Lot n° 817

VOITURE Vincent (1597 1648) poète et épistolier, il fut un des membres fondateurs de l'Académie française [AF 1634, 33e f]. —

Estimation : 3 000 - 4 000 EUR
Adjudication : Invendu
Description

L.A.S. « Voiture » (incomplète), Paris 9 janvier [1647, à Claude de MESMES comte d’AVAUX] ; 10 pages in-fol. sur 5 feuillets.

Importants fragments en partie inédits d’une des plus longues lettres de Voiture, parlant des négociations du traité de Westphalie et de la duchesse de Longueville, et répondant aux railleries sur son âge et ses lunettes.

[Claude de Mesmes, comte d’AVAUX (1595-1650), surintendant des Finances, « l’homme de la robe qui avoit le plus bel esprit, et qui écrivoit le mieux en françois », selon Tallemant des Réaux, avait été nommé en 1643, avec le duc de Longueville et Abel Servien, pour représenter la France aux conférences de Munster qui devaient aboutir en 1648 au traité de Westphalie, mettant fin à la guerre de Trente Ans. Depuis 1642, il entretenait Voiture comme premier commis aux appointements de 4 000 livres.

Anne-Geneviève de Bourbon-Condé, duchesse de LONGUEVILLE (1619-1679) sœur du Grand Condé et du prince de Conti, et future héroïne de la Fronde, avait rejoint son mari à Munster où elle charmait tous les diplomates, et était célébrée comme la « déesse de la Paix et de la Concorde ».

L’examen des plis des feuillets montre qu’il s’agit ici de la lettre même envoyée au comte d’Avaux, qui l’a rendue à Voiture afin que celui-ci puisse l’insérer dans ses Œuvres ; Étienne Martin de Pinchesne (1616-1680), le neveu de Voiture, y a porté des corrections, et a biffé d’un trait de plume de très nombreux passages, qui sont restés inédits et ne figurent pas dans l’édition de cette lettre CCXV des « Lettres de Monsieur de Voiture » dans l’édition originale posthume des Œuvres de Monsieur de Voiture en 1650 chez Augustin Courbé (p. 787-800). Elle est émaillée de citations latines.

Cette lettre a été démembrée feuillet par feuillet, et patiemment reconstituée par des achats successifs ; elle demeure cependant encore incomplète, notamment du début (2 ou 3 feuillets) puis de deux feuillets. Notre premier feuillet [cachet de la coll. A Juncker] correspond à la p. 792 (« Cependant pour parler […] quo velis »), plus la seconde page entièrement biffée ; le second feuillet donne la suite de la p. 792 (« Au reste je suis entierement de vostre advis […] extremement reussi »), plus la seconde page entièrement biffée ; après une lacune d’un feuillet, notre troisième feuillet [vente du 25 juin 1993, n° 249] correspond aux p. 794-795 (« en me la representant si serieuse […] discourir sur la pointe ») ; il se poursuit sur le quatrième feuillet, correspondant aux p. 795-797 (« d’une esguille. Il reste […] mais vous que jay veu »). Après une lacune d’un feuillet, le dernier feuillet [Charavay, cat. 796, octobre 1989, n° 42619] donne la fin de la lettre avec la formule de politesse et la signature, p. 799-800 (depuis « il est homme de bon sens »…).]

