénaturait le texte rédigé par Lacenaire. Ce n'est qu'en 1991 que Jacques Simonelli put donner une version des Mémoires (José Corti) conforme aux manuscrits retrouvés, notre manuscrit correspondant aux pages 111 à 133 (quelques interruptions) et 139 à 146 de cette édition. Le manuscrit est daté du 29 décembre 1836. Lacenaire est alors détenu à Bicêtre avec son complice Avril, également condamné à mort ; il est certain que leur pourvoi en cassation du 26 a été rejeté : "personne ne me l'avait annoncé (.) Il est bien difficile de lire sur la figure du méchant, de l'hypocrite ; cependant, lorsqu'il se force, pour paraitre sensible, il y a je ne sais quoi dans ces larmes qui respire une odeur d'oignon”. Alors qu'il s'interroge sur sa manière d'affronter la mort et sa capacité à croire ou non en l'existence de Dieu et d'une autre vie ("non...je voudrais y croire je ne le peux pas”.), il décide de s'adonner plus que jamais à son entreprise : " Écrivons donc maintenant, écrivons sans relâche, profitons du temps qui nous reste”. Il craint de n'avoir pas le temps d'achever ses Mémoires et se presse de coucher ses pensées intimes sur le papier, "afin que vous ne perdiez pas tout, si le bourreau arrivait demain matin”. Il reprend ensuite le cours de son récit à la date du 10 mai 1829, jour où il décida fermement de s'attaquer à l'édifice social. Il raconte sa descente sur la pente de la criminalité et la fafon dont, avant d'en arriver à de telles extrémités, il chercha à sortir de la misère par tous les moyens, tentant de gagner sa vie honorablement, "et partout dédain, promesses trompeuses”. Ces humiliations répétées et cette exclusion sociale nourrirent son ressentiment et sa haine contre une partie de la société. Révolté par l'injustice, il commenfa à fomenter sa vengeance : "Des pensées prodigieuses me montèrent au cerveau ; je vis d'un coté une société de riches, s'endormant dans ses jouissances et calfeutrant son âme contre la pitié ; d'autre part, une société de misérables qui demandaient le nécessaire à des gens qui regorgeaient de superflu”. Convaincu de son sacrifice pour une bonne cause - il parlera plus loin de "suicide éclatant, profitant à la société” -, il souhaitait incarner une figure exemplaire et ouvrir la voie : "L'homme indécis sur une action qu'il médite, attend souvent un exemple qui l'encourage (.) Voilà d'où je suis parti : qui viendra me dire aujourd'hui que j'ai trop préjugé de mes forces ou de la perversité de l'espèce humaine ? qui viendra me dire que je n'ai pas réussi aussi bien que pouvait l'espérer un homme seul contre tous, mais un homme fort et puissant de son génie, que la société a rejeté dès son berceau, qui a senti sa force et l'a employée au mal en désirant le bien (.), un homme enfin qui, tout en méprisant ses semblables, a eu plus de violence à se faire pour arriver au mal que beaucoup d'autres pour arriver à la vertu”. En 1836, parvenu au but de sa vengeance, il exprime une forme de regret à l'attention de ses juges et détracteurs : "qui vous dit qu'en faveur de ces âmes sensibles que j'ai rencontrées sous les verrous, je ne crains pas moi-même d'être exaucé ? Oh oui ! au lieu d'insurger le pauvre contre le riche, puisse mon dernier écrit engager le riche à porter secours au malheureux !”