MANUSCRIT en grande partie autographe, [De la Traduction, 1635] ; cahier de 21 pages petit in-4 (environ 19,8 x 14,3 cm), dont les pages 1 à la moitié de la p. 8 et du début de la p. 17 à la fin entièrement autographes, le reste d'un secrétaire avec ratures, corrections et de nombreuses annotations marginales autographes.
Rarissime manuscrit du discours d'entrée de Bachet de Méziriac à la toute jeune Académie française, sur la traduction.
Ce discours, le 17e prononcé à l'Académie, fut lu par VAUGELAS le 10 décembre 1635 en l'absence de son auteur, habitant Bourg-en- Bresse et malade, qui avait été dispensé de la résidence, «le seul académicien qui n'ait jamais assisté à aucune séance de l'Académie» (R. Kerviler).
Après les compliments d'usage, c'est une critique sévère de la célèbre traduction par Jacques AMYOT des Vies parallèles des hommes illustres de PLUTARQUE, dont Méziriac préparait une nouvelle traduction.
Le texte en fut publié dans le nouveau Menagiana en 1715, puis en tête de la «nouvelle édition» des Commentaires sur les Epistres d'Ovide de Méziriac (La Haye, Henri du Sauzet, 1716, t. I. p. 23-56).
«Messieurs, je tiens si cher l'honneur que vous m'avez fait de me recevoir en cette celebre compagnie, où vous n'avez admis personne qui ne me surpasse infiniment en merite, que je m'estime estre obligé pardessus tout d'obéir exactement à voz commandemens. C'est pour m'acquitter de ce devoir que je vous presente ce discours mal poli, dont la rudesse vous fera bien conestre que je l'ay enfanté dans un pays barbare, avec un esprit rempli d'inquietudes, et qui n'a peu s'empescher de compatir à un corps travaillé de cruelles et continuelles douleurs. [...] Si j'ai pris quelque peine pour acquerir une mediocre connoissance des langues estrangeres, ça esté avecque dessein de contenter mon esprit plustost que d'en faire parade, et j'ay tousjours fait plus d'estat des choses que des paroles, ne me proposant autre but en mes estudes, que de parvenir à l'intelligence des anciens autheurs, pour puiser les sciences dans leur source, sans m'amuser à l'agencement des mots, ni à l'elegance du stile. [...]
C'est pourquoy, messieurs, j'ay bien de la peine de me persuader que je puisse tenir aucun rang en cette illustre Académie où l'on fait profession de l'eloquence, et l'on pretend de conduire nostre langue à sa perfection»...
Il en vient au fond de son sujet, et parmi les «doctes et laborieuses traductions [qui] ont transporté en France les tresors de la Grece», il retient AMYOT qui «a si bien merité l'approbation generale, qu'il est tenu de tous pour le meilleur et le plus judicieux traducteur que nous ayons, tant à cause qu'il a choisi un autheur excellent, et dont les escris sont remplis de toute sorte d'érudition;que parce qu'il l'a traduit en un fort beau style, et qui approche de la perfection autant qu'il estoit possible en un siecle où les espris n'estoient point encore parfaittement polis. [...] Mais la seule beauté du langage ne suffit pas pour faire estimer une traduction excellente. [...] la qualité la plus essentielle à un bon traducteur c'est la fidelité»... Alors commence une charge à fond contre le malheureux Amyot, accusé d'avoir perverti, en plus de mille endroits, le texte original de Plutarque, et dont le moindre défaut a été l'ignorance. Ses erreurs, ignorances, fautes ou contresens sont impitoyablement relevées, plume à la main...
Le discours se termine par une invocation à RICHELIEU : «Que si j'osois me persuader que les Astres qui presiderent à ma naissance me promirent tant de bonheur, qu'un jour ce grand et inimitable Cardinal qui par ses grandes actions attire à soi les yeux de tout le monde, regardera mon Plutarque d'un oeil favorable, et que quand il aura quelques momens de loisir, et voudra descharger son esprit de tant de soings dont il est continuellement occupé, pendant qu'il travaille à faire conspirer toute l'Europe au bien et à l'honneur de la France, il se donnera un agréable divertissement par la lecture de ce divin autheur. [...] Il me doit suffire de participer aux douces influences que ce bel astre repand generalement sur la France, qu'il fait jouir d'une profonde paix, pendant que le fer et la flame ravagent tout le reste de l'Europe. Aussi je professe que je ne souhaitte point d'autre recompense de mes labeurs, que de pouvoir laisser quelque marque à la postérité, d'avoir vescu dans un siecle qui a produit tant de merveilles et de m'estre mis en devoir d'enrichir la France des plus rares despouilles de la Grèce, au mesme temps que nostre invincible monarque se chargeant de celles qu'il remporte tous les jours sur ses ennemis, tant par les fideles conseils de cet incomparable ministre, que par l'effort de ses armes victorieuses, va estendre son empire jusques aux limites de l'ancienne Gaule.»
Bibliographie : René Kerviler, Claude-Gaspard Bachet seigneur de Méziriac, l'un des quarante Fondateurs de l'Académie française.
Étude sur sa vie & sur ses écrits (Paris, Dumoulin, 1880, notamment pp. 49-54). Raoul Bonnet, «Un manuscrit de Bachet de Méziriac» (in L'Amateur d'autographes, 1900, p. 192-193); et Isographie (p.17).
Provenance : • Ancienne collection Edgar GOURIO DE REFUGE (23-24 décembre 1902, n° 13).
• Vente 14 mai 1964 (Jacques Arnna expert, n° 2).