Après avoir badiné à propos de la lettre qu’il a reçue de Monseigneur, Voiture commence ici : « Cependant Monseigneur, pour parler serieusement, je suis asseuré que ce dessein ne vous rendra pas moins diligent a la conduite de cest autre que vous avez entre les mains, et qui reguarde le repos de tant de millions d’hommes. […] J’espere que vous mettres la derniere pierre a cest edifice, comme vous y avez mis la premiere […] si je vous cognois bien, la difficulté d’un dessein vous excitera plustost qu’elle ne vous rebutera ; et puis, si vous voules vous flatter un peu, que ne pouves vous pas esperer de la fortune, vous Monseigneur qui n’aves en vostre vie rien desiré d’elle, bienfort, qu’elle ne vous ait accordé, qui estes habile, adroit, galant, persuadant, insinuant sur tous les hommes du monde […] J’admire pour vous dire le vray, qu’au milieu de tant de soins, vous puissies faire de si longues et de si admirables lettres, et que dans le tems que vous conduises les plus grandes et les plus importantes choses du monde, il semble que vous ne songies qu’a en escrire de belles, et de galantes »… Et Voiture de comparer les lettres du comte à celles du cardinal d’Ossat et du cardinal du Perron. Ce passage serait en fait recopié d’un brouillon pour combler une lacune dans sa dernière lettre. « Monseigneur que la comparaison que je fais de vos vers a ceux de Ciceron ne vous rebute pas d’en faire d’autres, ma conscience me remord de vous en avoir parlé si rudement, et il me semble que j’ay fait avecque vous, comme je vous ay oui dire que fait Ronsard avec Desportes quand il luy monstra la descente de Rodomont »…

Puis il évoque la Duchesse de LONGUEVILLE, que le comte a représentée « si serieuse et si politique ; nous avons ici du plaisir a nous l’imaginer entretenant Mr Lampadius (on m’a dit que d’ordinaire il est vestu de satin violet) Mr Vulteius et Mr Salvius, et surtout ce gros holandois […] Je ne scais pas de quoy elle peut entretenir ces Messieurs la, […] ni si elle leur parle a propos, mais je l’ay veue ici souvent en beaucoup de compagnies qu’elle ne scavoit pas dire trois mots, et qu’elle ne desserroit pas les dents en une apresdinée ; celuy qui luy conseille d’aprendre l’Alleman pour se divertir a bien fait rite Madame de Sablé et Madame de Montozier ».…

Quant aux reproches que fait le comte sur la rareté des lettres de Voiture, « ces plaintes la ne me semblent pas moins obligeantes que vos louanges, […] et puis vous cognoisses mieus que personne quel embaras cest que ces lettres, qui n’ont aucun subject reel, et ou il faut discourir sur la pointe d’une esguille ».

Quant aux réprimandes faites par le comte à Voiture à la fin de sa lettre : « Vous me representes la messeance qu’il y a d’estre vieus et amoureus ; vous me mettes dix lustres sur la teste, et par dessus le marché une Olimpiade courante (car vous confondes les nombres latins et grecs pour faire parestre la somme plus grande, et vous ne faittes pas mesme de conscience d’adjouster quelque chose a la rapidité du tems), vous m’allegues mes lunettes, et il est vrai que je m’en sers depuis six mois, et que j’en ay en vous escriuant cecy, vous me reprochés ma barbe et mes cheveus gris, et là-dessus […] quand donc, me dittes vous, sera til tems de faire retraitte […] voules vous loger l’amour avec les rhumes, la goutte, et la gravelle, et mettre ensemble toutes les maladies de la vieillesse et de la jeunesse ; quel desordre, quelle honte […] Lorsque je vous entens faire des reprimendes si severes. quand vous auries passé vostre vie sur le haut d’une colonne, ou dans les desers de la Thebaide renonçant au monde, et à ses pompes, vous ne parleries pas d’une autre sorte »…

Il est temps de finir : « Mais voici une lettre bien longue, tibi ingentem epistolam impegi. Il faut pourtant devant que de la finir, que je vous face mille complimens de la part de Madame de Sablé, et de Madame de Montosier », à qui il n’a montré que les passages de la lettre du comte concernant Madame de Longueville : « Pour le reste qui que ce soit ne le verra, quand il n’y auroit que l’endroit des dix lustres, n’ayez peur que je la monstre. Je n’ay ici que quarante sept ans, je vous supplie Monseigneur que je n’en aye pas davantage a Munster […] J’oubliois a vous dire que ces dames m’ont commandé de vous mander que si vous parles comme vous escrives elles ne plaignent pas Madame de Longueville et que l’on peut estre en quelque lieu que ce soit agreablement avecque vous. Je voudrois que vous entendissiez combien elles vous louent. Elles jurent qu’il n’y a que vous au monde qui ayt assez d’esprit, et je leur dis qu’il y a vintcinc ans que je le crois »...

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