. Puis, sans pour autant justifier les crimes qu'il a perpétrés, il en relativise la barbarie en les comparant au sort réservé sans scrupule aux animaux tués pour être mangés, ou pour un simple divertissement lors des parties de chasse : "Hommes vous avez inventé des manières de tuer les animaux proportionnellement à la délicatesse de votre palais. Vous êtes plus féroces que moi. Oui, moi qui ai tué, voulez-vous que je vous dise une chose : je n'ai jamais pu voir souffrir de sang-froid un être animé, quel qu'il füt”. Il évoque également ses complices [Victor Avril et Hyppolite FRANCOIS], tombés suite à ses aveux, et explique qu'il n'a pas cherché à les perdre ; il avait été lui-même trahi. On comprend que Lacenaire tenait à commettre un assassinat pour pouvoir, en cas d'échec dans une autre affaire et de confrontation à la police, se dénoncer et réclamer l'échafaud pour ainsi échapper à une longue captivité qu'il n'aurait pu supporter. Mais passer à l'acte ne lui était pas chose aisée : "Je sentais que je ne pouvais pas réussir seul à un meurtre. Je n'avais pas assez de force physique”. Il prend pour exemple son échec lorsqu'il entreprit d'assassiner JAVOTTE, une recéleuse qui menafait de le dénoncer à la police après avoir eu vent d'un larcin qu'il complotait : "Certes, alors il m'a fallu de l'énergie pour lutter, pendant un quart d'heure, avec la victime dont le râle me déchirait le creur. C'est un des moments de ma vie où j'ai lutté le plus contre moi-même, et cependant j'ai conservé tout mon sang-froid”. Arrêté pour vol, et condamné à un an de prison, il fut transféré le 16 décembre 1829 à Poissy, où il s'adonna à la poésie, "à ce qui était une véritable monomanie chez moi. la poésie.je redevins heureux, plus heureux peut-être que je ne l'avais jamais été dans le monde en donnant carrière à mes passions, en satisfaisant toutes mes fantaisies. Soit que l'on s'indigne ou que l'on s'attendrisse, il y a un je ne sais quoi dans la poésie, et surtout dans la poésie de sentiment, qui vous élève au-dessus de l'humanité et qui prête des charmes même à la captivité, qui met à l'abri de l'existence l'homme qui sait s'isoler et se suffire à soi-même”. Toute "autre espèce de travail” ne lui était pas rendue nécessaire grâce aux envois d'argent de sa tante, qui cessèrent néanmoins sur l'entremise de son médecin, homme intéressé, "coureur de dots et de successions”. Quand vint le jour de sa libération en septembre 1830 - "ce jour de liberté comme on l'appelle, m'apparut sans aucun sentiment de joie ni de plaisir ; incertain que j'étais si j'allais être forcé à commencer ma lutte avec la société ou en devenir un membre utile” -, il retomba dans la misère et la détresse sociale. Une vieille connaissance de régiment lui permit de rebondir en lui conseillant d'aller chercher du travail chez les écrivains publics, ce qui lui fit gagner beaucoup d'argent : "On pétitionnait de toutes parts (c'était quelque temps après la révolution de juillet) ; c'était une fièvre, un délire de places et d'emplois (.) C'est un superbe état que celui d'écrivain public dans une semblable circonstance. (.) Son bureau est un véritable confessionnal où il peut connaitre toutes les iniquités des hommes. Cette vie me convenait parfaitement, elle s'accordait avec mon goüt. Vie d'observations et d'indépendance !”. Mais ce fut une expérience de courte durée ; son employeur dut embaucher l'un de ses proches et il fut remplacé. Alors il se remit à voler et à organiser des larcins avec d'autres malfrats rencontrés en prison. Malgré sa peur d'être à nouveau enfermé, la nécessité l'emporta : "ces vols m'ont fait plus de mal, me pèsent plus sur la conscience que tous mes assassinats”. Après diverses aventures, il travailla deux ans chez un entrepreneur d'écritures pour le Palais, tenta de lancer son propre bureau mais n'y parvint pas : "mon caractère s'était aigri par l'injustice constante qui me poursuivait”. Devenu écrivain ambulant mais ne pouvant subvenir à ses besoins, il accumula une charge de travail qu'il ne sut assumer et commit pour s'en sortir une erreur qui ne lui permit plus de travailler dans ce domaine et l'exclut à nouveau de la société... Ses échecs