L.A.S. « V », Ferney 26 octobre [1761, au cardinal de BERNIS] ; 4 pages in-4.
Belle lettre au Cardinal de Bernis, en lui envoyant l’Épître sur l’Agriculture, et parlant de sa tragédie Olympie.
« Tenez monseigneur, lisez et labourez. Mais les cardinaux ne sont pas comme les consuls romains, ils ne tiennent point la charüe. Si votre Eminence est à Montelimar, vous y verrez Mr le duc de VILLARS qui n’est pas plus agriculteur que vous. Il n’a pas seulement vu mon semoir. Mais en recompense il a vu une tragédie que jay faitte en six jours. La rage s’empara de moy un dimanche et ne me quitta que le samedy suivant. J’allai toujours rimant toujours barbouillant. Le sujet me portait à pleines voiles. Je voguais comme le bateau des deux chevaliers danois conduit par la vieille. Je scais bien que l’ouvrage des six jours trouve des contradicteurs dans ce siecle pervers, et que mon démon trouvera aussi des sifleurs. Mais en vérité deux cent cinquante mauvais vers par jour, esce trop, quand on est possedé ? Cette piece est toutte faitte pour vous, ce n’est pas que vous soyez possedé aussi. Car vous ne faittes plus de vers ; ce n’est pas non plus de votre goust, que jentends parler. Vous en avez autant que d’esprit et de graces ; nous le savons bien. Je veux dire que la piece est toutte faitte pour un cardinal. La scene est dans une église. Il y a une confession générale, une absolusion, une rechutte, une relligieuse, un évêque. Vous allez croire que jay encor le diable au corps en vous écrivant tout cela. Point du tout, je suis dans mon bon sens. Figurez vous que ce sont les misteres de la grande deesse. La veuve et la fille d’Alexandre retirées dans le temple. Tout ce que lancienne relligion a de plus auguste, tout ce que les plus grands malheurs ont de touchant, les grands crimes de funeste, les passions de déchirant, et la peinture de la vie humaine de plus vray. Demandez plustot à votre confrere M. le duc de Villars. Je prendrai donc la liberté de vous envoyer ma petite drolerie quand je l’auray fait copier. Vous etes honnete homme, vous n’en prendrez point de copie. Vous me la renverrés fidelement. Mais ce n’est pas assez detre honnete homme. C’est à vos lumieres à vos bontez à vos critiques que jay recours. Que le cardinal me bénisse, et que l’academicien m’éclaire. Je vous en conjure ».
Puis il évoque l’exil du cardinal à Vic-sur-Aisne : « Pourquoy rapetasser Vic ? Ce Vic est-il un si beau lieu ? Ce qui me désespere, c’est quil est trop eloigné de mes deserts charmants. Soyez malade je vous en prie. […] Vous n’en serez pas mécontent. Le chemin est frayé ; ducs, princes, pretres, femmes dévotes, tout vient au temple d’Epidaure. Venez y ; je mourrai de joye. Les Délices sont à la porte du docteur [TRONCHIN]. Elles sont à vous, et mériteront leur nom »...
Correspondance (Pléiade), t. VI, p. 640.
L’Académie française au fil des lettres, p. 128-133.