L.A.S. « Laharpe », « décadi Prairial l’an 2 de la Rep. » [29 mai 1794, à Maximilien ROBESPIERRE] ; cahier cousu petit in-4 de 8 pages.
Long et magnifique plaidoyer sur sa conduite et ses sentiments républicains, dont témoignent ses écrits ; il compte sur Robespierre pour prendre sa défense et obtenir sa mise en liberté.
« Je suis flatté, citoyen, que tu ayes désiré d’avoir mes ouvrages ; mais quoiqu’ils soient tous d’un bon citoyen, tu présumes bien que ce n’est pas dans ce que j’écrivais longtemps avant la Révolution qui faut chercher les preuves de mon civisme. Il est vrai que j’eus dès lors les honneurs d’une lettre de cachet, d’un arrêt du Parlement, d’un arrêt du Conseil et d’une censure de la Sorbonne. Mais tout cela n’est rien. C’est dans mon Lycée qui n’est pas encore imprimé mais qui a eu de nombreux auditeurs et a donné un grand mouvement à l’esprit public ; c’est dans la Tragédie de Virginie, jouée l’année dernière par et pour le peuple ; c’est surtout dans mes articles du Mercure, c’est là que l’on peut voir ce que j’ai toujours été ». Il y a « des choses qui ne peuvent être écrites que par un patriote et un républicain […] Ainsi le témoignage de mes écrits est absolument irrécusable ».
Il joint quelques extraits de ses articles de l’an passé : « Aux yeux de tout homme de sens, ils sont décisifs ; et si l’on songe que j’ai pris parti pour la Révolution, quand je pouvais, comme la pluspart de mes confrères, garder le silence ; que j’ai pris parti pour la Révolution dans le temps même où elle m’ôtait tout le fruit de mes travaux par la destruction des privilèges de journaux sur lesquels étaient fondées mes pensions ; à qui ne sera t’il pas démontré que j’ai tout sacrifié à mon opinion, que mon existence toute entière a toujours été dans mon opinion, que cette manière d’être est naturelle à celui qui par état a vécu pour la gloire et la postérité, a mis toute sa gloire à être un homme libre, à être nommé un jour parmi les deffenseurs de la liberté, a crû consacrer ses talens et sa plume par l’invariable fermeté de ses sentimens, en un mot s’est prononcé de manière qu’il lui est impossible de changer ou de reculer à moins de vouloir être vil gratuitement, faux et hypocrite sans intérêt ? […] Une chose frappante dans mes écrits depuis 1790 et dont je suis en droit de m’applaudir, c’est, j’ose le dire, la conformité continuelle de mes sentimens avec ceux de ROBESPIERRE, que pourtant je n’ai jamais connu. Le projet profondément perfide de provoquer la guerre avec toute l’Europe pour nous faire écraser, de mettre à la mode l’immoralité, sous le nom de patriotisme exalté, n’a pas échappé à Robespierre : c’est le plus grand crime des factions qu’il est venu à bout d’abattre ; mais tu n’as pas oublié, sans doute, ce qu’il lui en a coûté, qu’il a été au point de compromettre sa popularité, en s’opposant à la déclaration de guerre contre l’Angleterre et l’Espagne, projettée par Brissot, à l’invasion de la Hollande concertée par Dumouriez, à la prédication de l’athéisme mise à la mode par ceux qui voulaient déshonorer notre Révolution. Eh bien ! dès ce temps là, j’ai pensé, parlé, écrit dans le même sens. Je sais bien que dans mon petit coin je ne pouvais pas faire le même effet que sur un grand théatre ; que je ne pouvais pas m’expliquer dans un petit article du Mercure avec la maire autorité, la même énergie, la même hardiesse que Robespierre à la tribune de la Convention. Mais enfin, proportion gardée, je me suis conduit dans le même esprit ; j’ai marché sur la même ligne, quoiqu’à la distance nécessaire ; et mes écrits en font foi.
J’avoue que je me flattais que sans être connu de Robespierre, je devais trouver en lui un deffenseur. Lui qui a mis la probité et la vertu à l’ordre du jour, ne doit-il rien à un patriote, à un républicain si injustement méconnu ? Mon nom et mes écrits ne sont pas ignorés : il n’y a que les ennemis de la Révolution qui puissent trouver bon que la France, l’Europe, la postérité sachent que Laharpe a été confondu dans les prisons avec les coupables et les hommes suspects, a été privé de sa plume qui le nourrissait, a été réduit à vivre de la charité de ses amis, après avoir tout fait et tout perdu pour la Révolution. On me fait espérer ma liberté ; mais ce n’est là que me rendre une justice stricte. Si l’on n’y joint pas un témoignage honorable, que deviendrai-je ? comment reparaitre au Lycée ? comment reprendre la plume dans le Mercure ? Je suis condamné à vieillir sans honneur et sans pain, si je ne suis pas entièrement réhabilité dans 1’opinion. Et c’est là le service que peut me rendre un homme tel que Robespierre. Son témoignage en ma faveur dans les deux comités suffira pour me faire obtenir un certificat authentique sans lequel je suis un homme mort civilement »…
À la suite, Laharpe a recopié et commenté des extraits de trois de ses articles : Monarchie et république (février 1793), Gouvernement révolutionnaire (18 ventose, « huit jours avant mon arrestation »), « Sur la sagesse des décrets de la Convention et sur l’esprit d’exagération qui cherche à les corrompre » (27 pluviose).