répétés dans l'écrit et le journalisme, l'impossibilité de vivre de sa plume malgré son talent indéniable eurent raison de sa motivation : "Cette vie précaire et toute faite d'engourdissement avait pu m'absorber pendant quelque temps ; mais je sentais trop bien que je n'étais pas né pour cela. J'avais tout fait, tout employé pour m'en tirer, pour m'éviter la fin que je m'étais moi-même proposée. Nul ne m'avait accueilli ; tout le monde m'avait repoussé comme à l'envi”. Lacenaire est éprouvé par ces remémorations : "Ici un repos, une halte ; je suis fatigué. Mes souvenirs sont lourds ; la société qui me les inspire me pèse ! (.) J'arrive à la mort par une mauvaise route, j'y monte par un escalier. J'ai voulu dire le pourquoi de ce voyage, de cette ascension mortuaire... Je le dis sans vergogne et sans peur, non pour le plaisir de me livrer en impur enseignement, je le jure, mais pour jeter la lumière sur mon dernier recueillement”. Il reprend ensuite le récit de ses différents larcins pour tenter de sortir de la misère, ses échecs lors de ses premières tentatives d'assassinat, son nouvel emprisonnement en juillet 1833, son travail à sa sortie en 1834 pour M. VIGOUROUX, rédacteur du journal Bon Sens... Ce dernier lui aura finalement fait espérer de fausses promesses tout le temps de sa captivité car les articles que Lacenaire écrivit furent à peine rémunérés : " Mon parti fut bientot pris, le lendemain, je volai”. Plus tard, le même témoigna contre lui et tenta même de s'approprier la paternité de certains de ses textes de chansons : "Vous êtes mon cauchemar, Monsieur Vigouroux. Le seul service que vous m'ayez rendu, c'est celui d'être en droit de vous mépriser plus que moi”. Il reprit le chemin du crime, commit diverses escroqueries et débuta son activité de faussaire, notamment avec Jules BATON, détenu rencontré à Poissy en 1829 : "j'enrageais de bon creur d'en être réduit à devoir me servir d'un semblable instrument, et j'attendais avec impatience qu'AVRlL Lacenaire considérait alors ce dernier comme l'homme dont il avait besoin pour mettre ses projets a execution et attendait .vmt me rejoindre” tres depensier n'en faisant qu'a ,Avril ,ettait beaucoup d'espoir dans leur collaboration qui se revela decevantell m .avec impatience sa liberation es c ed ueilim ua euqope ettec a treffuos ia'j euQ" : Ils finiront tout de meme par entreprendre tous trois une escroquerie qui echouera .sa tete une idee aussi fixe ,Il fallait avoir le vertige ! par aucun acte d'energie ,voulant la fortune et ne sachant la conquerir par aucun sacrifice ,là-etres ; s complices n'avaient qu'a se glisser derriere moiMe (...) .il fallait avoir le dessin formellement arrete d'un suicide ; que je l'avais pour y resister et non un obscur suicide qui n'aurait servi en rien a ma ,je ne voulais qu'une mort eclatante ; j'étais las de vivre ,mais je m'en moquais Franfois-vengeance”... Il est egalement question de JeanCHARDON, également connu à Poissy, avec qui il était en froid ("des discussions d'intérêt avaient fait naitre cette haine”), mais que Bâton fréquentait... Il était question de le voler mais Lacenaire, ayant trop à perdre à se retrouver devant la police, convint de le tuer avec Avril : "On sait le reste”. Le manuscrit s'arrête ici. [Chardon et sa mère seront sauvagement tués et dépouillés en décembre 1934 par les deux complices.] On joint l'édition du Procès complet de Lacenaire et de ses complices, imprimé sur les épreuves corrigées de sa main... (Paris, Bureau de l'Observateur des Tribunaux, 1836 ; remise en vente de l'éd. de 1835 avec un nouveau titre ; brochure in-8 de 2 ff. n.ch.-168 p., 1 fac-similé ; couv. défraichie, 2e plat manquant).
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